Les animaux de compagnie : ces anges qui réconfortent
Louise Dugas
Nos animaux de compagnie n’ont jamais été aussi bienfaisants que depuis la pandémie. Sans ces «anges gardiens», notre santé physique et mentale serait en piètre état. Témoignages à l’appui.
Nadine Méthot était encore en deuil de son père lorsque la pandémie s’est déclarée, en mars dernier. «Heureusement, convient-elle, j’ai hérité de sa chienne, une border collie avec qui j’ai soigné ma tristesse. Chika, c’est ma compagne de vie, ma chum, mon bébé. Elle est toujours collée sur moi. On dort même en cuillère! raconte Nadine, qui vit seule dans un village de la Gaspésie. Chika m’a aidée à gérer le stress lié à la covid. Sans elle, j’aurais été plus anxieuse et, surtout, totalement isolée.»
Au fil des mois, Nadine est devenue l’aidante naturelle de sa mère, décédée malheureusement en février. «Fragile comme elle était, je ne pouvais pas recevoir l’aide de quelqu’un sans mettre sa vie en danger. J’ai donc dû m’occuper de ma maman toute seule. Chika me faisait oublier la lourdeur que je ressentais certains jours. Aujourd’hui, lorsqu’il m’arrive de pleurer, je regarde ma chienne, qui est tellement vivante! Elle m’aide à tenir le coup.»
Un besoin viscéral
Il est arrivé, au cours de l’histoire, que des millions d’humains sur terre aient besoin du réconfort d’un animal de compagnie. Cela a certes été le cas lors de précédentes épidémies, de conflits armés, de catastrophes naturelles, à cette différence près que cette fièvre est aujourd’hui mesurable sur les moteurs de recherche. À la fin d’avril, l’occurrence de mots clés tels que «adopt a pet» avait augmenté de 335 % sur Google. Le nombre d’adoptions est un autre indicateur. Par exemple, le centre Animatch, à l’ouest de Montréal, confie environ 350 chiens par année à des familles. En 2019, cet organisme cumulait 3500 demandes. En 2020, il en comptait 7500. Plus du double!
«Notre rythme de vie a changé depuis l’arrivée de la covid», explique Mylène Quervel-Chaumette, docteure en éthologie, la science qui étudie le comportement des espèces animales, y compris des humains. «Les gens ont plus de temps, et je crois que ceux d’entre eux qui rêvaient d’avoir un animal ont simplement saisi l’occasion. Cela dit, il y a aussi des personnes qui se sont retrouvées captives à la maison, incapables de satisfaire leurs besoins affectifs. D’autres, aussi, qui ont dû faire du télétravail tout en s’occupant des enfants, et qui ont cru perdre la tête. Leur espoir en adoptant un chat ou un chien, c’est qu’il puisse combler un vide ou changer la dynamique familiale.»
Les animaux en payent le prix
Actuellement, les refuges sont presque vides, et du côté des éleveurs, l’attente pour obtenir un chien de race est de deux ans minimum. Cette frénésie d’adoptions n’est pas sans conséquence. Nombreux sont ceux qui, par exemple, prennent un chien sans trop connaître les responsabilités qui viennent avec. Certains refuges appréhendent évidemment de voir débarquer dans quelques mois une cargaison de toutous mal éduqués, anxieux, agressifs ou qui hurlent à la lune, parce que leurs maîtres sont retournés au travail.
Élise Desaulniers, directrice générale de la SPCA de Montréal, craint beaucoup pour ces bêtes qu’on traite plus que jamais comme des marchandises. Les usines à chiots ou à chatons, où les animaux vivent dans des conditions effroyables, roulent actuellement sur l’or. Un golden retriever affiché normalement à 800 $ se vend maintenant 4000 $ sur les sites de petites annonces. Nos «manufactures» ne fournissent même pas à la demande. L’automne dernier, l’émission Marketplace de CBC (l’équivalent de La facture à Radio-Canada) révélait que, même si les voyages aériens sont restreints, l’aéroport de Toronto fourmillait de chiots venus d’Europe de l’Est et destinés à un ignoble commerce. Lors d’un arrivage, en juin dernier, une quarantaine de bêtes ont été trouvées mortes.
