Gai, il fait partie de l'armée LGBT+ d'Ukraine: «Je suis prêt à descendre dans la rue pour tuer des Russes»
Mathieu Carbasse
Comme pour des millions de ses compatriotes, la vie de Volodya a basculé le 24 février dernier, jour du lancement de l’offensive russe en Ukraine. Préparation de cocktails Molotov, entraînement au maniement des armes, bénévolat auprès de l’armée LGBT+ ukrainienne: le jeune activiste participe à sa façon à la résistance. En plus de se préparer au combat. Voici son histoire.
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Avant le 24 février dernier, Volodya Viznyak semblait avoir trouvé sa voie. Le jeune graphiste de 21 ans travaillait depuis trois mois pour les bureaux ukrainiens d’une entreprise allemande situés à Kyïv, la capitale du pays qu’il avait rejoint un an auparavant.
Dans la foulée de son coming out, il multipliait parallèlement les collaborations avec des organismes LGBT+ tels que KyivPride ou Gender in detail, qui s’intéresse à la place des hommes dans le féminisme.
Et puis les bombes ont commencé à pleuvoir dans le ciel d’Ukraine.
«Dans les premiers jours du conflit, la majorité de mes colocataires ont décidé de fuir. Alors, quand j’ai vu que tout le monde quittait les lieux, j’ai traversé un moment de panique. À tel point que je me suis retrouvé à la gare avec mon sac, prêt à partir», confie le jeune homme au visage enfantin.
Mais une rencontre va bouleverser le cours des choses.
«Alors que j’attendais mon train, j’ai rencontré mon ami Pylyp. Il était là pour aider à l’évacuation des gens vers d’autres régions de l’Ukraine. En lui parlant, je me suis rendu compte que je ne voulais pas réellement partir. En fait, je crois plutôt que je me sentais seul, avec plus aucun ami autour de moi. Pylyp m'a apporté son soutien, son calme, car c’est quelqu’un qui ne panique pas.»
Et Volodya a donc finalement décidé de rester et de participer, à sa façon, à l’effort de guerre.
Pendant les jours suivants, il passe son temps à la gare pour aider à son tour les gens à s’enfuir, «notamment les personnes âgées, les gens avec des enfants, ou les personnes qui ont simplement du mal à monter dans le train, avec leur sac et leurs affaires».
Il travaille aussi pour des Ukrainiens qui ont fui mais qui veulent récupérer des objets précieux laissés derrière eux. «J’allais dans leur maison, je ramassais quelques objets de valeur et je leur envoyais le tout par la poste», explique-t-il.
C’est d’ailleurs comme ça qu’il a recueilli les poissons qui nagent désormais dans l’aquarium de son appartement kiévien.
Une armée pour les combattants LGBT+
Impliqué depuis le plus jeune âge dans des actions de bénévolat en faveur de la défense nationale, il décide tout naturellement de prêter main-forte aux forces de défense nationale.
«Au début, je les aidais à préparer des cocktails Molotov. J’ai aussi appris les rudiments de la guerre comme le maniement d'une arme – j’ai notamment appris comment assembler et désassembler une arme – ou à me déplacer sur le champ de bataille, une arme à la main», confie le jeune homme qui porte fièrement un chandail sur lequel on peut lire: «I am Ukraine. I love freedom» [Je suis l’Ukraine, j’aime la liberté].
«Je sentais que j’avais besoin de passer à travers cette expérience, cet apprentissage, car on ne sait pas de quoi demain sera fait. Ça peut servir un jour.»
En plus de son engagement auprès des forces armées, Volodya participe à des opérations de bénévolat auprès de l’armée LGBT+ ukrainienne.
Cette communauté de plusieurs centaines de membres est intégrée à l’armée régulière ukrainienne et regroupe les soldats, vétérans et nouveaux appelés gais du pays.
Facilement reconnaissables grâce à la licorne qu’ils arborent fièrement sur leur bras, les membres de cette armée non conventionnelle participent à faire tomber les stéréotypes qui persistent encore dans l’armée et dans la société, «comme le fait que les gais ne sont pas capables de se battre», explique Volodya.
«J’ai un ami de la région de Lviv, qui sert désormais dans l’armée. Il est ouvertement gai, tout le monde dans son unité sait qu’il est gai. Il porte la licorne sur son uniforme, ça l’aide à s’ouvrir. Ce petit bout de tissu est très précieux.»
L’armée LGBT+ ukrainienne permet aussi aux combattants issus de la communauté gaie qui feraient face à des situations d’homophobie d’être protégés par certains de leurs pairs.
«Ceux qui seraient responsables de ces attaques homophobes pourraient être changés d’affectation ou même exclus de l’armée. L’armée LGBT+ d’Ukraine apporte d’ailleurs aussi du soutien psychologique aux victimes d’actes homophobes», explique-t-il encore.
Être gai en Ukraine en 2022
Si la création de l’armée LGBT+ d’Ukraine en 2018 a permis de faire avancer la cause LGBT+ dans les corps militaires et dans le pays, c’est aussi parce que l’Ukraine a fait de nombreux pas en faveur des droits LGBT+.
«Quand je vivais dans une petite ville, je ne prononçais même pas le mot “gai”, je n’en parlais à personne. Mais dès que j’ai commencé à vivre dans des plus grandes villes, je me suis rendu compte que les choses n’étaient pas aussi mauvaises que j’aurais pu le penser», confie Volodya qui mesure le chemin parcouru ces dernières années.
«Pour les gais en Ukraine, je crois que la situation est plutôt bonne. Chaque jour, on fait un pas de plus. Aujourd'hui, tous mes amis savent que je suis gai, ma famille sait que je suis gai. Même certains parents qui vivent dans des petits villages éloignés sont au courant. Je ne leur en ai pas parlé directement, je n’en ai pas besoin.»
Mais en dépit de la guerre, il reste «encore du travail à accomplir» et c’est pour cette raison que Volodya s’implique au quotidien. Par peur aussi de l’envahisseur russe.
«Dans les premiers jours de la guerre, de nombreux sites LGBT+, des groupes sur Facebook et même l’organisation de la Fierté ukrainienne ont partagé des mises en garde disant que quiconque a un profil sur des applications de rencontre gaies, comme Grinder ou Hornet, devrait le supprimer ou changer de photo. La raison derrière ça, c’était que les Russes pourraient essayer de les identifier si d’aventure ils prenaient le contrôle du pays», prévient-il.
«C’est effrayant d’y penser. Les Russes ne manifestent pas le moindre intérêt ni le moindre support à la cause LGBT+. Dans leur pays, la “propagande” LGBT+ est criminalisée. Il n’est même pas question d’imaginer de participer à la Fierté. Ça fait vraiment peur.»
Prêt à tuer, malgré tout
Et à la question de savoir s’il serait prêt un jour à aller sur le champ de bataille ou à mener des opérations de guérilla urbaine, la réponse de Volodya est franche, directe.
«Depuis le début de la guerre en 2014, il y a huit ans déjà, je n’arrête pas de me poser la question: “Est-ce que je serais capable de tuer quelqu’un si je le devais?” Depuis le 24 février dernier, j’ai commencé à avoir la confirmation que, s’il le fallait, et avec un peu d’entraînement militaire en plus, je le ferais», avance-t-il, sans le moindre doute dans la voix.
«S’il le fallait, je prendrais volontiers les armes, et je descendrais dans la rue pour tuer des Russes.»