Pénurie de main-d'oeuvre: «C’est le cauchemar total»
Soleno n’a pas le personnel pour faire fonctionner sa nouvelle usine de valorisation des plastiques de 10 M$
Diane Tremblay
SAINT-JEAN-SUR-RICHELIEU | Une entreprise de la Montérégie ne peut pas démarrer la production dans son usine flambant neuve évaluée à 10 M$, parce qu’elle n’arrive pas à recruter de nouveaux travailleurs.
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Après avoir surmonté des retards dans la construction et la livraison des équipements, le président de Groupe Soleno, Alain Poirier, espérait démarrer les activités à l’usine de valorisation des plastiques résiduels en février 2021, mais la pénurie de main-d’œuvre en a décidé autrement.
« On est prêt à partir la production, mais on n’arrive pas à trouver du monde. Notre besoin de main-d’œuvre est criant », affirme M. Poirier.
Au printemps dernier, il manquait 70 travailleurs dans l’ensemble des installations de l’entreprise. Même si la situation s’est légèrement améliorée depuis, le nombre de travailleurs n’est pas suffisant pour démarrer les opérations.
« Ici, c’est tout neuf. C’est un projet de 10 M$, mais à cause du manque de main-d’œuvre, on a abandonné l’idée de produire en 2021 », s’est résigné le président.
Payer dans le vide
La décision n’a pas été prise de gaieté de cœur. L’usine de valorisation a été construite dans le but de fournir la matière première à Soleno qui fabrique des tuyaux de polyéthylène à partir de matière vierge et recyclée.
« L’impact financier est énorme. C’est beaucoup d’argent. C’est dans les millions de dollars. On avait anticipé un gain en faisant baisser nos coûts d’approvisionnement et on a une dette avec la nouvelle usine qu’on paye et pour laquelle on n’a pas de revenus. »
M. Poirier affirme néanmoins que la sécurité financière du groupe, qui affiche un chiffre d’affaires de 150 M$, n’est pas menacée.
« Pas du tout et ça n’ira pas là parce qu’on a une belle entreprise qui est financièrement très saine, alors ça n’arrivera pas, même si c’est très déplaisant. Je parle pour Soleno, mais pour tous ceux qui sont en affaires, c’est le cauchemar total. »
S’approvisionner ailleurs
Pour démarrer son usine de valorisation, Soleno a besoin d’une vingtaine de personnes que l’entreprise ne parvient pas à trouver.
L’entreprise, qui emploie plus de 550 personnes, aurait pu aller chercher des travailleurs dans ses autres usines, mais elle n’aurait fait que déplacer le problème.
« J’ai décidé de ne mettre personne ici pour permettre à mes autres usines qui fabriquent des tuyaux de fonctionner. Si j’arrête de fabriquer des tuyaux pour faire de la résine, je ne vends plus de tuyaux. Je ne serais pas plus avancé. »
« En attendant, je m’approvisionne ailleurs, aux États-Unis et en Ontario, au lieu de [nous] autosuffire nous-mêmes, ici, au Québec », se désole-t-il.
Avec un salaire à l’entrée qui dépasse les 19 $ l’heure, M. Poirier estime pourtant qu’il offre de bonnes conditions.
« Quand on cherche de la main-d’œuvre manuelle, c’est extrêmement difficile. Les gens ont beaucoup de choix, alors ils choisissent. C’est de l’ouvrage, trouver du monde », dit-il en terminant.
Des pertes importantes pour le Québec
L’homme d’affaires Alain Poirier, président du Groupe Soleno, s’inquiète de l’impact de la pénurie de main-d’œuvre sur l’économie du Québec.
« Il faut que les gouvernements soient créatifs », lance-t-il en proposant d’éliminer l’impôt sur le temps supplémentaire, une idée rejetée par le ministre de l’Emploi, Jean Boulet.
Néanmoins, M. Poirier est convaincu que le gouvernement y gagnerait au change. « Enlevez-le, l’impôt. Vous allez voir qu’il y en a qui vont lever la main pour travailler et qui vont le dépenser, l’argent », dit-il.
Même s’il perdait des revenus d’impôt, les gouvernements récupéreraient de l’argent sous forme de taxes puisque les dépenses de consommation s’en trouveraient augmentées, avance-t-il.
« Si on était créatif au niveau de l’impôt, une entreprise comme la mienne vendrait encore plus aux États-Unis. Il en reviendrait de l’impôt dans les poches des gouvernements. L’économie roulerait plus fort. »
Travailleurs étrangers
Au moment où il en avait le plus besoin, c’est-à-dire au printemps dernier, le Groupe Soleno cherchait 70 nouveaux travailleurs. Au cours des dernières semaines, l’entreprise a réussi à pourvoir 28 postes, dont 20 par des travailleurs étrangers, mais la nouvelle usine n’a toujours pas démarré.
À l’été, le gouvernement du Canada a conclu une entente avec le gouvernement du Québec pour lancer un projet pilote qui permettra de faire passer de 10 % à 20 % le nombre de travailleurs étrangers temporaires occupant des postes à bas salaire.
« Lorsqu’on va pouvoir bénéficier de cet assouplissement, on va essayer d’avoir encore davantage de travailleurs étrangers », a ajouté M. Poirier pour qui c’est une bonne chose.
Urgence
Bon nombre d’entreprises comme le Groupe Soleno misent beaucoup sur cette solution pour combler leurs besoins de main-d’œuvre. « Le 20 %, y presse ! On ne s’en sortira pas sans les travailleurs étrangers », lance-t-il.
La famille Poirier a fait l’acquisition de Soleno en 1989. Depuis, l’entreprise a connu une croissance très importante.
Aujourd’hui, le Groupe Soleno est composé de 10 sites et centres de distribution au Québec, en Ontario et au Nouveau-Brunswick.