«Beaucoup de personnes adoptent sans le savoir des chiots et des chatons malades, et se retrouvent avec une facture salée en frais vétérinaires, explique Kim Laliberté, membre bénévole au sein de Droit animalier Québec. Tout ça parce que des individus sans scrupules instrumentalisent les animaux sans se soucier une seconde de leur bien-être et de leur sécurité.»
Des crimes crapuleux
D’autres malfaiteurs ont aussi flairé la bonne affaire. En septembre dernier, le Bureau d’éthique commerciale révélait que les Canadiens ont versé 300 000 $ en ligne à des arnaqueurs pour des chiens qui n’ont jamais existé (le double par rapport à 2019). Et il y a un autre type d’épidémie, aussi détestable que l’autre, celle des vols de chiens. Une alerte Raven (l’équivalent pour les animaux de l’alerte Amber) a été lancée après qu’une résidente de la Beauce a vu sa chienne Raven se faire enlever par des motoneigistes. À Mississauga, en Ontario, des crapules ont même kidnappé des chiens à main armée.
Tout le monde veut un animal, même un reptile. Au printemps dernier, des gens venus adopter un chat ou un chien dans un refuge montréalais sont repartis avec des tortues et des rongeurs. À l’Oisellerie Des Petites Familles, dans Lanaudière, les calopsittes (cockatiels) et les conures (deux différentes espèces de perruches) s’envolent à la vitesse de l’éclair. Chez Québec Cichlidés, à Terrebonne, la vente de poissons et d’aquariums atteint un chiffre record. «Nous avons la chance de faire partie des services essentiels, parce que nous vendons de la nourriture pour poissons, mais je pense que nous offrons aussi du réconfort, explique Richelle Cloutier, copropriétaire du commerce. Des clients arrivent chez nous en disant qu’ils sont sur le point de craquer, et lorsqu’ils repartent avec leur petit écosystème, ils ont retrouvé un sourire d’enfant. Admirer un aquarium, ça rend zen et ça agrémente le décor. C’est important durant la covid.»
Transcriptrice de profession, Anne-Marie Cloutier a accueilli Azur, un chat himalayen de 12 ans, six jours avant que Québec impose un premier confinement. «Je vis seule et je sentais que la crise s’en venait, comme en Europe. Lorsque j’ai appris qu’Azur avait perdu ses maîtres et son petit frère, j’ai tout de suite levé la main pour l’adopter. Ce chat a le talent fou de réduire mon stress. Il est vieux, il a mal aux pattes, mais il grimpe encore sur le divan et, le soir, on regarde la télé ensemble. Le matin, il attend devant ma porte pour me dire bonjour. C’est une relation d’amour; il faut connaître ça pour le comprendre», confie Anne-Marie.
Une longue histoire d’amour
Toutefois, ce sont les chiens qui semblent le plus recherchés. Vrai qu’il y a davantage de chats en adoption dans la communauté, mais nous avons aussi une longue histoire en commun avec les chiens. «Nous cohabitons avec les chiens depuis 15 000 ans, voire 30 000 ans selon certaines découvertes (comparativement à 10 000 ans pour les félins), explique Mylène Quervel-Chaumette. Au fil des siècles, le chien s’est modelé à nos habitudes, à nos besoins, et c’est lui qui, aujourd’hui, comprend le mieux nos signaux de communication. D’où notre relation si particulière avec lui. Un chien qui contemple son maître sécrète la même hormone qu’un bébé qui regarde sa maman: l’ocytocine, appelée hormone de l’attachement. En retour, le taux d’ocytocine du maître grimpe lorsqu’il prend soin de son compagnon, comme celui du père et de la mère qui dorlotent leur nourrisson. Nous apprécions les chiens pour l’amour inconditionnel qu’ils semblent avoir pour nous.»
