«Tu veux juste arrêter d’avoir mal»: piquée par une tique, elle veut se faire soigner au Mexique
Sarah-Florence Benjamin
Une dame dans la quarantaine a vu son quotidien chavirer après s’être fait piquer par une tique infectée par des bactéries associées à la maladie de Lyme. Accablée par la douleur et la fatigue constante, elle est incapable de trouver un traitement pour la soulager au Québec et doit se tourner vers le Mexique.
Attention: des passages de cet article font référence au suicide.
Un mal mystérieux
Charlotte Labrie-Gagné ne peut pas dire avec certitude à quel moment elle a été piquée par une tique. Ce sont des symptômes inexpliqués qui lui ont fait se douter que quelque chose n’allait pas.
«J’ai commencé par avoir mal aux dents, ça a progressé aux oreilles, puis c’est devenu des migraines, raconte-t-elle. J’ai commencé à avoir des douleurs musculaires à des endroits différents chaque jour et une fatigue de plus en plus grande.»
Les symptômes se sont aggravés, au point où elle n’était plus capable de regarder une source de lumière ou de conduire. Certains jours, elle n’arrive même plus à marcher.
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Après trois ans, un test de dépistage plus précis lui a finalement permis d’obtenir le diagnostic officiel: la babiésose-bartonellose chronique.
Il s’agit d’une co-infection de la maladie de Lyme, soit une infection bactériologique causée par une piqûre de tique, explique le Dr Amir Khadir, infectiologue-microbiologiste au Centre hospitalier Pierre-Legardeur.
«Lorsqu’une tique pique un humain, elle peut lui transmettre différentes bactéries. Ça peut être Borrelia burgdorferi, qui cause la maladie de Lyme, mais aussi Babesia et Bartonella.»
Peu de soins accessibles
Pour pouvoir identifier l’origine de ses symptômes, Charlotte Labrie-Gagné a dû débourser 2800$ pour se faire tester aux États-Unis. Avant le diagnostic, elle affirme avoir eu du mal à se faire prendre au sérieux par les spécialistes qu’elle a consultés au Québec.
«On nous regarde et on ne voit pas qu’on est malades. C’est dur parce qu’on nous ne croit pas. Il y a des moments où je me disais que j’aurais préféré avoir le cancer, parce qu’au moins on sait que ça existe et la marche à suivre est claire», confie-t-elle.
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Une infectiologue au privé lui a permis d’atténuer ses symptômes grâce à un traitement à long terme aux antibiotiques, mais cette spécialiste ne pratique plus aujourd’hui.
«Si je suis capable d’être minimalement fonctionnelle, c’est grâce à ces antibiotiques. Il ne me reste que deux renouvèlements et aucun autre médecin n’accepte de m’en prescrire», s’inquiète Charlotte Labrie-Gagné.
Un traitement au Mexique
Sans médecin traitant pour la babiésose-bartonellose depuis un an, elle a entrepris des recherches pour trouver d’autres traitements. «J’en ai trouvé en Europe, mais ils coûtaient 150 000 $ US», raconte-t-elle.
Il faut toutefois être particulièrement prudent avec «les traitements développés dans la médecine privée parallèle de certains pays», insiste le Dr Khadir. Il déplore que la détresse de gens qui n’ont nulle part où se tourner soit exploitée pour des traitements aux tarifs extrêmement élevés et qui échappent à la réglementation.
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En discutant avec d’autres personnes atteintes de la maladie de Lyme et ses co-infections, Charlotte Labrie-Gagné a appris l’existence d’un protocole de traitement offert au Mexique à un tarif moindre. Le traitement, appelé le protocole Stemaid, vise à revitaliser le système immunitaire du patient grâce à l’injection de cellules souches, ainsi que l’utilisation d’ozone et de plantes médicinales.
Le Dr Khadir n’a pas souhaité commenter le protocole Stemaid, qu’il connaît peu.
Pour pouvoir payer le traitement, qui coûte plus de 60 000 $ canadiens, le conjoint de Charlotte Labrie-Gagné a lancé une campagne de sociofinancement. Sur la page de la campagne, elle informait les donateurs qu’une place s’était libérée dans la clinique pour le 1er mai.
«Je veux aller mieux pour me battre pour les autres»
L’espoir de pouvoir recevoir le traitement au Mexique aide Charlotte à continuer. La douleur et l’isolement sont toutefois difficiles à supporter.
Auparavant très active, elle passe parfois ses journées étendue dans le noir, car les migraines et la fatigue ne lui permettent pas de faire autre chose.
«Je ne peux même pas m’occuper de mon chien, mon chum doit tout faire dans la maison. Tant qu’à continuer à avoir mal et ne servir à rien, j’ai pensé à demander l’aide médicale à mourir», avoue-t-elle.
«Tu veux juste arrêter d’avoir mal, tu n’en peux plus d’être dans ton corps. Juste dans mon groupe [de personnes qui souffrent de la maladie de Lyme et ses co-infections], il y a eu six suicides en 2 ans. Amélie [Champagne] était la dernière. Il a fallu qu’il y ait des morts pour qu’on s’intéresse à notre sort», déplore Charlotte.
C’est une autre des motivations derrière son choix de se faire soigner au Mexique : «Je veux aller mieux pour me battre pour les autres.»
Pourquoi c’est si compliqué d’avoir un traitement antibiotique prolongé?
C’est le résultat «d’une des controverses les plus tenaces de la médecine moderne», selon Amir Khadir: les « Lyme Wars».
Durant les années 90, l’Infectious Diseases Society of America (IDSA) a refusé de reconnaître officiellement les formes chroniques de la maladie et, donc, recommandait des traitements d’antibiotiques sur 2 à 6 semaines.
Bien que des organisations comme l’Institut national d’excellence en santé et en services sociaux (INESS) au Québec ont depuis reconnu la forme chronique de la maladie, des médecins demeurent réticents à prescrire des traitements longs.
Les traitements aux antibiotiques prolongés sur plus de 6 mois sont pourtant nécessaires pour éliminer les bactéries en dormance dans le système du malade, affirme le Dr. Khadir. Mais plus de recherches sont nécessaires pour connaître le nombre de mois précis pendant lesquels on devrait administrer des antibiotiques, ajoute-t-il.
Le Québec dans l’œil de la tempête
La province devra se préparer à faire face à beaucoup plus de cas de maladie de Lyme dans le futur.
«Les tiques se déplacent avec les animaux dont elles se nourrissent. Ces animaux-là se déplacent de plus en plus vers le Nord à cause des changements climatiques. Si le Québec n’est déjà dans l’œil de la tempête, il le sera très prochainement», prévient le Dr Khadir.
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À son avis, il est primordial que les professionnels de la santé soient plus sensibilisés pour mieux diagnostiquer la maladie de Lyme et ses co-infections: «Pour 40 % des patients, les tests biologiques reviendront négatifs. Il faut que les médecins sachent mieux reconnaître les symptômes.»
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