Voici pourquoi les projets d’élevages industriels de pieuvres posent problème
Mathieu Carbasse
Des projets d’élevages industriels de pieuvres sont à l’étude par des multinationales, malgré des risques majeurs en matière d’environnement et de santé publique. L'entreprise canadienne Cooke Aquaculture est particulièrement montrée du doigt par les groupes de protection de animaux. Ces derniers pressent Ottawa d’agir.
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Plusieurs groupes de protection des animaux, dont la SPCA de Montréal, Animal Justice, Humane Canada, ou encore Last Chance for Animals, ont déposé dernièrement une pétition à la Chambre des communes.
Marrainée par Elizabeth May, députée fédérale du Parti vert, la pétition demande au gouvernement fédéral d’interdire l’importation des produits de tels élevages industriels, ainsi que tout projet de ferme de céphalopodes (le groupe de mollusques auquel appartiennent les pieuvres) sur le territoire du pays.
C’est quoi le problème?
Ce qui soulève l’inquiétude de la communauté scientifique comme des organismes de protection de animaux, ce sont les graves problèmes éthiques, environnementaux et de santé publique liés à ces productions à très grande échelle.
«Les pieuvres sont fragiles et particulièrement mal adaptées à la captivité», explique Émilie-L. Sauvé, coordonnatrice à la Défense des animaux à la SPCA de Montréal, à l'origine de la pétition.
Ce sont des animaux solitaires, il est donc très difficile de ne pas leur nuire quand elles sont élevées dans des fermes industrielles à haute densité, selon Mme Sauvé qui y voit même «des risques d’automutilation et même de cannibalisme».
Des risques environnementaux...
Au-delà de la question du bien-être animal, ces élevages industriels représentent également «un contre-exemple de la durabilité environnementale», dénonce Émilie-L. Sauvé.
S'agissant d’animaux carnivores, il faut toujours plus de ressources issues de la pêche pour les nourrir, notamment des sardines ou des maquereaux.
«Même si les pieuvres sont nourries avec de l’huile ou de la famine de poisson, on ne règlera pas le problème quand on sait que 20% de la pêche mondiale annuelle est consacrée à la production d’huile de poisson...»
... et de santé publique
«On sait depuis longtemps que les fermes aquatiques à large échelle sont un terrain fertile pour la prolifération des bactéries», explique encore Mme Sauvé.
«Dans le cas de pieuvres, on n’a pas le choix, on doit utiliser des antibiotiques contre différents pathogènes. Ces antibiotiques vont contribuer à la prolifération de bactéries plus résistantes. C’est vraiment une préoccupation que même l’Organisation des Nations Unies a soulevée.»
Une entreprise canadienne dans le collimateur
Une entreprise canadienne est particulièrement dans la ligne de mire des signataires de la pétition: Cooke Aquaculture, une entreprise déjà épinglée pour son manque d’éthique lié à ses activités au Chili.
La multinationale du Nouveau-Brunswick spécialisée dans les fruits de mer serait en effet en pourparlers pour devenir sous peu actionnaire de la multinationale Nueva Pescanova, qui ouvrira en juin prochain la première ferme de pieuvres d’élevage aux îles Canaries.
Selon les chiffres avancés par la SPCA, ce projet représenterait un million de pieuvres par année.
Et sachant que les pieuvres consomment trois fois leur poids en aliments, «ça devient des chiffres préoccupants, d’autant plus qu’on sait aujourd’hui que ce projet prévoit l’élevage de 10 à 15 pieuvres par mètre carré d’eau», affirme encore Mme Sauvé.
«Ce ne sont pas des conditions acceptables.»
Le Canada doit agir
Selon les signataires de la pétition, la position du Canada sur cet enjeu est d’autant plus cruciale que l’Est canadien est un grand importateur de pieuvres.
«C’est un enjeu qui doit être abordé au niveau international et le Canada doit faire sa part. C’est le moment ou jamais de fermer la boîte de Pandore sur ce genre de projets», de conclure Émilie-L. Sauvé.
À noter qu’il n’existe actuellement aucune loi protégeant le bien-être des pieuvres et autres céphalopodes dans les juridictions où l’élevage de ces animaux est actuellement envisagé.