Et si on utilisait les ressources d'une seule planète? Voici de quoi notre vie quotidienne aurait l'air
Camille Dauphinais-Pelletier
Le 2 août a été déterminé comme étant le «Jour du dépassement» en 2023, c'est-à-dire la date à laquelle on estime que la quantité de ressources naturelles consommées depuis le début de l'année est égale à la quantité de ressources que la planète est capable de produire en un an pour remplacer cette consommation. Ça prendrait donc pas loin de deux planètes pour soutenir le rythme de consommation actuel de l'humanité. De quoi notre vie aurait l'air si on respectait les limites de notre planète? Une étude* détaille concrètement de quoi pourrait avoir l'air notre quotidien côté habitation, nourriture, transport et consommation. En voici les grandes lignes.
À noter que le 2 août est la date à l'échelle planétaire, mais que si tout le monde consommait comme le Canadien moyen, cette limite aurait été atteinte le 15 mars. C'est pour ça qu'on dit que ça prend 4,9 planètes pour soutenir notre consommation!
Logement
En ville, on vivrait tous dans des immeubles à plusieurs logements, et en milieu rural, dans de petites maisons.
Chaque ménage pourrait avoir les électroménagers de base: un frigo et congélateur, un four et une laveuse (pas de sécheuse).
Les logements seraient chauffés et climatisés aux alentours de 20 degrés Celsius.
Utilisation de l’eau
On pourrait chacun prendre une courte douche chaude chaque jour, avoir de l’eau chaude pour la vaisselle et le ménage, et utiliser des toilettes du type de technologie que l’on connaît.
On disposerait aussi de 10 litres d’eau chacun pour préparer de la nourriture, en plus bien sûr de l’eau bue pour se désaltérer.
Nourriture
Plusieurs personnes à travers le monde, notamment dans les pays riches, devraient faire des changements importants dans leur alimentation, étant donné l’impact important de l’élevage sur l’environnement.
Nos calories devraient provenir à 93% de sources végétales (fruits, légumes, sucre, huile, grains, pâtes, farine, lentilles, etc.).
On pourrait quand même conserver 7% de nos calories d’origine animale, avec une division proposée de 1% de viande rouge, 2% de volaille, 3% de produits laitiers et 1% d’œufs.
Ça équivaut à une consommation d’environ 33 livres de viande par personne par année, soit une réduction de 85% dans des pays comme les États-Unis et l’Australie, et de 50% à l’échelle mondiale.
Ces changements devraient s’accompagner d’une diminution environ de moitié des aliments transformés que l’on consomme à l’échelle de la planète.
Transports
Côté transports, pour un pays avec une faible densité comme le Canada, on pourrait parcourir le kilométrage suivant chaque année pour chaque type de transport:
- Voiture à essence: entre 1700 et 2600 km (selon si on habite en ville ou en milieu rural)
- Train ou métro: entre 3400 et 5200 km
- Bus: entre 3400 et 5200 km
- Avion: 1000 km (l’équivalent d’un aller-retour Montréal-Toronto)
- Marche et vélo: illimité
Pour que ce soit réaliste, il faudrait améliorer de façon importante nos systèmes de transport en commun. Les longs voyages aériens disparaîtraient quasiment complètement de nos vies ou seraient très peu fréquents (plus de 5000 km séparent Montréal de Paris).
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Appareils électroniques
Toutes les personnes âgées de plus de 10 ans pourraient avoir un téléphone intelligent, qui pourrait être remplacé tous les cinq ans.
Côté ordinateur, il y aurait un appareil par famille de quatre, qui serait conservé durant 10 ans.
Ces appareils pourraient être connectés à internet.
Vêtements
Pour les vêtements, il ne s’agit pas tant d’un nombre fixe que d’une philosophie: ceux qu’on a devraient être portés jusqu’à ce qu’ils soient usés avant qu’on en achète d’autre.
La durée de vie de souliers est par exemple estimée à 365 jours de port. Pour les manteaux, il s’agit de 562; pour les pantalons, de 300 et pour les chemises et t-shirts, on parle plutôt de 112 jours.
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Santé, éducation, routes...
Dans le modèle envisagé pour l’étude, on continuerait tous à avoir accès aux services collectifs comme les systèmes de santé et d’éducation ainsi que les routes. Leur impact environnemental, tout comme celui des infrastructures nécessaires pour produire et distribuer les biens mentionnés précédemment, est réparti de façon collective entre les habitants.
