Lafleur, un joueur d’exception: un homme fait pour carburer sous pression
Yvon Pedneault
Le temps était plutôt maussade. Habituellement, quand le Canadien se frotte aux Bruins, le printemps nous dévoile un soleil plus chaud, plus rayonnant. Sauf que cette journée-là soulevait des inquiétudes.
• À lire aussi: Lafleur, un joueur d’exception: avait-on repêché un joueur moyen?
• À lire aussi: Lafleur, un joueur d’exception: les années de gloire
• À lire aussi: Lafleur, un joueur d’exception: le crépuscule d’un dieu
C’était au printemps de 1977.
Le Canadien, évidemment, se frottait à son éternel rival des séries : les Bruins. Un affrontement printanier entre les deux formations était pratiquement une tradition.
Inutile de préciser que la passion des partisans des deux équipes avait atteint son plus haut niveau. À Boston, on détestait le Canadien. À Montréal, on se plaisait à savourer les victoires répétées du Tricolore.
Les fantômes
Pendant des années, Harry Sinden, le coloré directeur général des Bruins, tenta d’élucider le mystère des fantômes du Forum. Un mystère qu’il avait lui-même identifié comme étant l’explication des insuccès de son équipe face au Canadien. « Cet amphithéâtre est hanté. Il y a des fantômes. Il n’y a pas d’autres explications pour expliquer toutes les défaites encaissées à cet endroit. Chaque année, des événements étranges se produisent... On ne parvient jamais à battre cette équipe. »
Lors de la série de 1977, les fantômes de Sinden se manifestaient. Ils étaient encore plus nombreux pendant les séries.
Mais les fantômes invitèrent cette fois Guy Lafleur à prendre la relève. Ils n’eurent pas à intervenir... le spectaculaire ailier droit leur demanda de faire profil bas.
Wensink menace Lafleur
Lors d’un match disputé au Forum, Lafleur multiplia les attaques. Compétiteur acharné, il ne rata pas une occasion pour tailler en pièces la brigade défensive de l’adversaire. Il eut un plaisir fou.
Les Bruins firent chou blanc, incapables de trouver un moyen pour freiner ses visites dans leur territoire. Mais Lafleur s’amusa comme larron en foire.
Puis, en troisième période, alors qu’il s’avança à toute vitesse vers le territoire ennemi, chevelure blonde au vent, les amateurs sur le bout de leur siège, il s’élança. Il s’apprêta à effectuer un de ses tirs foudroyants.
Puis, le sifflet du juge de ligne se fit entendre.
Mais, Lafleur ne parvint pas à retenir son élan puisqu’au moment où le juge de ligne intervint pour stopper le jeu, la lame du bâton de Lafleur toucha la rondelle qui atteignit le défenseur Mike Milbury.
Un geste qui souleva l’ire des joueurs des Bruins.
Comme on cherchait une excuse pour intimider les joueurs du Canadien, on prononça la sentence. Le geste de Lafleur sera puni. « On va lui faire sa fête lors du prochain match disputé à Boston, » claironna le dur John Wensink dans le vestiaire de son équipe après le match.
« Ce fut un geste délibéré... », insista-t-il sans convaincre ceux qui prenaient des notes.
Mais, le message laissa des traces.
Il n’y a pas un athlète qui demeure insensible aux propos d’un rival qui le menace de lui faire la vie dure.
La journée du match, les joueurs du Canadien occupaient des chambres au Sheraton Boston. Les séries éliminatoires exigent toujours une préparation spéciale et les athlètes composent avec une pression encore plus écrasante.
À 14 h 30, c’était le calme plat. Dans le hall d’entrée, il n’y avait que les employés de l’hôtel... et Guy Lafleur.
Il faisait les cent pas, laissant au-dessus de lui un nuage de fumée. Flower ne pouvait pas cacher sa nervosité et, surtout, il se préparait à répondre à ceux qui l’avaient menacé deux jours auparavant.
Puis, à 15 h. il quitta l’hôtel. Direction le Boston Garden.
C’était son habitude de se présenter au vestiaire du Canadien très tôt en après-midi.
On a beau carburer à la pression, cette fois-ci, sa tête était mise à prix. Milbury et Wensink avaient déjà annoncé leurs couleurs.
Guy Lafleur allait répondre avec son arme préférée. Celle où il mitraille les gardiens avec ses tirs lourds et cadrés. Il allait semer la confusion chez les défenseurs des Bruins.
Il n’avait pas à trop se soucier de Wensink. Les Bruins n’avaient tout de même pas l’intention de l’utiliser contre le meilleur joueur de la ligue. Milbury ? Un ou deux coups de patin et Lafleur pouvait déborder facilement l’arrière des Bruins.
Mais, avant tout, ce qui importait, c’était la victoire.
Et Flower, avec la complicité de Jacques Lemaire, trouva le moyen le plus redoutable pour fermer le clapet des provocateurs avec une sévère réplique de deux buts et deux mentions d’aide dans un gain de 4 à 2.
Chez les Bruins, après le match, on n’avait pas les mots pour analyser cette attaque foudroyante que venait de leur servir l’ailier droit du Canadien.
Lafleur ne tarda pas à mettre les points sur les « i » et les barres sur les « t ». « Ça ne m’a pas dérangé toutes ces menaces. »
Sous haute surveillance
Tout comme Lafleur trouva amusante la menace, confirmée par la Sûreté du Québec, que des hommes dangereux avaient envisagé de le kidnapper et d’ensuite exiger une rançon à l’organisation du Canadien.
Pendant quelques jours, deux policiers furent chargés de veiller sur lui.
Les athlètes surdoués, ceux qui défient chaque jour l’impensable, composent avec l’adversité en manifestant une détermination leur permettant de se démarquer.
Guy Lafleur a toujours envisagé les défis avec une assurance absolue, avec une confiance inébranlable.
Peut-être que Harry Sinden a finalement compris que les fantômes du Forum avaient tous des noms.
Jean Béliveau, Maurice Richard... Guy Lafleur.
Au fait, le Canadien gagna la grande finale face aux Bruins... en quatre matchs !
2-Mtl: Steve Shutt (8) (Lemaire, Lafleur) AN 7:58
3-Mtl: Jacques Lemaire (5) (Lapointe, Lafleur) AN 8:29
6-Bos: Peter McNab (5) (Middleton, Park) AN 18:34