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Zhenya, le chef cuisinier qui a servi 700 000 repas aux soldats ukrainiens

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Photo portrait de Mathieu Carbasse

Mathieu Carbasse

2023-02-16T10:00:00Z
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Kyïv, Ukraine | Un chef cuisinier a décidé de participer à l’effort de guerre en servant chaque jour des repas aux soldats ukrainiens présents sur le champ de bataille. Depuis le début du conflit en février 2022, ce sont ainsi 700 000 repas qui ont été servis.  

La description disponible sur son profil Instagram dit presque tout de lui: «Chef. PDG. Bénévole. Ivrogne.» Quatre mots qui résument à eux seuls la personnalité de Zhenya Mykhailenko, même si le quatrième sera laissé à sa libre appréciation.  

Il n’en demeure pas moins qu’à 37 ans, celui qui se fait appeler Chef Zhenya est l’un de ces héros du quotidien qui participent à l’effort de guerre ukrainien.  

Son arme, c’est un couteau de cuisine; ses munitions, les nombreux dons en nature que le cuisinier aux multiples casquettes amasse via le fonds de charité qu’il a créé avec sa femme, la Magic food army

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«Je me suis réveillé un matin, ma femme était en pleurs car Kyïv venait encore d’être bombardée. Quand tu te réveilles comme ça, tu dois prendre une décision rapide... À la fin de cette journée-là, on servait déjà des repas à la police», se souvient celui qui était jusqu’alors à la tête de la compagnie foodvsmarketing.net qui rassemble six restaurants de ramens et un café dans la capitale ukrainienne. 

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Va alors naître l’idée de servir des repas pour améliorer le quotidien des militaires et encourager la résistance. 

Naissance de la Magic food army 

«On a commencé à cuisiner pour les forces armées lors de la bataille de Kyïv en mars 2022. On cuisinait alors pour 2 bataillons et demi, on leur servait 3 repas par jour. On avait une grande cuisine située dans un bunker et on cuisinait 24 heures sur 24», explique Chef Zhenya dans un anglais impeccable, souvenir de ses six années passées dans des cuisines à Los Angeles. 

«Et puis en mai, on s’est déplacé jusqu’à Zaporijia, près de la ligne de front. On a commencé avec un camion-restaurant. On l’utilisait pour des opérations mobiles. On nourrissait 300 soldats en 150 minutes. On déplaçait le camion, on allait là où les soldats se trouvaient, on préparait et on servait 300 rations de nourriture.» 

Depuis le début de l’invasion russe en février 2022, la Magic food army a ainsi servi près de 700 000 repas aux soldats ukrainiens.  

Et attention, on ne parle pas de plats insipides tout juste bons à remplir la panse. Non, il s’agit de repas cuisinés avec amour, «comme à la maison».  

Crêpes, salade et chaudrée 

«La base de nos repas, ce sont les dons en nature que nous récupérons de la part de la grande distribution ou d’agriculteurs. Par exemple, certains producteurs de porc de Lviv nous envoient directement des morceaux que nous cuisinons. Nous achetons également de la nourriture avec l’argent que l’on reçoit», explique ce grand gaillard aux bras tatoués par sa compagne, Mariia.  

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Des tatouages qui collent d’ailleurs au personnage : sur le bras droit, un couteau de cuisine et des tables de conversion des unités de volume (souvenir de son séjour aux États-Unis où il était obligé de passer d’un système à l’autre); sur le bras gauche, les plantes avec lesquelles il aime cuisiner : gingembre, thym, oignons, etc. Et même son émission télé préférée sur le mollet... 

Photo courtoisie Mariia Mykhailenko
Photo courtoisie Mariia Mykhailenko

Et concrètement, ça ressemble à quoi le menu type préparé pour les soldats ? 

Pour le déjeuner, Chef Zhenya mise sur quelque chose qui leur rappelle la chaleur de leur maison : des crêpes, une salade de fruits, du fromage blanc ou du yogourt avec différentes sortes de baies. En plus des habituels jus de fruit, café et biscuits. 

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«Une à deux fois par semaine, on leur fait des saucisses avec des pommes de terre. Ça, c’est le menu spécial lendemain de veille», résume-t-il dans un éclat de rire.  

Pour le lunch, on reste sur du classique : une soupe et une salade, ou une soupe et un sandwich. 

«Ça m’arrive aussi de préparer une «chaudrée militaire», qui ressemble un peu à la chaudrée de palourdes. C’est une de mes soupes préférées.» 

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Le tout est préparé grâce au soutien de nombreux bénévoles, ainsi qu’à l’aide de soldats qui viennent lui donner un coup de main directement en cuisine.  

Et pour la suite ? 

Parce qu’il demeure persuadé que la guerre est appelée à durer, Chef Zhenya a créé au-dessus de l’un de ses restaurants un lieu d’hébergement pour les volontaires qui affluent de l’étranger. Dans ce lieu en cours d'aménagement, il collectionne des reliques russes récoltées sur le champs de bataille et exposées comme des trophées de chasse.

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Il y a là des restes d’obus, des casques, un lance-roquettes... et de nombreux uniformes russes.  

«Les uniformes ? Je vais les mettre sur des mannequins pour que les gens qui viendront dormir ici puissent jouer aux fléchettes dessus», plaisante-t-il. 

«La Russie ne va nulle part. Et nous n’allons nulle part non plus. Mais nous allons continuer à nous battre tant que nous voudrons rester en vie. La résistance risque de devenir notre mode de vie», admet-il finalement, fataliste.  

«Mais j’espère contribuer moi-même au changement, en me servant de mon fonds de charité et de mon entreprise. J’aimerais améliorer durablement l’alimentation des forces armées mais pour ça, il faut faire évoluer les lois. Je crois être la bonne personne pour le faire.» 


Ce reportage a été réalisé avec le soutien financier du Fonds québécois en journalisme international. 


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