Est-ce que la libido est condamnée à disparaître après un certain nombre d’années?
Elisabeth Massicolli
Dans une relation amoureuse, la libido évolue, s’amplifie, diminue parfois. Mais est-elle réellement condamnée à disparaître après un certain nombre d’années? Une sexologue et des couples de longue date font taire la rumeur en nous faisant part de leurs réflexions (et de leurs trucs!) pour que le sexe soit excitant, des décennies durant!
Est-ce qu’on peut désirer ce qu’on a déjà? C’est la question que se pose la sexologue réputée Esther Perel dans son populaire Ted Talk, The Secret to Desire in a Long-term Relationship. La professionnelle a voyagé partout dans le monde pour tenter de comprendre ce qu’elle appelle «la crise du désir». Elle explique que, pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, on essaie de faire durer l’expérience sexuelle au sein du couple non par obligation, mais par pur plaisir. Plus facile à dire qu’à faire!
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L’humain est paradoxal, explique Perel. D’un côté, il a besoin de sécurité, de constance et de permanence. De l’autre, il a envie d’aventure, de nouveauté et de danger. Et on demande souvent à notre partenaire de combler nos attentes, et plus encore! Pas surprenant, selon la sexologue, que le couple tel qu’on le connaît traverse une certaine crise identitaire. L’amour moderne est rempli de dilemmes, «et on ne les réglera pas tous avec de la lingerie et quelques jouets sexuels», plaisante-t-elle. Existe-t-il une formule magique pour faire durer la flamme? Malheureusement, non. Mais, comme le dit si bien Esther Perel, «le feu a besoin d’air».
LA BASE DE LA BASE
«Ça semble peut-être évident, mais le désir doit être présent dès le départ. Certains couples, même dans leurs débuts, n’ont pas de chimie sexuelle ou presque. Si on veut une vie sexuelle active et épanouie, il faut au moins que les deux partenaires soient attirés l’un par l’autre», explique Élise Bourque, sexologue et psychothérapeute depuis plus de 20 ans. Elle explique que dans certaines situations, l’un des deux conjoints choisit son partenaire avec sa tête plutôt qu’avec son cœur. «Puis, ils espèrent qu’en y travaillant, le désir viendra... Mais ça ne fonctionne pas comme ça.»
Fannie, 41 ans, et Mathieu, 44 ans, sont fiancés et en couple depuis 12 ans. «Les deux premières années, on n’habitait pas ensemble. Quand on se voyait, on passait la journée au lit, car on brûlait de désir l’un pour l’autre. C’était vif, intense! Aujourd’hui, on a une vie plus routinière, mais le désir est encore bien présent», dit Fannie. Sara, 31 ans, et Simon, 33 ans, sont en couple depuis 15 ans et ont deux jeunes enfants. «Notre flamme est encore bien allumée. Je ne peux m’empêcher de penser qu’il y a une part de biologie là-dedans, qu’il existe des matchs plus durables. L’odeur de la peau de Simon me met encore à l’envers après 15 ans...» avoue Sara. Mêmes papillons chez son amoureux. «Son haleine me donne envie d’elle. Pourquoi? Une histoire de phéromones, d’hormones, je ne sais pas», ajoute Simon. Et ça peut durer très longtemps. Marie-Claire, 56 ans, et René, 58 ans, l’expérimentent avec bonheur. «Nous sommes un couple uni et complice, même après 35 ans de mariage. Nous avons encore le désir de nous plaire, d’être dans les bras l’un de l’autre.»
«La sexualité est en général un reflet de la relation», précise Élise Bourque. Et pour qu’un couple s’épanouisse – et que, donc, sa sexualité prospère –, il doit se rappeler ces deux mots: engagement et communication. «Ce n’est pas sorcier; les deux partenaires doivent y mettre du leur avec bienveillance, être présents et être prêts à communiquer et à écouter. Lorsque le désir s’éteint, c’est souvent le signe d’un problème plus profond entre les conjoints.»
Sara et Simon diraient que leur communication est sans retenue. «Elle est transparente, ouverte, légère et facile, mentionne Simon. