L’impact de la pandémie sur les femmes
Violence conjugale, pertes d’emploi, accès à l’avortement menacé... Partout dans le monde, les «effets secondaires» de la covid-19 frappent les femmes de plein fouet. Cette crise sanitaire – qui n’est d’ailleurs pas terminée – aura fait reculer la lutte pour leurs droits d’au moins une génération. Tour d’horizon.
Sabrina Myre
Elisapee Angma, Marly Édouard, Nancy Roy, Myriam Dallaire, Sylvie Bisson, Carolyne Labonté, Nadège Jolicoeur, Rebekah Harry et toutes les autres victimes... Chaque mois, au Québec, de nouveaux noms s’ajoutent à la longue liste des féminicides, des femmes tuées parce qu’elles sont des femmes. Leur nombre a bondi d’au moins 50% en un an. Le symptôme, disent de nombreux experts, du recul des droits des femmes depuis le début de la pandémie, il y a bientôt deux ans.
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«S’il existait une égalité réelle entre les femmes et les hommes, il n’y aurait pas autant de violence conjugale», lance Manon Monastesse, directrice générale de la Fédération des maisons d’hébergement pour femmes. Des boîtes de carton remplies de dons s’empilent dans son bureau de la rue Masson, à Montréal. Les besoins sont immenses: de Gatineau à Chibougamau, les maisons qui accueillent les femmes victimes de violence et leurs enfants sont pleines à craquer. «La pandémie était un terreau fertile. Pendant des mois, les hommes violents avaient le plein contrôle sur leur conjointe. Puis, avec le déconfinement, ils ont eu l’impression de perdre leur emprise», explique Manon Monastesse. Mais seulement 22% des femmes qui séjournent dans une maison d’hébergement portent plainte à la police. Imaginez le nombre de femmes qui n’osent rien dire.
Cette série noire de féminicides est sans précédent. À un point tel que les Nations Unies qualifient cette hausse des violences envers les femmes de «pandémie de l’ombre». Depuis l’apparition de la covid-19 en 2020, «tous les types de violence contre les femmes et les filles, et surtout la violence domestique, se sont accrus», rapporte ONU Femmes. Au moins une femme sur trois est victime de violence dans le monde. Une situation exacerbée lorsqu’il y a des problèmes d’argent, des inquiétudes liées à la santé ou à la sécurité, des restrictions à la libre circulation, des places publiques désertes et de l’isolement.
La pandémie, révélatrice d’inégalités
Évitons de faire l’autruche: même au Québec, les inégalités entre les femmes et les hommes sont toujours bien ancrées malgré des décennies de progrès. La crise sanitaire les a simplement aggravées et remises à l’avant-scène. Dès la première vague de la pandémie, 68% des emplois perdus étaient occupés par des femmes, selon le ministère du Travail. «Les femmes, et surtout les immigrantes, ont été les plus affectées, parce qu’elles sont plus nombreuses à occuper des emplois à temps partiel et à bas salaire», précise Sandy Torres, rédactrice-analyste à l’Observatoire québécois des inégalités. L’iniquité salariale a aussi poussé des femmes à quitter leur emploi – au lieu de sacrifier le salaire du conjoint, mieux payé – pour s’occuper des enfants, forcés de faire l’école à la maison ou retirés de la garderie à répétition en raison d’un nez qui coule. D’ailleurs, pendant le premier confinement, les mères ont passé deux fois plus de temps que les pères à s’occuper de leur progéniture, soit 95 heures par semaine contre 46, selon des chiffres du gouvernement du Québec. Tout un poids sur les épaules de celles qui étaient en télétravail!
