Votre piscine et votre jardin contribuent à la crise de l’eau
Anne-Sophie Poiré
Les piscines, les jardins verdoyants et les voitures propres des personnes bien nanties sont autant à l’origine de la crise de l’eau dans les villes que l’urgence climatique ou la croissance démographique, prévient une nouvelle analyse.
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L’importante différence de consommation d’eau entre les citoyens riches et pauvres a été largement négligée dans la recherche de solutions aux pénuries d’eau, selon l’équipe scientifique derrière l’étude publiée dans la revue Nature Sustainability le 10 avril dernier.
Les solutions jusqu’ici proposées pour contrer la pénurie miseraient à tort sur l’augmentation de l’offre et la hausse du prix de l’eau.
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Selon les experts, la meilleure façon de protéger les réserves d’eau serait plutôt de redistribuer la ressource de manière plus équitable au sein de la population.
L’étude démontre en effet que, si la portion la plus riche d’une population diminue sa consommation d’eau, l’impact sera plus important sur la disponibilité de la ressource que les sécheresses liées à la crise climatique ou la croissance démographique.
L’exemple du Cap, en Afrique du Sud
Lorsque la crise de l’eau a frappé la ville du Cap, en Afrique du Sud, en 2018, après trois années de sécheresse, les citoyens les plus pauvres se sont retrouvés sans suffisamment d’eau pour répondre à leurs besoins de base. Les personnes les plus riches utilisaient alors 50 fois plus d’eau que les plus pauvres, révèle l’étude dans Nature Sustainability.
Un peu plus de 50% de l’eau consommée dans la ville était destinée au groupe le plus riche, qui représente 14% de la population. Le groupe le plus pauvre, qui totalise 62% de la population, n’avait quant à lui recours qu’à 27% de l’eau.
Et la majeure partie de l’eau utilisée par les mieux nantis était destinée à des besoins non essentiels, comme remplir la piscine, bien arroser les plates-bandes ou laver la voiture.
Les restrictions imposées par la Ville pour combattre la pénurie ont atteint 50 litres par jour par personne, soit la recommandation de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) pour vivre de manière décente. Ces nouvelles règles ont obligé les habitants de Le Cap à redéfinir leur rapport à l’eau.
Les riches se sont alors retrouvés au même niveau que les habitants des communes sans eau courante où les conditions de vie et la criminalité sont les pires d’Afrique du Sud, expliquait Le Monde en 2018.
Mais l’effort collectif a payé: la ville a réussi à diviser par deux sa consommation d’eau.
La demande dépassera l’offre
Le Cap est loin d’être un cas unique, assurent les chercheurs.
Plusieurs autres villes du monde doivent consommer à la goutte près. Depuis 2000, plus de 80 grandes villes ont connu des sécheresses extrêmes et des pénuries d’eau, dont Miami, Melbourne, Londres, Barcelone, São Paulo, Pékin et Bangalore, rapporte The Guardian.
Et ces crises en milieu urbain seront toujours plus fréquentes: plus d’un milliard de citadins risquent de se heurter à des pénuries d’eau dans un avenir proche.
En mars, un rapport de la Commission mondiale sur l’économie de l’eau concluait par ailleurs que le monde était confronté à une crise de l’eau imminente. La demande dépassera l’offre de 40% d'ici à 2030.
«Les changements climatiques et la croissance démographique font que l’eau devient une ressource de plus en plus précieuse dans les grandes villes, mais nous avons montré que l’inégalité sociale est le principal obstacle à l’accès des plus pauvres à l’eau pour leurs besoins quotidiens», note la professeure Hannah Cloke, de l’Université de Reading, au Royaume-Uni, coauteure de la nouvelle étude.