Le marché des vêtements usagés pourrait bientôt dépasser celui de la fast fashion
Élizabeth Ménard
Le magasinage de vêtements seconde main est de plus en plus populaire, au point où on s’attend à ce que les parts de marché mondiales de ce secteur dépassent celles des marques de fast fashion avant la fin de la décennie. C’est une petite révolution qui se joue dans l’ombre.
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Au centre de tri des friperies Renaissance, situé à Mont-Royal, les vêtements usagés s’empilent et forment des montagnes. Ici et là, on reconnaît des étiquettes: Adidas, Zara, Gap... Dans ce temple du réemploi, les rebuts de la fast fashion convergent et transitent vers leur seconde vie.
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«On est dans un pays capitaliste. Les gens consomment. Mais ici, je sais que ce qu’on fait est utile», fait valoir le gérant de l’entrepôt de 120 000 pieds carrés, Jalal Chantit.
L’industrie mondiale de la revente a atteint une valeur de 36 milliards $ cette année, selon le dernier rapport de thredUP, une plateforme de revente en ligne qui se présente comme la plus grande friperie du monde, récemment entrée en bourse.
La valeur de ce marché devrait doubler au cours des quatre prochaines années pour atteindre 77 milliards $; une croissance 11 fois plus rapide que celle du reste du secteur vestimentaire, selon ces données.
«Nous sommes aux balbutiements d’une transformation radicale du commerce de détail», affirme le pdg de l’entreprise, James Reinhart, en introduction de son rapport.
Un marché lucratif
De grandes marques de mode ont flairé la bonne affaire. Levi’s a maintenant une section seconde main sur son site web. Même chose pour Patagonia. Des designers de luxe comme Stella McCartney rachètent et revendent leurs produits à moindre coût. Au Québec, la marque Womance fait de même et la boutique Simons de la ville de Québec a maintenant une section de vêtements usagés.
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«En voyant ce qu’ils sont capables de revendre une deuxième fois, ils vont voir quels sont les produits qui gardent le plus leur valeur et ultimement miser plus là-dessus», relève l’enseignante à l’École supérieure de mode et chroniqueuse Madeleine Goubau.
«C’est peut-être le début d’une prise de distance avec la mode éphémère, croit-elle. C’est un segment du marché qui est réellement prometteur.»
Sur TikTok, le mot-clic #Thrifted [trouvé en friperie] compte 4,1 milliards de vue.
«J’ai trouvé ceci pour 7$!» lance une influenceuse, une petite robe fleurie en mains. Son public la félicite avec 284 000 mentions j’aime.
«Il y a une démocratisation, un changement chez les consommateurs», remarque le directeur de Renaissance, Éric St-Arnaud.
L’organisme d’économie et de réinsertion sociales a commencé à décliner un changement d’image dans ses boutiques et sur son site web. Le logo, notamment, a été modifié ainsi que le positionnement des caisses en boutiques.
«Ça apporte une clientèle et un environnement de magasinage pour Monsieur et Madame Tout-le-monde, dit-il. L'idée est de créer un environnement le plus intéressant possible pour la mixité et l'inclusion», précise-t-il.
L’usagé, une fierté
Le directeur se rappelle qu’à ses débuts dans l’organisme, il y a près de 15 ans, certains clients avaient l’habitude de retourner leur sac de magasinage à l'envers pour camoufler le logo du Renaissance.
«Les gens étaient gênés de venir. [...] Aujourd’hui, personne ne l’est, toutes les classes confondues. Les gens ont une fierté d’avoir économisé, mais on ajoute maintenant une autre valeur qui est l’environnement», souligne-t-il.
Cette observation est partagée par la journaliste de mode Lolitta Dandoy, autrice du blogue Fashion is Everywhere, qui a fait de la mode seconde main son cheval de bataille.
«C'est devenu beaucoup plus mainstream et je pense que la raison numéro un c’est un intérêt par rapport à l’environnement, juge-t-elle. Dans les dernières années, plus que jamais, on a entendu à quel point l'industrie de la mode était nocive et polluante.»
Elle compte d’ailleurs raviver sa défunte boutique de revente en ligne, qu’elle avait lancée en 2011, puis fermée par manque de clients.
«Je considère qu'il y a enfin un véritable intérêt», dit-elle.
La bataille n’est pas gagnée
Quoi que la revente connaisse un essor fulgurant, c’est encore loin d’être une norme dans l’industrie de la mode, prévient toutefois Madeleine Goubau.
«On n’a jamais été aussi loin dans la fast fashion avec des marques qui créent des algorithmes pour nous soumettre exactement ce qu’on recherche et on est entourés d’influenceurs commandités qui maintiennent le standard», souligne-t-elle.
Selon les données de thredUP, le seconde main atteindra des parts de marché de 18% en 2030, loin devant les 9% de la fast fashion.
Mais la garde-robe du consommateur moyen sera tout de même constituée à 80% de pièces neuves.
«Valoriser la quantité, c’est une façon de consommer qui est tellement ancrée qu’il faut que le changement passe par des gens qu’on respecte, comme des vedettes et des influenceurs, qui vont rendre vulgaire le fait d’avoir trop de choses et d’être constamment habillé différemment», croit Mme Goubau.
Au Québec, les influenceuses qui valorisent la mode seconde main dans la sphère publique sont une minorité.
La bataille ne fait que commencer.
Des montagnes de vêtements
Les friperies Renaissance reçoivent près de 20 000 tonnes d’items par année. Environ 70% sont des vêtements, chaussures et accessoires.
De ce nombre, environ 70% sera vendu dans les boutiques ou au centre de liquidation et environ 30% sera vendu au poids, notamment à des revendeurs qui les expédient dans d’autres pays où il y a un marché pour la mode seconde main ou à des entreprises qui en font des chiffons.
Moins de 1% des textiles seront jetés et seulement lorsqu’ils sont inutilisables (quand il y a présence de moisissures, par exemple). Il en coûte tout de même près de 600 000$ par année à l’organisme pour se départir de façon responsable des items qui ont atteint leur fin de vie utile.
Sites web et applications de revente
- thredUP
- Vinted
- Poshmark
- Marketplace
- Depop