Toutes les faussetés avancées par Robert Poëti à la radio sur les VUS et les autos électriques
Élizabeth Ménard
L’ex-ministre des Transports libéral et actuel PDG de la Corporation des concessionnaires automobiles du Québec (CCAQ) Robert Poëti était au micro de Nathalie Normandeau, lundi, pour dénoncer la campagne contre les VUS de l’organisme Équiterre. Il a fait plusieurs déclarations erronées sur les véhicules électriques, les industries polluantes, les VUS et la sécurité routière. Nous avons décidé de rectifier les faits.
MISE À JOUR: Questionnée à savoir si elle avait l'intention de rectifier les faits, Mme Normandeau nous a plutôt invités à nous adresser à la CCAQ. « Lors de l'entrevue, madame Normandeau a rappelé à monsieur Poëti l'importance de ne pas personnaliser le débat », a souligné par courriel la recherchiste de son émission, Isabelle Lord. L'effet Normandeau est diffusée sur les ondes du 98,5, la radio la plus écoutée au pays.
Robert Poëti et le président du conseil d'administration de la CCAQ, Michel Gaudette, ont refusé notre demande d'entrevue.
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«Il [un véhicule ou VUS électrique] est 100% zéro gaz à effet de serre.»
Faux. Aucun véhicule n’est «100% zéro gaz à effet de serre». Lors de sa construction, un véhicule électrique est responsable de près du double des gaz à effet de serre d’une voiture à essence, ont révélé plusieurs études.
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Son impact environnemental devient moindre que la voiture à essence seulement après avoir roulé des dizaines de milliers de kilomètres.
«Après 150 000 km, le véhicule électrique présente des impacts potentiels de 29% à 65% inférieurs à ceux du véhicule conventionnel, selon les catégories d’impacts considérées», a conclu le Centre international de référence sur le cycle de vie des produits, procédés et services (CIRAIG) dans une étude de 2016, commandée par Hydro-Québec.
«Il n’y a pas d’industrie qui a investi autant [que l’industrie automobile] dans l’électrification des transports.»
Faux. L’industrie automobile n’investit pas dans l’électrification des transports, mais bien dans l’électrification des véhicules. Elle y est d’ailleurs contrainte par la loi au Québec, au Canada et dans plusieurs autres États à travers le monde.
Au Québec, 17,5% des voitures neuves vendues en 2025 devront être électriques, 77,5% en 2030 et 100% en 2035.
L'industrie automobile mondiale a annoncé, l'an dernier, qu'elle prévoit investir 515 milliards de dollars pour des véhicules électriques et des batteries d'ici 2030.
Les investissements totaux des industries de l'aviation, maritime et ferroviaire ne sont pas connus. Aucune donnée ne permet de dire que l'automobile a investi plus que les autres.
«Avez-vous entendu parler d’une compagnie d’aviation qui travaille sur des moteurs d’avion qui abaisseraient le taux de gaz à effet de serre? Zéro. Avez-vous entendu parler de trains, actuellement, qui sont en train de développer des technologies moins, évidemment, nocives? Zéro.»
Déjà plusieurs innovations permettent de réduire les gaz à effet de serre de l’aviation. Un premier avion propulsé au biocarburant s’est posé à Montréal l’an dernier. Au même moment, la NASA testait son premier avion électrique.
Le constructeur Airbus développe un modèle propulsé à l’hydrogène, qu’il espère mettre en marché en 2035.
À compter de 2025, Air Transat s’approvisionnera en carburant durable, un kérosène synthétique fabriqué à Montréal qui aura une empreinte carbone 80% inférieure à celle du carburant conventionnel.
Les exemples sont nombreux.
Même chose pour l’industrie ferroviaire: la compagnie Alstom a produit des trains alimentés à l’hydrogène qui circulent en Europe depuis 2018.
Le Canadien National s’est engagé à la carboneutralité d’ici 2050 et a notamment investi dans l’essai de carburants renouvelables et de locomotives électriques. La compagnie affirme avoir réduit l’intensité de ses émissions de GES de 43% depuis 1993.
«Est-ce qu’on travaille sur les gaz à effet de serre de l’industrie la plus polluante du Québec, la compagnie McInnis de ciment?»
Vrai. Cimenterie McInnis est effectivement l’entreprise qui émet le plus de CO2 au Québec, avec 1 047 904 tonnes en 2019.
À titre de comparaison, les émissions totales de GES au Québec s’élevaient à 84,3 millions de tonnes de CO2 en 2019. De ce nombre, 36,5 millions de tonnes émanaient du secteur des transports, soit 43,3% des émissions de la province.
La stratégie du gouvernement pour abaisser les émissions des industries repose sur le marché du carbone, un système complexe qui n’a pas encore démontré son efficacité, selon plusieurs experts.
