Entrevue: l'insolente (mais intègre) Mariana Mazza se livre sans censure
Catherine Gendreau
À l’aube de son trentième anniversaire, l’humoriste reconnue pour son franc-parler revient sur Femme ta gueule, nous parle de son image publique, de son prochain show, et nous invite au débat... et à la modération.
Je devais être plus stressée que je n’osais l’admettre, puisque j’ai réussi l’exploit de ne pas voir Mariana Mazza lorsqu’elle est entrée dans le sympathique café d’Hochelaga-Maisonneuve, son quartier, où elle m’avait donné rendez-vous.
Une quinzaine de minutes plus tard, je finis par la rejoindre à une grande table du fond, avec mon café tiède et ma gêne confuse. «C’est pas grave, ça arrive», me rassure Mariana, emmitouflée dans une grande écharpe dont émerge son visage nu et sa longue chevelure remontée en toque relax.
La fin de Femme ta gueule, les débuts d’Impolie
Mariana a officiellement fait ses adieux à la tournée de Femme ta gueule, et sorti le film du même nom pour immortaliser ce premier one woman show qui lui a valu le Félix du Spectacle d’humour de l’année au Gala de l’ADISQ 2017 et l’Olivier de l’année 2017.
Plus de 300 000 billets vendus et trois ans de tournée, deux rôles au cinéma (Bon Cop Bad Cop 2, De père en flic 2), des chroniques à CKOI et son travail de juge à l’émission La magie des stars: on peut dire que Mariana n’a pas chômé ces dernières années! «C’est sûr que je suis fatiguée. C’est aussi pour ça que j’ai décidé de lâcher la radio, ça me demandait beaucoup d’énergie et j’en avais moins pour le reste; il fallait choisir, et c’était le meilleur choix.»
S’écouter semble effectivement de plus en plus important pour la jeune humoriste qui a connu un début de carrière fulgurant. «Fin août, je vais lancer Impolie, mon deuxième show, mais je me suis imposé des limites, je vais faire seulement 100 représentations. Ça va être la même chose pour Polie, la suite, qui débutera en 2022. Après 450 shows de Femme ta gueule, soit je prenais deux ans de break, soit je continuais, mais autrement.»
Et de quoi parlera Impolie, justement? «Je vais aller encore plus loin qu’avec Femme ta gueule, qui était une carte de visite, en quelque sorte. Je me suis fait connaître comme ça, mais je n’ai plus besoin d’aller séduire les gens. Ceux qui m’aiment vont me suivre, les autres ne m’aimeront pas plus avec ce show-là.»
Modèle malgré elle
Au cours des dernières années, l’humoriste a posé dénudée en couverture du Voir et publié plusieurs photos d’elle peu vêtue sur Instagram, dans la lignée des mouvements d’acceptation de soi et de diversité corporelle.
Interrogée sur son rôle de modèle pour les adolescents et la pression qui en découle, Mariana est catégorique: «On a décidé que j’étais un modèle, mais moi j’ai jamais demandé ça; j’ai jamais voulu être porte-parole des ados! Si je lâche un “tabarnak”, des adultes s’énervent – “Voyons donc, quelle image ça donne aux jeunes?” –, c’est ridicule! On prend les ados pour des imbéciles; ils choisissent eux-mêmes qui sont leurs modèles, et si c’est moi, qu’est-ce que ça change que je sacre? Je ne suis pas en train de les inciter à commettre des crimes, quand même! Si je porte un chandail moulant, on me le reproche, ça n’arrête plus. Je n’ai pas à me justifier constamment, surtout pas pour mon apparence: on m’aime pour ce que je fais, pas parce que je m’habille de telle façon ou que je m’exprime de telle autre!»
On ne peut évidemment pas s’empêcher de faire un lien avec quelques controverses dont elle a été l’objet sur les médias sociaux. «Les gens vont toujours trouver des raisons de m’insulter. Certains attendent juste ça, et avec Internet et les réseaux sociaux, c’est facile. Je ne serai jamais la fille parfaite, toute propre et réservée.»
Sans compromis, mais avec modération
On ne peut certainement pas reprocher à Mariana de ne pas affronter la critique et de fuir le débat.
«On est plates au Québec, je trouve. On pense que tout le monde est beau pis fin, mais c’est pas vrai! On n’a pas de vrais débats, et quand on y arrive enfin, oups, on passe à la pause. Je trouve ça vraiment dommage qu’on soit incapables de discuter.» Incapables de discuter, ou incapables de le faire avec discernement et nuance?
«Ce qui est fou, c’est qu’on est outrés par des affaires dites dans une émission de magie, mais pas pour les choses importantes. Quand il y a de vrais enjeux, on demande leur avis à des humoristes et à des vedettes. C’est pas parce que ma mère est Libanaise que je connais tout sur la guerre du Liban! Pourquoi on ne demande pas à des vrais experts de nous parler de ces enjeux-là? Ça serait bien plus pertinent et nuancé. Pourquoi on est juste dans l’émotion? On utilise nos tribunes pour lyncher le monde! J’essaie d’être plus modérée, je pense que je le suis pas mal plus qu’avant. Je prends de la distance, du recul, et je le conseille à tout le monde, ça bouffe trop d’énergie pour rien, sinon.»
On revient encore à l’énergie, le thème du jour, on dirait. «Les gens devraient gérer leur shit au lieu de regarder la vie des autres. Pourquoi on s’inquiète de mon tatouage d’Éric Lapointe? Occupez-vous de vos enfants, de vos chums, de vos blondes, de votre job, de vos finances! C’est fou l’énergie maladive qu’on dépense, qu’on met sur les autres! On a un problème!»
