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Un seul juge du Texas pourrait faire interdire partout aux États-Unis la pilule abortive telle qu’on la connaît

AFP
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Photo portrait de Sarah-Florence  Benjamin

Sarah-Florence Benjamin

2023-04-10T20:33:35Z
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Une décision d’un juge fédéral du Texas pourrait interdire la vente de mifépristone partout aux États-Unis, ce qui pourrait constituer un énorme frein à l’avortement, puisque ce médicament est utilisé dans la majorité des avortements médicamenteux au pays. La Cour suprême a pour le moment tranché pour maintenir l'accès, mais l'affaire n'est pas terminée.

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Le juge Matthew J. Kacsmaryk, qui siège à Amarillo, au Texas, a rendu une décision qui vise à suspendre l’approbation de la Food and Drug Administration (FDA) pour la mifépristone, une pilule abortive en circulation depuis 23 ans aux États-Unis.  

Sans cette approbation, le médicament ne pourrait plus être vendu, même dans les États où l’avortement est toujours légal. 

Pourquoi ce jugement?  

Cette décision est le résultat d’une cause portée devant la justice par un groupe de pression antiavortement de la droite religieuse, l’Alliance Defending Freedom (ADF). L’ADF accuse la FDA de ne pas avoir pris en compte les risques associés à la mifépristone lors de son approbation en 2000.  

Le juge Kacsmaryk a déclaré une injonction préliminaire qui suspendrait l’approbation de la FDA pour la pilule abortive le temps de finir d’entendre la cause de l’ADF. 

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Ce juge est connu pour ses positions antiavortement, anti-immigration et contre les droits des personnes LGBTQ+. Avant d’être nommé juge par l’administration Trump, il travaillait pour le First Liberty Institute, une organisation conservatrice et religieuse. 

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Le nombre élevé de causes portées par des organisations du même type dans son district d’Amarillo laisse croire que ces dernières s’adonnent à du judge shopping pour être sûres de tomber sur un juge sympathique à leur cause.  

Ce jugement, déposé le 7 avril, ne prendra pas effet avant le 14, pour donner le temps à la FDA de demander un appel. Le département de la justice, qui représente la FDA, ainsi que le fabricant de médicaments Danco ont déposé une demande urgente à la Cour suprême ce jour-là. 

C’est la première fois qu’une cour aux États-Unis tente de faire retirer des tablettes un produit approuvé par la FDA contre la volonté de celle-ci. Le jugement pourrait avoir un impact important sur l’autorité fédérale en matière de régulation de traitements, comme les vaccins. 

«Si ce jugement passe, il n’y aurait virtuellement aucune prescription approuvée par la FDA qui serait protégée de ce genre d’attaques politiques et idéologiques», a déclaré le président Joe Biden, dont l’administration est engagée à contester la décision du juge texan.  

Le jugement préoccupe les personnes qui défendent le droit à l'avortement.
Le jugement préoccupe les personnes qui défendent le droit à l'avortement. AFP

Qu’est-ce que la mifépristone? 

La mifépristone est le premier médicament administré lors d’un avortement médicamenteux en deux étapes. Il sert à bloquer la progestérone, une hormone qui permet la continuation de la grossesse. 

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La deuxième étape du traitement, le misoprostol, permet de provoquer des contractions et de vider le contenu de l’utérus. Le misoprostol n’est pas visé par l’injonction du juge Kacsmaryk, mais les organisations antiavortement américaines ont pour projet de le faire interdire dans le futur. 

Des comprimés de mifépristone et de misoprostol vendus ensemble.
Des comprimés de mifépristone et de misoprostol vendus ensemble. AFP

Le risque de complications associé à la prise de la mifépristone est moins élevé que des procédures de routine comme l’arrachage de dents de sagesse ou une colonoscopie, avec moins de 1% de cas demandant des hospitalisations.   

