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L'article provient de Bureau d'enquête

Régime à sec à la Ville de Montréal dans la foulée du scandale des dépenses de l’OCPM

La Ville de Montréal coupe drastiquement dans les dépenses d’alcool et de nourriture. Des cadres ont même remboursé de vieilles dépenses

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Dominique Cambron-Goulet et Annabelle Blais

2024-02-06T05:00:00Z
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La Ville de Montréal s’impose un régime à sec en sabrant les dépenses d’alcool et de nourriture. Personne ne souhaitant faire les manchettes comme l’Office de consultation publique de Montréal (OCPM), des cadres en sont même venus à rembourser des dépenses vieilles de plus d’un an.  

À la fin de l’automne, de hauts dirigeants de la Société du parc Jean-Drapeau (SPJD) ont remboursé l’alcool qu’ils avaient consommé lors d’au moins trois réunions tenues entre eux au restaurant, a appris notre Bureau d’enquête.  

Ces dépenses de vin et de cafés alcoolisés, qui totalisent 535$, ont été faites entre août 2022 et juillet 2023. (voir encadré) 

«La direction a révisé sa position étant consciente du fait que certaines pratiques jugées exceptionnelles qui étaient auparavant acceptables ne le sont plus», indique la conseillère en communications à la SPJD, Jessica Gaulin.  

Ce changement de position est survenu au moment où un autre organisme paramunicipal montréalais, l’OCPM, était pris dans un scandale sur des dépenses douteuses de ses dirigeants, notamment dans des restaurants.  

  • Écoutez la discussion d’Alexandre Dubé avec la journaliste Annabelle Blais via QUB :

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Au même moment, la mairesse de Montréal, Valérie Plante s’est engagée à repayer le coût de huit bouteilles de vin facturées aux contribuables pour un souper tenu à Vienne.  

Deux sources à la Ville de Montréal nous ont indiqué que de nombreux services ont repassé leurs factures au peigne fin cet automne, pour s’assurer qu’il n’y avait pas de dépenses douteuses.   

«On était déjà dans un processus où on se questionnait et où il fallait repenser les balises», affirme la directrice générale Véronique Doucet lors d’une entrevue qu’elle nous a accordée dans les bureaux de la SPJD, situés sur l’île Notre-Dame.  

«Mais tout ce qui s’est passé sur la place publique nous a quand même amenés à nous questionner et surtout à accélérer cette transformation», précise-t-elle. 

Mme Doucet précise qu’il n’y avait pas pour autant une culture de dépenses au restaurant à la SPJD.  

La DG n’a pas d’allocation de voiture et se déplace en transport collectif, assure-t-elle. 

Véronique Doucet, directrice générale de la Société du parc Jean-Drapeau
Véronique Doucet, directrice générale de la Société du parc Jean-Drapeau Photo Pierre-Paul Poulin

Base volontaire 

Mme Doucet a ainsi demandé à son équipe de direction de rembourser «sur une base volontaire» certaines dépenses d’alcool.  

Elle a aussi repayé entièrement les boissons alcoolisées d’un repas d’août 2022, à elle seule, après avoir scruté les dépenses depuis son entrée en poste, en avril 2022.  

«On a souhaité faire ce remboursement pour être exemplaire», précise la directrice générale de la SPJD, dont près de la moitié des revenus proviennent des coffres de la Ville de Montréal.  

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Selon la professeure à l’École nationale d’administration publique, Marie-Soleil Tremblay, il s’agit d’une «gestion de risque» de la part de l’organisme.  

«Des comptes de dépenses, c’est accessible en vertu de la Loi d’accès à l’information, donc c’est géré comme un risque. Le bénéfice que ça apporterait de payer l’alcool ne vaut pas le risque réputationnel», analyse-t-elle.  

Pour l’experte en gestion des organismes publics, il est normal que «quand on sort d’un scandale, on ne veuille pas prendre de risque».  

