Des centres d'aide à la grossesse au Québec opérés par des militants antiavortement
Anne-Sophie Poiré
Plusieurs militants antiavortement opèrent au Québec sous le couvert de «centres d'aide aux femmes enceintes». Ces ressources, en forte supériorité numérique comparativement à celles qui sont prochoix, misent sur la peur, la culpabilité et la désinformation pour dissuader des personnes d’interrompre leur grossesse. Voici comment les repérer.
• À lire aussi: Encore des obstacles à l’avortement au Québec
• À lire aussi: L’arrêt Roe c. Wade invalidé: l'avortement pourrait être interdit dans la moitié des États
Plus de 20 centres antichoix sont répertoriés au Québec, selon les organisations interrogées par le 24 heures. Ils se présentent comme des ressources «d’aide à la femme enceinte et en difficulté» ou des endroits où obtenir des «conseils», des «soins» et du «soutien».
Sur leur site internet, ils assurent qu’ils sont «sans jugement».
«Mais, une fois au téléphone, ils évitent de parler d’interruption de grossesse et ils ne vont donner aucun renseignement sur l’avortement, outre des informations erronées», fait valoir la doctorante en sociologie et membre du chantier sur l’antiféminisme du Réseau québécois en études féministes (RéQEF), Véronique Pronovost.
Il est difficile de connaître leur nombre exact, selon Louise Desmarais, militante féministe qui lutte depuis 45 ans pour le droit à l’avortement. Une partie de ces centres se retrouve malgré tout sur le site de l’Alliance Ressources Grossesse, une association qui n'existe plus, mais dont le site web est encore actif.
«Si un centre est membre de ce groupe-là, c’est un gros non», prévient Mme Pronovost.
Au Québec, seuls trois organismes accompagnant les personnes qui s’interrogent sur la grossesse et l’avortement sont reconnus comme «libre-choix»: SOS Grossesse à Québec et en Estrie et Grossesse-secours à Montréal.
• À lire aussi: Avortement: des cliniques canadiennes se préparent à accueillir des Américaines
Miser sur la peur et la culpabilité
«Un avortement peut te rendre infertile et te donner le cancer»; «ça va te faire mal»; «tu veux vraiment tuer ton bébé?»; «on peut regretter un avortement, mais on ne regrette jamais d’avoir eu un enfant»; «il est impossible de se faire avorter après 14 semaines».
«C’est le genre de mythes que ces centres propagent», souligne la directrice générale de SOS Grossesse, Sylvie Pedneault.
«On va questionner la personne à savoir pourquoi elle veut se faire avorter, lui demander: est-ce que tu seras en mesure de vivre avec un avortement sur la conscience?» poursuit-elle.
L’idée est en fait de générer des émotions en misant sur la culpabilité et la peur, surtout.
«On parle même du syndrome postavortement, une condition qui n’est pas du tout reconnue dans la communauté médicale», ajoute Mme Pronovost. «On dit que les symptômes comme la dépression, la détresse ou la toxicomanie peuvent se présenter des années après l’interruption de grossesse.»
Pour Véronique Pronovost, le manque d’éducation à la sexualité au Québec est un des facteurs pouvant mousser le discours antichoix. «On pourrait croire ce que ces centres disent parce que des personnes n’ont aucune éducation sur l’interruption de grossesse», dénonce-t-elle.
«Les femmes se sentent encore coupables de se faire avorter ou de ne pas vouloir d’enfants parce qu’on continue de les éduquer au destin fondamental d’être mère», signale Louise Desmarais. «Dans notre société, la raison d’être d’une femme, biologiquement, c’est la maternité. Elle est faite pour donner la vie. Et si elle ne le fait pas, elle est égoïste parce qu’elle se choisit.»
Qui soutient ces centres?
Ces centres sont financés principalement par des dons religieux et des organisations telles que les Chevaliers de Colomb, selon les expertes interrogées par le 24 heures.
Ils ne reçoivent, en théorie, aucun financement de l’État.
Mais, en maintenant une certaine ambiguïté et en utilisant un langage «sournois», ils réussissent à se frayer un chemin jusque dans les poches du politique.
Une enquête réalisée par URBANIA dévoilait, en février dernier, que deux députés caquistes ont fait des dons à des organismes antichoix, l’Accueil Grossesse Beauce-Appalaches et l’Accueil Grossesse Birthright Drummondville, qui œuvrent sous le couvert de centres de grossesse depuis 2018.
• À lire aussi: Dons à des organismes pro-vie: l’argent du ministère de la Famille impliqué, Lacombe se dit «floué»
De l’argent provenant du budget discrétionnaire du ministre de la Famille, Mathieu Lacombe, leur a aussi été accordé entre 2018 et 2021, selon l’Agence QMI.
En 2011, le ministre de la Santé d'alors, Yves Bolduc, et la députée péquiste Agnès Maltais avaient tous deux octroyé des sommes de leur budget discrétionnaire au centre antichoix Naître ou ne pas naître, à Québec.
«Ces centres sont organisés et on les laisse évoluer. En ce moment, ils ne sont pas les plus dérangeants, mais il y a d’autres forces conservatrices qui continuent de grandir au Québec, et ces ressources antichoix ne sont jamais bien loin», avance Mme Pronovost.
L’experte constate qu’un nouveau groupe semble également soutenir la cause des centres antichoix: les nationalistes anti-immigration qui s’inquiètent de la dénatalité francophone et blanche.
«Il y a des éléments de ce discours nationaliste qui sont récupérés pour nourrir les positions antiavortement», signale-t-elle.