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Tummy Tuck, par Laurence Beaudoin-Masse

Same Ravenelle - Portraitiste
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Laurence Beaudoin-Masse

2021-07-27T12:00:00Z
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Expériences marquantes, réflexions, fantasmes... 10 plumes de chez nous racontent dans leurs mots comment s’est forgée — et continue d’évoluer — leur perception de la beauté.  

Tummy Tuck, par Laurence Beaudoin-Masse     

Feutre noir sur peau claire. Un marqueur sillonne mon ventre, la vallée de peau molle qui pend, qui se répand devant moi. Un amas de chair inutile, surnuméraire. Le feutre glisse, jalonne, définit de nouveaux territoires. D’un côté ce qui reste, de l’autre ce qui sera coupé, ce qui sera jeté. Des graisses aspirées, des muscles cousus, de la peau tendue, un nouveau nombril. Tummy tuck, abdominoplastie. Un morceau de moi qui disparaît. Je mets mon ventre à la poubelle. 

Adolescente, j’occupais chacun de mes centimètres. Expansive, j’ai fait gonfler, craquer mes chairs en sillons violacés, en chemins bleuâtres. J’ai exploré mes limites, renégocié mes frontières. Je voulais contenir mes vides. À force, je suis devenue vaste; à force, je suis devenue immense. 

Adulte, il a fallu maigrir, répondre aux exigences, disparaître un peu. Je me suis retirée, mais la peau est restée. Ventre à marée basse, topographie disgracieuse. Je l’ai toléré, je l’ai caché. Puis des enfants sont venus habiter mes contours. Ils ont donné un sens à mes surfaces molles, distendues, les ont rendues belles, pleines. Ils ont réaménagé l’espace, écarté les muscles, tassé les os, profité. Et ils ont fait leur chemin vers dehors, vers mes bras. 

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Ventre vacant, ventre laid. Il faudrait s’aimer, je sais. Résister aux pressions extérieures. Aux idées reçues, aux idées martelées. Savoir être «parfaitement imparfaite». Résister. Se tenir debout, dire: «C’est assez.» Dire: «Je suis ce que je suis.» Il faudrait s’aimer, j’ai essayé. Je traîne un ventre trop grand, je suis fatiguée. 

C’est aujourd’hui, donc. Me voici. J’ai payé, quatre virements Interac, mis la date à mon agenda, compté les jours. Je suis venue. Tummy tuck. J’avale un gobelet de cachets multicolores, j’enfile une jaquette. Bonne élève, je fais ce qu’on me demande. On prend ma pression, on m’installe un cathéter. Je souris, je fais semblant. J’ai peur, j’avoue. Il y a l’anesthésie générale, et puis la convalescence. Plusieurs semaines à se reconstruire. La douleur aussi, vive, brûlante. Mais le pire, le pire: un mois sans pouvoir tenir mon bébé dans mes bras. On photographie mon ventre. Clic, clic, clic, je souris encore, je souris pour rien, je me dis: «Je pourrais mourir, y laisser ma peau, toute ma peau.» L’idée me hante depuis les quatre virements Interac. La nuit surtout, la nuit, je ne dors plus.

Clic, clic, clic, vertige. Voici ce que je suis prête à endurer, voici jusqu’où je suis prête à aller pour être belle. Je pensais que je n’étais pas de celles qui tombent par vanité, par conformisme. Qui se font retaper, Botox, implants, liposuccion. Je pensais que j’étais meilleure que ça. Me voici, j’ai payé. Je suis face à mes contradictions. Je m’allonge sur la table d’opération. Métal gris, métal froid. Il faudrait s’aimer, je sais.

Je sais.

Le nouveau livre de Laurence, Rentrer son ventre et sourire, la suite, est en librairie.

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