Politique à revoir 

La politique de gestion des dépenses la Société date de 2015, et un flou demeure toutefois en matière des activités de reconnaissance et d’intégration de nouveaux employés, reconnaît Véronique Doucet.  

Par exemple, des bouteilles de vin servies dans un repas pour les adjointes ou dans des partys de bureau n’ont pas été remboursées a posteriori.  

«On va baliser tout ça pour être sûrs que par la suite on soit capables de démontrer la rigueur financière qu’on a», dit-elle. 

Vue de l'île Notre-Dame, faisant partie du Parc Jean-Drapeau.
Vue de l'île Notre-Dame, faisant partie du Parc Jean-Drapeau. Photo Le Journal

LES MONTANTS REMBOURSÉS

  • 17 août 2022 – Restaurant Modavie – six employés: Deux bouteilles de vin et cinq cafés brésiliens pour 216,20$ 
  • 11 janvier 2023 – Les Enfants Terribles – sept employés: Deux bouteilles de vin pour 161$ 
  • 18 juillet 2023 – Les Enfants Terribles – huit employés: Deux bouteilles de vin pour 158,70$  

Saint-Laurent en réflexion 

L’arrondissement de Saint-Laurent réfléchit à revoir les dépenses de ses soirées de reconnaissance, où de l’alcool est servi.  

Ces soirées, qui honorent deux fois par an les bénévoles des organismes culturels et sportifs, peuvent coûter plusieurs milliers de dollars en bouteilles de vin. Celle d’avril dernier a coûté 2242$ aux contribuables.  

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Bien qu’il s’agisse de vin bon marché, Saint-Laurent est l’unité de la Ville de Montréal qui a le plus dépensé à la SAQ dans les dernières années, soit 32 126$ depuis 2016 [NDLR: 0$ en 2020], font état les relevés de cartes de crédit de la Ville obtenus par notre Bureau d’enquête.  

Depuis 2018, Montréal a interdit à ses gestionnaires de dépenser des fonds publics pour de l’alcool dans le cadre d’activités de reconnaissance des employés, comme un party de Noël. De plus, depuis décembre, l’alcool est limité aux activités protocolaires. 

L’arrondissement de Saint-Laurent estime que les soirées de bénévoles ne sont pas visées par ces deux directives, «puisque ces événements ont été organisés en reconnaissance des citoyens et citoyennes de Saint-Laurent».  

Le porte-parole Marc-Olivier Fritsch affirme toutefois que l’arrondissement réfléchit «à la meilleure formule pour limiter [les] dépenses» lors de ces soirées.  

Photo Ville de Montréal
Photo Ville de Montréal

Espace pour la vie: fini l’alcool, même pour les vernissages 

Espace pour la vie, l’organisme qui chapeaute notamment le Biodôme et le Jardin botanique, a décidé d’arrêter de servir de l’alcool dans ses activités et va même plus loin que la directive entrée en vigueur en décembre. En effet, il appliquera la mesure à ses lancements ou vernissages.  

«Espace pour la vie n’offrira désormais plus de boissons alcoolisées à l’occasion de réceptions de cette nature», affirme Isabel Matte, chargée des communications pour l’organisme. 

L’organisme affirme avoir entamé cette réflexion dans la foulée de la mise à jour de certains encadrements administratifs.  

Par exemple, le 26 avril 2023, le lancement de l’exposition et de la série de balados nobElles a coûté 10 000$ en traiteur, dont 1400$ uniquement en alcool. 

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Photo Ville de Montréal
Photo Ville de Montréal

Espace pour la vie réserve ce type de dépenses pour des «événements phares» de sa programmation, soit une à trois fois par année, précise Mme Matte. Deux autres vernissages à l’été dernier totalisent 15 000$. Dans ces événements, on peut compter jusqu’à 200 personnes. Mme Matte souligne que grâce à sa programmation, le Planétarium a accueilli 319 255 visiteurs en 2023, soit «sa meilleure année depuis son ouverture», dit-elle. 

