Pourquoi cette députée ukrainienne veut absolument légaliser le mariage gai pendant la guerre


Mathieu Carbasse
La députée ukrainienne Inna Sovsun, 38 ans, a déposé dernièrement un projet de loi visant à légaliser le mariage entre personnes de même sexe. En entrevue à 24 heures, elle explique notamment comment cette avancée pourrait bénéficier aux soldats sur la ligne de front.
L’Ukraine vient de faire un premier pas vers la légalisation du mariage pour toutes et tous. La semaine dernière, la députée Inna Sovsun, a en effet déposé un projet de loi devant la Verkhovna Rada, le Parlement ukrainien, ouvrant la voie à la légalisation du mariage entre personnes de même sexe.
Cosigné par 18 députés, dont 11 issus du parti Serviteur du peuple du président Zelensky, le texte a été enregistré et sera donc débattu lors de la législature en cours.
Professeure de science politique, Sovsun a été la plus jeune vice-ministre de l’histoire de son pays en 2014, à l’âge de 29 ans. Membre du parti d’opposition Holos (centre-droit, pro-européen) et élue à la Rada depuis 2019, elle milite pour la reconnaissance officielle des relations homosexuelles.
24 heures s’est entretenu avec elle.
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Pourquoi avez-vous décidé de déposer un projet de loi autorisant le mariage de personnes de même sexe?
Je pense que le travail d’un politicien est de s'assurer que les gens soient heureux. Comment? De quelle manière? Avec qui? Dans quel type de relations? Ils sont heureux, c'est à eux de décider.
Il existe aujourd’hui une discrimination à l'égard des personnes qui ont des relations homosexuelles parce que nous ne reconnaissons pas officiellement leur relation. C'est un problème qui dure depuis très longtemps.
En quoi le contexte de la guerre pourrait-il favoriser l’adoption de ce projet de loi?
Il y a des personnes de la communauté LGBT qui servent dans l'armée. Ces dernières sont très inquiètes que le gouvernement ne reconnaisse pas leur relation, ce qui a des implications très pratiques.
Tout d'abord, si elles sont blessées, elles veulent s'assurer que leur partenaire puisse prendre des décisions médicales à leur place, si jamais elles sont inconscientes, par exemple. Lorsque deux personnes sont mariées, c'est le conjoint qui prend la décision.
Mais pour les couples de même sexe, c'est impossible?
Règle générale, ce sont les parents qui prennent ces décisions. Mais les parents ont différents niveaux de compréhension des relations. Certains parents diraient «d'accord, nous allons quand même consulter le partenaire», mais d'autres parents sont en fait dans le déni.
Si les personnes sont tuées au combat, elles veulent s'assurer que leur partenaire est en mesure de prendre les décisions relatives à l'enterrement, à la succession, etc. Il y a aussi le fait que le partenaire de ceux qui sont tués au combat bénéficie de certains avantages sociaux. Il est injuste que les personnes en couple avec des personnes de même sexe ne puissent pas en bénéficier.
Il s'agit en fait de faire en sorte que les gens ne soient pas discriminés en fonction de la personne qu'ils aiment. C'est très simple.
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Selon vous, la population ukrainienne est-elle prête à accepter des unions entre personnes de même sexe?
Les études sociologiques les plus récentes montrent que 56% des Ukrainiens sont favorables aux unions entre personnes de même sexe. C'est un chiffre très positif. En fait, il n'a jamais été aussi élevé qu'aujourd'hui.
L’une des raisons est la présence de personnes LGBT au sein des Forces armées ukrainiennes. Le haut niveau de respect et de confiance qu'inspire notre armée au sein de la population transcende en quelque sorte les militaires LGBT.
C'est d'ailleurs une très bonne chose que de nombreuses personnes gaies qui servent dans l'armée aient fait leur coming out. Il existe aussi une organisation de militaires LGBT, ils sont actifs sur Facebook, ils racontent leur histoire. Le fait de servir dans l'armée les a propulsés sous les feux de la rampe, si l'on peut dire. Ils sont devenus visibles pour la société.
Quand j’en discute avec mes collègues de la Rada (l’équivalent de l’Assemblée nationale, ndlr), même les plus conservateurs, chaque fois que je leur dis que ce sont des militaires qui demandent qu’on officialise leur union, alors c'est comme si nous ne pouvions pas dire non aux militaires dans la situation dans laquelle nous nous trouvons aujourd'hui...
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Est-ce aussi une façon de s’opposer à Poutine?
Poutine est extrêmement homophobe. Pour l'État russe, l'homophobie fait partie intégrante de l'idéologie nationale. De plus en plus de gens le comprennent et se disent que si nous sommes différents de la Russie, alors nous ne devrions pas être homophobes.
Chez certaines personnes, l’argument de l’égalité au niveau des droits de l'homme ne fonctionne pas. Mais l'argument «OK, Poutine est homophobe, tu veux vraiment être comme Poutine?» C'est quelque chose qui marche aussi!
Cet enjeu semble donner à l’Ukraine l’occasion d’affirmer certaines valeurs...
Nous sommes des Ukrainiens, nous sommes différents des Russes. En quoi ? Nous sommes différents parce que la liberté, les droits de l'homme, la démocratie, ce sont des choses qui comptent pour nous. Est-ce que nous sommes une démocratie parfaite? Non, pas du tout. Mais ces valeurs font partie de notre ADN, de notre identité.
Et je pense que si vous reconnaissez cela, vous ne pouvez pas continuer à refuser des droits aux personnes qui sont différentes de vous.
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Selon vous, le contexte est donc propice à des avancées sociales majeures en Ukraine?
Désormais, ce n'est plus 50 nuances de gris. C'est noir ou blanc, et il suffit de choisir. Par exemple, si nous choisissons le blanc, c'est comme s’il n’y avait plus qu’une seule route. Et on ne peut pas choisir parmi différentes nuances. Je suis désolé pour l'analogie bizarre (rires).
Les gens se disent, «nous sommes visés par la Russie, nous ne voulons pas être comme la Russie, nous détestons la Russie». C'est le sentiment général de 98% de la population. Il y a donc un choix géopolitique à faire. Ce choix, c'est l'Europe. Et l'Europe, c'est le respect de la dignité humaine, le respect des droits de l'homme, etc.