Lafleur, un joueur d’exception: avait-on repêché un joueur moyen?
Yvon Pedneault
Sam Pollock avait réalisé des tours de magie pour s’assurer qu’il aurait l’opportunité de repêcher Guy Lafleur.
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Toutefois, dans les nombreuses réunions regroupant les recruteurs et les décideurs de l’organisation, le rusé directeur général du Canadien voulut s’assurer qu’on allait prendre la bonne décision dans le dossier du joueur des Remparts.
Il avait besoin d’être rassuré.
La question était bien simple : Guy Lafleur ou Marcel Dionne ?
Claude Ruel, le super recruteur, était le plus grand défenseur de Guy Lafleur. Pendant quelques années, il avait passé de nombreuses heures à épier l’ailier des Remparts, celui qui semait la terreur dans la Ligue de hockey junior majeur du Québec.
Ruel avait la conviction qu’il allait devenir une grande vedette dans la Ligue nationale, un joueur unique, un joueur qui allait soulever les foules.
Pas étonnant que Pollock se tourna vers Ruel pour trouver des réponses aux ennuis de Lafleur en début de carrière. Les résultats étaient à l’opposé de ceux qu’on avait prévus. Lafleur était-il le joueur que Ruel avait décrit ?
Le doute s’installe
Il lui demande de quitter son rôle de super recruteur pour se concentrer uniquement à son nouveau boulot, celui d’adjoint de Scotty Bowman, et de prendre tous les moyens pour aider son protégé.
Il faut bien comprendre que, dans les bureaux du Forum, l’inquiétude grandissait chaque saison. Tout le monde s’interrogeait, va-t-il connaître une grande éclosion ou encore sera-t-il un joueur moyen ?
Avant le début de la quatrième saison de Lafleur, Scotty Bowman et Ruel avaient demandé une rencontre à Pollock, qui s’était permis une déclaration pour le moins étonnante. Il avait donné à entendre que Lafleur était peut-être un joueur moyen.
« Nous étions en période d’entraînement dans les Laurentides et on avait dit à Sam [Pollock] que Claude et moi allions le rencontrer en fin de journée à son bureau, me raconta Bowman, il y a quelques années. On voulait savoir à quoi s’en tenir avec Lafleur. Plusieurs croyaient qu’à la lumière des résultats des trois premières années, il était un joueur de troisième trio. »
Pollock n’avait pas une réponse. « À vous de trouver des solutions et espérer pour le mieux. »
Blake et Richard
On m’a raconté, il y a plusieurs années, que l’ex-entraîneur de l’équipe Toe Blake n’avait jamais perdu espoir de voir Lafleur devenir un joueur élite dans la Ligue nationale.
Dans une réunion, il avait soulevé quelques points intéressants : « Ce jeune-là passe la rondelle avec une précision inouïe. Avez-vous remarqué comment il atteint la cible ? C’est exceptionnel. Combien de joueurs dans cette ligue peuvent passer le disque comme lui ? Avez-vous noté comment il peut accélérer ? Je crois que ce jeune joueur va réussir. »
Des propos fort élogieux de la part d’un des meilleurs entraîneurs de l’histoire de la concession.
Une remarque que partagea le bon vieux Henri Richard.
D’ailleurs, il lança un message à son coéquipier.
C’était à l’occasion d’un voyage en Californie puisque le Canadien, à l’époque, évoluait dans la division de l’Ouest.
Le Pocket Richard, qui ne connaissait qu’une façon de jouer, celle de garder le pied sur l’accélérateur en tout temps, donna le conseil suivant : « Guy, si tu veux t’en sortir, alors tu vas jouer le style que tu affectionnes. Tu vas leur montrer que tu es un athlète fier, un athlète surdoué. Tu vas jouer comme tu le désires. Si ça ne leur plaît pas, tant pis. »
À partir de la quatrième année, on ne parla plus jamais d’un joueur moyen.
Dans sa chambre d’hôtel
On observa l’un des joueurs les plus spectaculaires de la ligue. Un compétiteur féroce, engagé, un joueur qui ne pensait qu’à la victoire.
Finalement, tout le monde fut rassuré.
Mais, l’aspect financier entra dans le jeu. Lafleur décrocha un contrat de 10 ans avec l’organisation. Un contrat qui lui rapporta 100 000 $ par saison. Quelques heures après avoir signé cette entente, les Nordiques de Québec, de l’Association mondiale, lui proposèrent un contrat de 200 000 $ par année.
Un véritable coup dans les flancs.
Après quelques années, Lafleur, au sommet de son art et joueur par excellence de la Ligue nationale, prit une décision tranchante. Nous sommes en 1978.
Il défia la haute direction de l’équipe. Irving Grundman venait de succéder à Sam Pollock. Lafleur et son nouvel agent Jerry Petrie allaient profiter de l’inexpérience du nouveau patron pour le placer dans une situation délicate.
Son meilleur joueur, le joueur le plus populaire de l’équipe, un patineur qui, au cours des dernières années, avait signé des réalisations exceptionnelles, menace de rater un match à Toronto.
Il veut être rémunéré à sa juste valeur.
« Vous m’accordez ce que je mérite ou je n’endosse pas l’uniforme. »
Un véritable scénario hollywoodien. Lafleur accompagne l’équipe à Toronto, mais le jour du match, il demeure dans sa chambre d’hôtel.
À 16 h, ses coéquipiers partent pour le Maple Leaf Gardens, sans Lafleur qui ne quitte pas sa chambre. Pendant tout l’après-midi, le téléphone sonne toutes les 30 minutes. Jerry Petrie l’informe des développements. Puis, peu après 16 h, la nouvelle tombe : c’est confirmé. Il touchera 300 000 $. Grundman et l’agent prennent l’avion pour Toronto. Lafleur signera son nouveau contrat quelques minutes avant la période d’échauffement.
Ses coéquipiers sont soulagés.
Il termine la saison avec 52 buts et 77 passes pour 129 points. Pendant les séries éliminatoires, il ajoute 10 buts et 13 passes en 16 matchs.
L’amour pour son sport
Le joueur qu’on croyait être un joueur moyen devant des résultats plutôt décevants lors des prochaines années a démontré que son amour pour le hockey et cette détermination à réaliser l’impensable allaient lui permettre de remettre les pendules à l’heure.
Il n’était pas un joueur moyen.
Il a démontré qu’il fut un superbe patineur, un joueur qui laissa les amateurs sur le bout de leur siège à chacune de ses présences sur la patinoire.