«Lakay Nou»: la force du couple et de la famille
5 questions pour Frédéric Pierre, auteur, producteur et acteur de «Lakay Nou»


Emmanuelle Plante
Voilà 32 ans que Frédéric Pierre, l’acteur, interprète des rôles au petit comme au grand écran. On peut le voir actuellement dans Alertes et Cerebrum. Avec Lakay Nou, il a fait un grand saut, se plongeant dans l’écriture et donnant une voix à une formidable famille dont trois générations d’origine haïtienne résident sous le même toit.
Ce projet, il le porte aussi comme producteur, valorisant le travail d’artistes et artisans issus de la diversité. Un geste qu’on ne peut que saluer. Frédéric est d’ailleurs aussi producteur de la nouvelle comédie Double jeu. Lakay Nou, qui signifie «notre maison» en créole, suit le quotidien d’un couple solide, Myrlande Prospère et Henri Honoré, qui jongle avec la vie familiale, leurs aspirations professionnelles et des valeurs traditionnelles chères à leurs parents.

Quel a été ton plus grand choc comme auteur quand tu t’es mis à l’écriture? Et ton premier constat de producteur?
Comme auteur, qu’il ne faut s’attacher à rien. Aucun flash, aucun gag, aucun dialogue. Écrire, c’est réécrire. Jamais sous-estimer ça. Comme producteur, c’est de constater à quel point les budgets sont fragiles. Il n’y a pas de marge de manœuvre. N’importe quoi qui oscille de 5% ne devrait pas être une catastrophe. On fait vraiment des miracles au Québec.
Est-ce plus facile d’écrire quand on peut entendre la voix des comédiens qui incarnent les personnages?
La première saison [créée avec la collaboration de Catherine Souffront et Angelo Cadet], on ne l’écrivait pas pour nous. Ça n’a donc pas biaisé l’écriture. Pendant la saison, comme je suis aussi sur le plateau, j’ai pu identifier les forces et les faiblesses de chacun. Je connaissais aussi les lieux, la maison familiale. Ricardo [Trogi, le réalisateur] n’a pas eu à refaire sa mise en place. C’est certain que ça a influencé l’écriture. Après, chaque comédien y met du sien. Comme j’ai un background d’acteur, je sais que le texte n’est pas final. Tant qu’on ne perd jamais le sens. Le montage est aussi une forme d’écriture. Le créole, le franglais, c’est dans le texte à la base. Les tirades de Mylande sur les différentes lois, je donne ça à Catherine [Souffront, qui l’interprète]. Elle est avocate de formation. Étrangement, c’est la trame d’Henri [qu’il joue lui-même] qui me donne le plus de fil à retordre.

Il y a quelque chose de très contagieux chez les Honoré-Prospère. C’est beau de voir à quel point on prend soin des plus âgés dans la culture haïtienne. C’est beau de voir aussi les risques que Myrlande et Henri prennent pour s’accomplir. En cette ère de morosité, on aurait à apprendre d’eux.
On n’a jamais voulu passer des messages, mais on me parle souvent de ces valeurs. C’est non seulement ancré dans la culture haïtienne, mais ça sert aussi beaucoup la comédie. Myrlande et Henri sont la génération sandwich. Ils sont solides, solidaires. Ils se disent: «J’ai ton back, babe. C’est us against the world.»
Y a-t-il des thèmes que tu t’es permis d’aborder dans la deuxième saison, mais que tu n’aurais pas osé aborder dans la première?
Je me suis permis d’aller plus loin dans l’humour. J’ai un humour assez noir, assez caustique. Y a fallu que je l’adoucisse un peu. Je suis plus du genre champ gauche. La relation de confiance s’est bâtie. Sinon, je n’ai pas la prétention de faire tomber des tabous, mais j’ai la mission de les aborder. Dans la série, Henri voit une psychologue. Dire qu’on éprouve un problème de santé mentale est encore tabou dans la communauté. Je pense qu’en changeant la représentation, on fait changer les mentalités. Dans la saison un, le grand-père acceptait l’homosexualité de sa petite-fille. C’est une famille juste assez conservatrice et juste assez moderne. Et tout ça doit servir la comédie.
En quoi le sentiment familial qui se dégage de la série se reflète-t-il en coulisse?
On a créé une vraie famille, et ce sentiment se poursuit au-delà des scènes. Les plus jeunes s’assurent que les plus vieux sont confortables. «Mireille, viens t’asseoir. Fayole, repose-toi...» Il y a beaucoup de bienveillance. Il y a une réelle camaraderie sur le plateau.
Lakay Nou
Disponible sur ICI Tou.tv extra