Et qui était au front dans les hôpitaux à se battre contre le virus? Des femmes, en très grande majorité. «Mes deux enfants ont attrapé le coronavirus, et j’étais obligée de les laisser seuls à la maison. En tant qu’infirmière auxiliaire, je devais aller travailler», raconte Jennifer Dubé, qui a finalement choisi de quitter «le plus beau métier du monde» l’été dernier. Les heures supplémentaires obligatoires et le manque de ressources à l’hôpital de La Pocatière l’ont épuisée. «J’étais très angoissée. J’étais inquiète pour la sécurité de mes patients. Je n’arrivais plus à faire de coupure entre le travail et la maison», nous confie la maman. En plus des infirmières, les enseignantes et les éducatrices figurent parmi les travailleuses les plus exposées à la covid-19. Les femmes sont donc plus nombreuses à avoir été infectées, avec des taux oscillant entre 54 et 60% des cas, rapporte le Conseil du statut de la femme.
La lutte féministe en a pris pour son rhume. «Les inégalités se sont aggravées», confirme la chercheuse Sandy Torres. À l’échelle mondiale, il faudra patienter encore 135,6 années avant de parvenir à la parité, soit 36 ans de plus qu’avant la crise sanitaire pour combler les écarts sur les plans économique, politique, de santé ou d’éducation, selon un rapport du Forum économique mondial publié l’an dernier. Autrement dit, avec la pandémie, l’avancement pour les droits des femmes a reculé d’une génération.
Droit à l’avortement en péril
Ailleurs dans le monde, la situation n’est pas plus rose. Bien au contraire.
La santé sexuelle de centaines de millions de femmes compte également parmi les dommages collatéraux de la crise. À peine un mois après le début de la pandémie, plusieurs États américains, dont le Texas, ont suspendu le droit à l’avortement en ajoutant cet acte dans la liste des interventions médicales non urgentes. «La droite conservatrice profite de la crise sanitaire pour remettre en question le droit à l’avortement. Il y a une majorité de juges conservateurs à la Cour suprême, grâce aux nominations de l’ancien président républicain Donald Trump», explique Valérie Beaudoin, chercheuse associée à la Chaire Raoul-Dandurand de l’UQAM. Certaines doivent voyager dans un autre État pour se faire avorter à grands frais.
«Les Américaines ont été nombreuses à perdre leur emploi et se sont appauvries. Indirectement, les conséquences de la pandémie entravent aussi leur accès à l’avortement», ajoute l’experte.
Les États-Unis ne sont pas les seuls. En Inde, un million d’avortements non sécuritaires ont été pratiqués en raison de la fermeture des centres de planification familiale. Au Népal, le taux de décès maternels a grimpé de 200% depuis mars 2020, selon des informations rassemblées par le Centre interdisciplinaire de développement international en santé de l’Université de Sherbrooke. Les mesures sanitaires ont aussi perturbé les chaînes d’approvisionnement de produits contraceptifs. Résultat: en Asie du Sud, 3,5 millions de grossesses non désirées ont été recensées.
«Quand une crise frappe, elle frappe toujours les plus vulnérables», rappelle Mounia Chadi, chargée de programme pour les droits des femmes à l’Association québécoise des organismes de coopération internationale. «Je viens du Maroc, où de nombreuses personnes ont perdu leur emploi. Comme dans plusieurs pays africains, les familles ont choisi de retirer les jeunes filles de l’école et de les marier pour avoir moins de bouches à nourrir», se désole-t-elle. Des fillettes sont aussi «louées» aux plus riches pour accomplir des tâches domestiques. «Le marché de la traite des enfants se nourrit des crises», poursuit Mounia Chadi. De petites filles paient le prix de la pandémie.
En Somalie, le taux d’excisions a monté en flèche lors du premier confinement. En Angleterre, les contributions de femmes scientifiques ont été beaucoup moins nombreuses que d’habitude. Les exemples sont infinis. «Pendant qu’on se réjouit de retrouver un semblant de normalité au Québec, ce n’est pas le cas dans plusieurs pays du Moyen-Orient ou d’Amérique latine par exemple, où les populations sont toujours confinées, où les femmes n’ont pas retrouvé leur emploi, où les violences ne s’arrêtent pas...», lâche Mounia Chadi. Pour l’Organisation mondiale de la Santé, la pandémie est «loin d’être terminée». Moins de la moitié de la planète est pleinement vaccinée. Les droits des femmes, eux, n’ont donc pas fini de reculer.