L’été dernier, la famille Perreault-Garceau a adopté Cooper, un adorable fox-terrier. «Ç’a été difficile au début, car je devais me lever la nuit pour l’habituer à faire son pipi, et je trouvais qu’avec quatre enfants, j’avais assez donné, raconte Geneviève Perreault, enseignante à Repentigny. Mais tout le monde s’est vite relayé pour dormir dans le salon avec Cooper et lui apprendre à devenir propre. Cet objectif commun nous a soudés», admet Geneviève. Âgés de 11 ans à 21 ans, Élody, Anaelle, Justin et Éliot n’ont pas assez de mots pour décrire ce miracle à quatre pattes qu’est Cooper. «Avec la covid, je ne vois pas beaucoup mes amis, alors mon chien, c’est mon ami», confie Éliot, le benjamin de la famille. De plus, Cooper s’est révélé un formidable coéquipier au hockey. «C’est notre meilleur joueur de défense», lancent les enfants en riant.
Stéfanie Lalumière, elle, a adopté deux coonhounds, Emmi et Edgar, il y a environ trois ans, et se sent redevable plus que jamais envers ses compagnons. «Mon mari et moi sommes agents de bord et nous avons tous les deux perdu notre emploi à cause de la pandémie. Nos chiens structurent nos journées. Ils nous signalent quand c’est l’heure de se lever, de manger, de prendre l’air. Autrement, nous flotterions dans le vide. Et comme Edgar vieillit, nous profitons de tous nos moments avec lui. Je dis souvent: on n’a pas de job, pas d’argent, mais on est chanceux de passer du temps avec notre vieux avant qu’il nous quitte.»
Le dernier chapitre
Personnellement, j’ai remercié mille fois Dina, ma chienne de 13 ans, de m’accompagner en ces temps difficiles. Les matins où un nuage flottait au-dessus de ma tête, elle était affectueuse, exubérante, et branlait la queue l’air de dire: «On va dehors, hein? Allez!» Mon conjoint et moi sortions alors pour la promener, ce qui nous permettait d’oublier que la courbe des cas d’infections ne s’aplatissait pas du tout, qu’elle s’apparentait plutôt au mont Everest. Malheureusement, trop occupés que nous étions à survivre à la crise, nous n’avons pas vu à quel point sa santé déclinait depuis l’été. Lorsque nous avons conduit Dina à l’hôpital vétérinaire, un dimanche, tard en soirée, j’ai constaté combien l’adoption massive d’animaux faisait pression sur «leur» système de santé. À l’entrée de l’urgence, j’ai dû abandonner Dina à la technicienne, cernée jusqu’au menton, et attendre l’appel du vétérinaire dans la voiture. C’était là le protocole. Le personnel m’apparaissait tout autant à bout de souffle que nos infirmières et préposées aux bénéficiaires. Présentement, il y a un manque criant de vétérinaires, et les cliniques refusent même des clients.
Ce soir-là, j’ai appris que Dina avait une tumeur de 13 cm dans l’abdomen. En janvier, il a fallu me rendre à l’évidence: ma chienne rédigeait la dernière phrase de notre livre. Le temps était venu de la faire endormir. J’ai cuisiné un dernier steak à ma belle, en songeant à l’horrible année que nous venions de passer. J’avais perdu ma tante Hélène, ma deuxième mère. Comme la moitié de la planète, j’avais été affectée par la psychose en direct de Donald Trump et le meurtre horrible de George Floyd. S’ajoutaient à cette liste les fillettes assassinées à Saint-Apollinaire et la mort scandaleuse de Joyce Echaquan. La baleine qui nous avait rendus si joyeux, l’espace de quelques jours, avait sans doute été tuée par un navire. J’ai pensé à la multitude de travailleurs qui avaient perdu leur emploi; aux 10 000 Québécois morts de la covid et à leurs proches qui n’avaient pu leur dire adieu. Et je me suis sentie coupable de sangloter sur mon malheur.
Aujourd’hui, la maison est si silencieuse sans ma chienne que mes oreilles me font mal. En catimini, il m’arrive de scruter les chiens dans Petfinder, comme une veuve zieuterait les célibataires dans Réseau Contact. Je prie pour que Dina, de son nuage, m’envoie un autre ange gardien pour me porter à «bout de pattes» jusqu’à la fin de la pandémie.