Des munitions produites au Québec pour l’armée américaine
On produit ici du matériel de guerre pour les Américains alors que nos propres militaires en manquent


Anne Caroline Desplanques
L’Europe et le Canada investiront des milliards de dollars pour reconstruire leur défense au cours des prochaines années et le Québec veut y participer. François Legault revient d’Allemagne où il a vanté les mérites de nos entreprises œuvrant dans le domaine militaire. Le Journal vous brosse un portrait de cette industrie méconnue au Québec.
En pleine guerre commerciale avec Washington et alors que Donald Trump menace de nous annexer, le Québec produit des munitions pour l’armée américaine alors que nos propres militaires en manquent.
Le géant américain General Dynamics produit chez nous quelque 150 types de munitions, en particulier des obus de 155 mm, le projectile le plus recherché sur la planète puisque c’est le plus utilisé dans la guerre en Ukraine.
En février, la compagnie qui détient deux usines en banlieue de Montréal a annoncé un investissement pouvant aller jusqu’à 700 millions $ pour accroître sa production.
Pourtant, Ottawa n’a pas commandé de munitions à General Dynamics, mais plutôt à IMT Defence, en Ontario. L’annonce de General Dynamics répondait plutôt à la demande accrue de l’armée américaine.
General Dynamics n’a pas répondu aux questions de notre Bureau d’enquête.

Or, les stocks de munitions des Forces armées canadiennes sont à un niveau critique, car Ottawa y a puisé pour aider l’Ukraine à se défendre, explique David Perry, président de l’Institut canadien des Affaires mondiales.
«C’est fou que nous fabriquions des munitions pour les Américains, mais pas pour nous-mêmes», dénonce-t-il.
C’est «une aberration», renchérit Christyn Cianfarani, de l’Association canadienne des industries de défense et de sécurité.
Des études alors qu’il y a urgence
Elle indique que le dossier est «coincé en délibération».
Début mars, la Défense nationale a accordé 4,4 millions $ à General Dynamics et à IMT Defense pour élaborer une stratégie visant à produire davantage d’obus au pays.
La nécessité d’augmenter drastiquement la production était pourtant claire dès le début de la guerre en Ukraine, indique Justin Massie, du Réseau d’analyse stratégique de l’Université du Québec à Montréal.
Comme Mme Cianfarani, le chercheur déplore l’absence de sentiment d’urgence chez les fonctionnaires.
• Regardez aussi ce podcast vidéo tiré de l'émission de Mario Dumont, diffusée sur les plateformes QUB et simultanément sur le 99.5 FM Montréal :
C’est tabou
Sachant que la fabrication de munitions est historiquement une force du Québec, M. Massie estime que le gouvernement Legault aurait dû saisir cette occasion et pousser Ottawa à investir rapidement dans les usines québécoises.
Celles-ci étant en plus de grandes consommatrices d’acier et d’autres minéraux, on aurait fait d’une pierre deux coups pour notre économie.
Mais ni Ottawa ni Québec n’ont bougé, car, déplore le chercheur, «c’est tabou» d’investir là-dedans. Aucun politicien n’a envie d’aller couper le ruban devant une nouvelle ligne de production de munitions.
C’est Ottawa et non les fabricants qui fixe le nombre de munitions produites au pays: en décembre 2023, la capacité de production nationale est passée de 3000 à 5000 obus de 155 mm par mois.