Secrets, mensonges et héritage: l'autrice française Vanessa Springora explore son passé dans «Patronyme»


Karine Vilder
Pour son second livre, Patronyme, la Française Vanessa Springora a mis de côté sa propre jeunesse pour découvrir celles de son père et de son grand-père. Une enquête poignante.
En janvier 2020, la sortie du livre Le consentement a fortement ébranlé le milieu littéraire français. Car dans cet ouvrage-choc, l’éditrice et réalisatrice Vanessa Springora révèle que dès le début de son adolescence, elle est tombée entre les griffes du prolifique écrivain Gabriel Matzneff... lequel était aussi un redoutable prédateur sexuel de 40 ans son aîné.
Toujours en janvier 2020, Vanessa Springora devait être l’invitée principale d’une émission télé très prisée des amateurs de littérature. Sauf qu’elle ne s’est jamais présentée sur le plateau. Le corps de son père ayant été retrouvé plus tôt dans la journée, elle a dû aller l’identifier au plus vite à la demande de la police. Et ce faisant, elle n’a eu d'autre choix que d’entrer dans le modeste appartement de Courbevoie où vivait Patrick Springora.
Pour décrire l’état des lieux, deux mots suffisent: capharnaüm total. Papiers et vieux journaux s’amoncellent partout, et un immense triage s’impose. Mais pour Vanessa, ce sera enfin l’occasion d’essayer de comprendre qui était réellement ce père qui mentait sur tout, même sur l’origine de leur nom de famille.
«Springora est un hapax pur parce que ma famille est la seule à porter ce nom, explique Vanessa Springora. Il n’y a pas d’autres Springora nulle part ailleurs dans le monde. Quand je me suis rendu compte de ça, j’ai compris que si ce nom n’existait pas, c’est que c’était un faux nom, un nom inventé. Donc, ça, je le savais avant de tomber chez mon père sur tous ces documents.»
Percer le mystère
De ces documents, deux photos de son grand-père Joseph en tenue d’escrime ont retenu son attention... parce qu’on peut clairement y voir l’insigne nazi. Une découverte qui va bouleverser Vanessa Springora au point de la pousser à en apprendre davantage sur son passé familial.
«Quand j’ai commencé l’enquête, je n’étais pas du tout sûre d’en faire un livre, confie-t-elle. La première partie de mon voyage m’a amenée en Bohême, à Prague, où j’ai eu des rencontres avec des historiens et des gens travaillant dans des instituts d’archives ou de l’état civil. Je suis partie ensuite en Moravie dans la ville natale de mon grand-père, à Zábřeh. J’ai souvent un carnet dans ma poche ou dans mon sac, et je prenais des notes au fur et à mesure. C’est ma façon de réfléchir. Pour moi, l’écriture est vraiment un outil pour prendre de la distance par rapport aux événements que je traverse et au bout d’un moment, j’ai réalisé que le livre était là, qu’il était en train de se fabriquer tout seul!»
On parle ici de Patronyme, qui vient juste de paraître en librairie.
«En vérité, j’aurais pu écrire deux livres, ajoute-t-elle. Un sur mon père, et un autre sur mon grand-père. Il y avait la matière pour le faire. Mais j’avais envie de relier les deux parce que je voulais montrer la façon dont les non-dits atteignent les générations qui suivent. Il a été difficile pour moi de me situer avec ce nom étranger auquel on me renvoyait toujours quand j’étais petite sans que je puisse dire beaucoup de choses, parce qu’on ne m’avait rien transmis de la culture tchèque. Et pour cause puisqu’en réalité, mon grand-père était allemand tout en ayant la citoyenneté tchécoslovaque.»
Au nom du père
En cherchant à découvrir tous les mensonges et les secrets se cachant derrière son patronyme, Vanessa Springora nous offre un récit passionnant qui aborde aussi des questions beaucoup plus larges, comme l’hérédité, l’héritage ou le poids du patronyme.
«C’est toujours un pari de savoir si ce qu’on écrit va intéresser au-delà de soi, dit-elle. Mais je trouve que la vie de mon grand-père est quand même incroyablement romanesque. Cet homme est né dans un pays qui a changé cinq fois de frontières, de régime, de langue. Il a adhéré aux idées néonazies, s’est engagé dans la police, est parti vivre à Berlin, a été mobilisé et envoyé en France, a rencontré ma grand-mère, a déserté l’armée allemande, a été arrêté deux fois, a travaillé pour les Américains et a fini par obtenir le statut de réfugié politique en changeant d’identité et en racontant une fable aux autorités françaises.»
«Même si je n’ai pas pu élucider toutes les zones d’ombre de sa vie, je crois que j’ai percé le mystère principal de mon père et de sa mythomanie galopante. Tout ça renvoyait en fait à un mensonge originel sur la véritable identité de son père. Ce livre m’a permis de me réconcilier avec lui, même si c’est de façon posthume. Je suis contente d’avoir compris que c’est pas qu’il m’aimait pas, c’est qu’il était pas capable d’aimer. Sa relation avec son père était tellement conflictuelle qu’être père à son tour n’était pas possible dans son esprit.»

Patronyme
Vanessa Springora
Éditions Grasset
368 pages