La mifépristone est aussi utilisée pour soigner les personnes qui ont fait une fausse couche. Il n’est pas encore clair si ces personnes pourront tout de même se faire prescrire le médicament s’il est interdit pour son utilisation abortive. Sans ce traitement, elles devront subir une intervention chirurgicale pour retirer le tissu intra-utérin ou attendre qu’il soit évacué par le corps, ce qui peut prendre des semaines et implique des risques plus importants pour la santé.  

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L’avortement en deux étapes par mifépristone et misoprostol est disponible au Canada pour les personnes enceintes depuis moins de 9 semaines, sauf en cas de grossesse ectopique.   

La Cour suprême maintient l'accès pour le moment

Sept des neufs juges de la Cour suprême ont décidé le 21 avril de surpendre le jugement du juge Kacsmaryk. Cela signifie que la pilule abortive demeurera disponible jusqu'à ce que la cause amenée devant le juge texan soit terminée. 

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Il ne s'agit pas d'une décision sur le fond de la question, donc il se pourrait que la mifépristone soit de nouveau retirée suite à un nouveau jugement au Texas. 

Seuls les juges conservateurs Clarence Thomas et Samuel Alito ont exprimé une volonté de maintenir le jugement du juge Kacsmaryk. Le juge Alito est à l'origine de l'invalidation de l'arrêt Roe c. Wade qui garantissait l’accès à l’avortement dans tout le pays.

Cette décision s'ajoute à celle déposée par un juge de l’État de Washington le même jour que celui du juge Kacsmaryk. Le juge Thomas O. Rice, qui a été nommé par Obama, a ordonné à la FDA de maintenir l’accès à la mifépristone dans 17 États. 

Ces États sont ceux dont les procureurs généraux avaient intenté une poursuite contre le FDA pour que l’agence cesse de réguler la pilule abortive plus que d’autres médicaments.

Une audience est aussi prévue le 17 mai devant une cour d’appel à la Nouvelle-Orléans, ajoutant un jugement de plus à la tempête légale en cours. 

Et si la pilule est finalement retirée

Si l’approbation de la mifépristone est effectivement retirée, les cliniques d’avortement devront se tourner vers des procédures utilisant seulement le misoprostol. Des avortements par misoprostol seulement sont pratiqués dans les pays où la mifépristone est illégale ou indisponible. C’est cependant légèrement moins efficace et peut demander une intervention chirurgicale à la suite du traitement dans un plus grand nombre de cas. Ce genre de complication demeure tout de même rare et le traitement est aussi considéré comme sécuritaire par l’Organisation mondiale de la santé.  

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Les cliniques ont déjà commencé à accumuler des stocks de misoprostol, comme le traitement unique demande une dose plus élevée que celui à deux étapes.  

Il sera également possible pour les particuliers de se faire livrer de la mifépristone à l’aide de services de télémédecine en provenance d’autres pays, comme l’Inde.  

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Certains experts estiment même que la FDA pourrait prendre la décision de ne pas respecter le jugement, citant les études effectuées depuis 23 ans qui indiquent que la mifépristone est sans danger. Si l’agence estime qu’elle n’a pas le pouvoir de rappeler le médicament et de s’assurer qu’aucun patient n’y a accès, elle peut refuser de se conformer à la décision de la cour. 

Les fabricants des différentes marques de mifépristone vendues aux États-Unis pourraient également poursuivre la FDA pour invalider la décision du juge texan, estiment les experts.  

Malgré ces avenues possibles, le Guttmacher Institute, un centre de recherche sur les droits reproductifs, estime que 2,4 millions de personnes aux États-Unis verraient leur accès à l’avortement de nouveau entravé si le jugement résistait à l’appel. 

Depuis l’invalidation de l’arrêt Roe c. Wade, l’avortement a été déclaré illégal dans 12 des 50 États des États-Unis, alors que d’autres limitent la période durant laquelle on peut interrompre la grossesse.  

- À partir des informations du New York Times, du Guardian, de Reuters, dABC, de lAssociated Press et de Politico 

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