À un autre moment lors de son entrevue, M. Poëti affirme qu’«on n’entend rien là-dessus [la pollution générée par la cimenterie McInnis et les autres grands pollueurs du Québec]».
Faux. Cimenterie McInnis est un mauvais élève et la hausse de ses émissions de GES est régulièrement décriée dans différents médias de la province, notamment chaque année dans le dossier Top 100 des pollueurs, publié par le Bureau d’enquête de Québecor.
Les groupes environnementaux, dont Équiterre, sont loin d’être silencieux sur la pollution générée par les industries. Notamment, lors du dévoilement du plan de réduction des gaz à effet de serre de la CAQ en avril, ils ont dénoncé le financement de 1,3 milliard $ alloué au secteur industriel pour l’aider à développer des modes de production moins polluants.
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Québec avait d’ailleurs refusé, dans ce plan, d'imposer une surtaxe à l’achat de véhicules polluants, comme le demandaient les groupes environnementaux.
«Ces véhicules-là [les VUS] consomment moins que d’autres types de véhicules. Est-ce que Équiterre s’est attaqué aux véhicules de 10 ans et plus? En général, des véhicules qui ne sont pas toujours entretenus qui, évidemment, eux, les anciens véhicules, dégagent énormément.»
Faux, avec des nuances. Les moteurs plus récents sont plus efficaces et ils devraient, en théorie, consommer moins. Mais, les voitures récentes sont plus grosses et plus lourdes que les anciens modèles, ce qui fait qu’elles en consomment plus, en réalité.
Par exemple, la Toyota Corolla d’il y a 20 ans pesait 418 livres de moins et consommait 6,8 L/100 km (combinée ville et autoroute). Pour le modèle 2019, c’est 7,6 L/100 km, révélait le Bureau d’enquête de Québecor dans un dossier réalisé à partir de données de la Société de l'assurance automobile du Québec (SAAQ).
«L’amélioration de l’efficacité énergétique ne nous a pas permis d’économiser de l’essence, elle nous a permis d’avoir de plus gros chars. C’est un peu absurde», avait déclaré la professeure spécialiste en génie du transport de Polytechnique Montréal et titulaire de deux chaires de recherche sur la mobilité, Catherine Morency.
«Mme Brazeau n’était pas au monde... je ne veux pas le personnaliser, mais c’est ça. En 78, on n’avait pas tout à fait 3 millions de véhicules dans le parc automobile. Elle a raison de dire que le parc a doublé aujourd’hui. On est presque 6 millions. Savez-vous qu’en 78, on avait 2000 morts sur les routes chaque année que Dieu faisait? Et aujourd’hui, on a moins que 400 morts. Comprenez que, un mort, c’est un mort de trop. Mais il y a 2000 morts de moins chaque année avec le double du nombre de véhicules sur le parc. Si on irait [sic] par un simple calcul, et elle va comprendre ça, en théorie, on devrait avoir 4500 morts, 5000 morts par année. On n’a pas ça, on a moins que 400.»
Vrai, avec des nuances. Il y a effectivement moins de morts sur les routes du Québec aujourd’hui (340 en 2020) qu’en 1978 (1715) alors que le parc automobile a doublé.
La rhétorique, toutefois, est fausse. D’abord, des améliorations significatives ont été apportées au Code de la sécurité routière depuis 1978 et aux véhicules en général qui ont contribué à la baisse de mortalité sur les routes.
Ce qu’Équiterre et sa représentante Andréanne Brazeau avancent, c’est que les VUS sont plus dangereux que les petites voitures, principalement pour les piétons. Plusieurs études, notamment de l’Insurance Institute for Highway Safety (IIHS), l’ont démontré.
Les chercheurs expliquent que ces grosses voitures percutent les piétons au niveau des hanches ou de la poitrine, ce qui leur inflige des blessures plus graves et résulte en plus de décès.
Une autre étude de l’IIHS, publiée en 2018, avait conclu que les accidents mortels impliquant un VUS frappant un piéton avaient augmenté de 81% entre 2009 et 2016.
«L’hiver, et dans bien des cas en dehors de l’hiver, la sécurité des véhicules 4x4 est beaucoup plus élevée et elle sauve des vies. En fait, elle en sauve 2200 par année avec le double du parc automobile.»
Faux. Aucune étude ou donnée disponible à ce jour ne permet de dire que les véhicules 4x4 ont sauvé 2200 vies. Encore une fois, il nous est impossible de savoir d’où M. Poëti tire ces données.
Les petites voitures seraient effectivement moins sécuritaires pour les conducteurs, selon les données de mortalité par type de véhicule de l’IIHS, qui ne prennent pas en considération la vitesse, le type de route et la distance parcourue par jour.