L'étude sert à la base à démontrer que tous les humains sur Terre pourraient vivre dans de bonnes conditions, et n’aborde pas des sujets comme l’impact écologique des loisirs et des divers objets que nous accumulons. Il donne quand même une intéressante idée de l’ampleur des changements à faire pour vivre dans les limites de la planète.
C’est plus confortable que ce qu’on pourrait penser: les auteurs écrivent même que leur travail offre une réponse aux «clichés comme quoi les environnementalistes veulent qu’on recommence à vivre comme à l’époque des cavernes».
Trop ambitieux?
Ça vous semble ambitieux? C’est pourtant atteignable: les Québécois vivaient comme ça il n’y a pas si longtemps. «On juge que la quantité d’énergie qui se consommait dans les pays riches dans les années 60, c’est une zone dans laquelle on pourrait se retrouver et qui serait viable. C’était quand même pas la grosse misère», soulève Éric Pineault, professeur à l’Institut des sciences de l’environnement de l’UQAM.
Mais c’est sûr que pour que ce mode de vie soit possible pour tous, beaucoup de décisions doivent être prises au niveau collectif, s’entendent pour dire les experts à qui on a parlé.
Par exemple, c’est difficile de réduire ses trajets d’auto si on n’a pas accès à un bon réseau de transport en commun, si les commerces sont loin de chez nous et si on doit aller le plus rapidement possible au bureau chaque jour vu qu’on y passe 40 heures par semaine.
«Il faut qu’on fasse des choix collectifs qui sont différents, et que nos gouvernements, du fédéral au municipal, créent une architecture des choix qui fasse que le choix le plus naturel, le moins cher, le plus agréable, le plus facile soit aussi le choix le plus écologique. Et on n’est pas dans ce contexte-là maintenant», résume l’écosociologue et professeure à l’UQAM Laure Waridel.
Favoriser l’écoconception et l’économie circulaire, repenser les villes, réglementer plus sévèrement des secteurs de l’économie, limiter l’impact écologique du 1%; les pistes de solution ne manquent pas, soulignent les experts à qui on a parlé.
Mais pour exiger ce genre de décisions des politiciens, c’est important d’être conscient des changements que ça aurait sur notre vie. «Un programme politique qui essaierait de mettre en œuvre cette vision de la transition dans l’état actuel de l’opinion public, ouf, ça ne passerait jamais. Il y aurait une manif de pickups pas mal plus grosse que ce qu’on a vu à Québec!» lance Éric Pineault, qui croit qu’une partie de la solution passe donc d’abord par l’éducation.
Compatible avec le bonheur
Bonne nouvelle : la diminution de consommation peut être tout à fait compatible avec le bonheur, selon les experts à qui on a parlé.
«Réduire les heures de travail, avoir plus de temps en famille, entre amis, à la maison en général... ce n’est pas nécessairement une privation, être plus sobre dans certains de nos choix de consommation», affirme Amélie Côté, analyste en réduction à la source chez Équiterre. «Le temps c’est une denrée vraiment très précieuse. Passer du temps à travailler pour acheter des objets qui ne génèrent pas plus de bonheur... disons qu’on va plus se souvenir du temps qu’on a passé avec des gens que de nos achats.»
Le partage d’objets (voiture, outils, instruments de cuisine) amène aussi un sentiment de communauté qui peut être bénéfique – et intéressant pour le portefeuille. Nos voitures passent la grande majorité de leur temps stationnées, et plusieurs de nos outils ne sont utilisés que quelques minutes par année. Pourtant, on les paie plein prix!
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Un budget environnemental
Ce qui peut aider à imaginer ce changement de société, c’est de garder en tête que l’humanité a – que ça nous plaise ou non – un budget environnemental.
C’est d’ailleurs en constatant la déconnexion entre l’économie et l’écologie que l’économiste William E. Rees a créé en 1992 le concept d’empreinte environnementale, pièce d’assise pour calculer le Jour du dépassement chaque année.
«C’est un outil, s’il est pris au sérieux, qui peut permettre aux pays de gérer leur budget écologique», résume M. Rees, joint par le 24 heures en Colombie-Britannique, où il demeure.
Trente ans plus tard, le concept élaboré par M. Rees reste plus pertinent que jamais.
*Source des données : «Providing Decent Living with Minimum Energy: A Global Scenario», Global Environmental Change, 2020