Est-ce qu’elle pense que c’est particulier au Québec? «Je pense que c’est partout pareil. Je réfléchissais à ça ce matin, avec la mort de Kobe Bryant. Le cadavre est encore chaud, et il y a déjà plein de blagues et de commentaires sur ses actions passées.» Je sourcille: et la victime de viol présumée du basketteur, elle n’a pas droit au même respect? Elle n’a pas le droit qu’on rappelle son existence au moment de la mort de la vedette du sport, survenue le 26 janvier dernier dans un accident d’hélicoptère? «Bien sûr, mais il vient de mourir, qu’est-ce que ça changerait qu’on laisse le temps à sa famille de l’enterrer avant de parler du reste? Rendu là, ça ne changerait rien...»
Et son rôle d’humoriste, là-dedans? Après tout, j’ai souvent l’impression qu’il y a une sorte de concours pour être le premier à sortir un gag ou un commentaire cinglant sur l’actualité... «C’est là que je décroche. Je n’embarque pas pantoute dans cette game-là. Mais oui, tu as raison, beaucoup d’humoristes font ça. En même temps, c’est notre société qui l’encourage. On est tellement un petit marché, que nos humoristes sont glorifiés, et ça devient facile de jouer le jeu.»
Rire de tout... ce qui est drôle
J’étais vraiment curieuse de savoir ce que Mariana Mazza pensait de la censure, notamment en humour. Instinctivement, on serait porté à croire qu’elle est furieusement contre toute forme de contrainte, mais sa réponse est encore une fois beaucoup plus nuancée: «Censurer des sacres dans une émission ou des gags inoffensifs dans un gala d’humour, je trouve ça ridicule. Mais je ne pense pas qu’on peut ni qu’on doit rire de tout. Personnellement, je ne ferai jamais de blagues sur le viol ou sur des sujets épouvantables comme ça. Je ne trouve pas ça drôle. Les autres humoristes, s’ils trouvent que ça l’est, ça les regarde, mais on ne me demandera pas de les endosser et on ne me traînera pas dans la boue avec eux.»
Est-ce que la communauté des humoristes est aussi soudée qu’elle en a l’air? «On est une communauté, justement, pas une famille. Vous, les journalistes, vous vous aimez tous? Ben non, vous vous trouvez tous plus impertinents les uns que les autres!» J’éclate de rire.«C’est pareil pour tous les métiers où tu dois travailler avec des gens que tu n’as pas choisis, comme les infirmières et les profs! Penses-tu qu’ils s’aiment tous, les profs? C’est sûr que non!» J’éclate à nouveau de rire: Mariana l’ignore, mais je suis en voie de devenir enseignante, et je comprends TRÈS bien ce qu’elle veut dire!
La force vulnérable
Je lui mentionne qu’on la perçoit généralement comme une femme franche, intense et transparente, et je lui demande si c’est vraiment le cas. «On pense me connaître, et c’est vrai que je m’expose beaucoup parce que je m’exprime haut et fort, je prends de la place. Je suis polarisante. Après on est surpris quand je pleure dans une émission comme La vraie nature, mais tous ceux qui me connaissent savent que je suis une pleureuse. Là, on m’a juste mise dans un contexte où c’était possible, où c’était permis de montrer ça. Comme tout le monde, je me protège. Je ne veux pas qu’on utilise ma vulnérabilité pour m’attaquer ou faire le show. J’ai mes problèmes, mes tristesses, mes angoisses. Je n’en parle pas tout le temps, parce que ce n’est pas nécessairement intéressant et que ça peut être dangereux, mais sur scène, j’ai envie de l’essayer. Avec Polie, qui va suivre Impolie, je veux montrer autre chose, faire quelque chose de moins conventionnel et dévoiler la face cachée de ma lune, en quelque sorte. Ce spectacle à deux chapitres, c’est une tentative d’amener l’humain sur scène.» Est-elle angoissée à l’idée de lancer ces nouveaux spectacles à représentations limitées? «J’ai hâte. Je fais ça pour les gens et j’aime ce que je fais. On verra bien...»
Je profite des dernières minutes pour l’interroger sur ses lectures récentes, car je sais qu’elle lit beaucoup. «Je suis en train de finir La servante écarlate, j’avais aimé la série télé. Et la biographie de Tiger Woods, vu que l’humain m’intéresse. Celle de Demi Moore, aussi. Et puis j’ai pas mal dévoré tous les romans d’Elena Ferrante. Je suis moins dans la poésie, mais j’ai un exemplaire de Milk and Honey, de Rupi Kaur, sur ma table de chevet et que j’ouvre à l’occasion. Et je lis beaucoup de nouveautés québécoises, comme Le drap blanc, de Céline Huyghebaert.»
Ses lectures ont-elles une influence sur son écriture? «C’est sûr! Mais pas seulement. Je me rends compte que je m’exprime mieux quand je lis beaucoup, et je prends plus de recul aussi, ça m’aide à me modérer.» La lecture comme refuge, mais également comme moyen d’appréhender le monde et d’effectuer un travail sur soi. On va se le dire, je suis bien d’accord...
La serveuse vient ramasser nos tasses vides, il est temps de nous dire au revoir. Je regarde Mariana passer la porte en rangeant mes notes dans mon sac, impressionnée par la grande générosité et l’intégrité de la femme que je viens de rencontrer. Finalement, je n’avais aucune raison d’être stressée.