«Les années s’écoulent lentes et légères» : le nouveau recueil poignant de Gilles Archambault

Josée Boileau
Tiens, se dit-on, un nouvel ouvrage de Gilles Archambault. Il a beaucoup publié, on l’a beaucoup lu : son univers est si familier, faut-il encore s’y pencher? Oui, sans réserve.

Dès la première nouvelle du recueil Les années s’écoulent lentes et légères, le charme opère. «Écris, vieux fou [...]. Laisse-toi croire un instant au moins que quelqu’un, un jour, lira ces mots que tu as alignés ce soir.»
Ici, Gilles Archambault s’interpelle. Mais dans la vingtaine d’autres très courtes nouvelles qui suivent, il disparaît derrière ses narrateurs — des hommes entre l’âge mûr et la vieillesse. Ou plutôt il se faufile en eux : on reconnaît les traits de caractère et le regard lucide de l’auteur.
Sauf que ses personnages ont aussi une existence propre, et l’on mesure ainsi à quel point Archambault est un grand écrivain. À l’heure où tant d’auteurs imposent leur présence page après page, lui se tient en retrait, laissant de la place à l’imagination du lecteur. On s’y glisse avec plaisir.
Amour et ironie
Dans son recueil, on croise donc un concierge qui voit son fils de 21 ans tomber amoureux d’une femme qui s’amuse. Autant ne rien dire, quel fils écoute son père? Ailleurs, c’est un modeste commis qui fait état de la distance qui le sépare de son fils, si ambitieux.
Le passé amoureux, devenu déroutant quand observé avec le recul, est présent dans plusieurs textes. Ainsi de cet homme qui revoit une ancienne flamme, déconcerté que cette femme libre soit devenue grand-mère.
Dans une autre nouvelle, le narrateur se souvient d’une femme qu’il croyait joyeuse, alors qu’il s’agissait d’une troublante façade... Le côté sombre de la vie affleure d’ailleurs dans bien des textes.
Mais il y a aussi tellement d’ironie chez Archambault! Prenez cet auteur de théâtre qui a eu autrefois un modeste succès, oublié depuis. Voilà qu’un journaliste l’interpelle parce qu’un comédien qu’il a côtoyé est décédé. Hélas, ses propos ne plairont pas à la nouvelle veuve!
Et que dire de ce narrateur qui a, quel malheur, un ami écrivain! L’autre lui demande de lire ses manuscrits, avide de son avis. Un supplice!
Forcément, les 91 ans d’Archambault façonnent son regard. Il touche la cible en demandant si finalement, les jours de pur bonheur existent. La félicité relève de la rareté, tranche le narrateur de la nouvelle «Les jours heureux», qu’il a croisée à 19 ans.
Le privilège d’écrire
Par petites touches, Gilles Archambault décrit donc la vie qui va, laissant derrière elle la lourdeur des amours, des peines, des plaisirs, des rancœurs... La dernière nouvelle le démontre, où un vieil auteur de renom retrouve un journaliste qui l’a déjà méchamment critiqué.
Que tout cela est loin. L’important est ailleurs : «[L’]écriture l’a occupé sa vie durant. Une chance inouïe. Que la plupart des êtres humains ne connaissent pas.» Mais dont ils profiteront, car il y a toujours quelqu’un qui finit par lire les mots alignés.
Les années s’écoulent lentes et légères
Gilles Archambault
Éditions du Boréal
112 pages
2025