Photo d'archives, Agence QMI
Photo d'archives, Agence QMI

Des directives qui choquent 

Le régime minceur imposé par le directeur général Serge Lamontagne fait grincer des dents auprès d’employés de la Ville.  

«C’est clair que c’est une certaine paranoïa suite aux excès de l’OCPM et du voyage de la mairesse à Vienne», indique une source, qui a requis l’anonymat.  

Depuis décembre, toute dépense de réunion de plus de 100$ doit être auparavant approuvée par un fonctionnaire très haut placé, soit un directeur de service ou d’arrondissement.  

Plusieurs employés nous ont confirmé que cette nouvelle façon de faire irrite à l’interne.  

«On comprend que la Ville doit mieux gérer parce que c’était le free-for-all et les citoyens nous le demandent. Mais on va à l’extrême et on fait de la microgestion», nous confie cette source.  

La directive empêche par exemple des équipes de commander de la pizza s’ils doivent travailler pendant des heures de repas.  

Selon nos informations, on a demandé aux employés du greffe qui supervisent le conseil municipal d’apporter dorénavant leur lunch, bien qu’ils doivent travailler pendant la pause du repas pour inscrire les citoyens venus poser des questions aux élus.  

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Des dépenses qui n’ont plus leur place en 2024 

En 2024, payer de l’alcool aux fonctionnaires est de moins en moins justifiable, jugent des expertes. 

«Ça reste que c’est de l’argent public et l’alcool ce n’est pas une nécessité», affirme la professeure à l’École nationale d’administration publique, Marie-Soleil Tremblay. 

L’experte juge que c’est particulièrement problématique dans les réunions internes. 

«Le contribuable dit souvent: “Vous n’avez pas à me taxer pour payer une bière à un employé de l’État”, dit Mme Tremblay. Ce n’est pas comme une entreprise où le propriétaire dit que ça lui fait plaisir de payer.» 

Elle rappelle aussi qu’il y a un enjeu de santé autour de l’alcool. 

L’enquête sur l’OCPM a, très certainement, alimenté une réflexion qu’avait la Ville sur ses dépenses, mais celle-ci s’inscrivait déjà dans l’air du temps, croit Danielle Pilette, professeure spécialisée en gestion municipale à l’UQAM. 

Cette dernière affirme qu’on assiste, un peu partout en Amérique du Nord, à une montée du cynisme face aux politiciens et aux fonctionnaires, et de cette idée qu’ils profitent de l’argent public. 

Exceptionnel  

À ses yeux, les dépenses d’alcool, mais aussi de repas, doivent être réservées à des événements exceptionnels et non pas chaque semaine ou chaque mois. 

«Les employés sont rémunérés pour travailler, alors pourquoi on leur paierait en plus la pizza? C’est un raisonnement de privilégié», croit Mme Pilette. 

Elle rappelle que les employés de la Ville de Montréal reçoivent déjà de bons salaires. 

«Si on veut mieux rémunérer les employés, qu’on le dise et qu’on ajuste les conventions collectives... Mais pourquoi ça se ferait par la bande de façon non transparente? Parce que ce n’est peut-être pas tout le monde qui bénéficie des repas et de l’alcool, alors on crée des iniquités», explique Mme Pilette. 

Pour Marie-Soleil Tremblay, toutefois, il est important de ne pas tomber dans l’extrême. 

«Mais quand on dit qu’on ne fera plus de partys de Noël parce que c’est l’argent des contribuables, là je trouve ça problématique», dit-elle.  

Le 13 novembre, La Presse révélait que la Ville de Montréal a demandé à ses différents services d’annuler les partys de Noël 2023.

La nouvelle politique de la Ville qui exige une autorisation pour une dépense de repas d’au-delà de 100$ pourrait amener un «sur-contrôle» et une lourdeur bureaucratique, juge Mme Tremblay.   

«C’est une façon de dire qu’on ne veut plus payer pour des frais d’accueil», illustre-t-elle. 

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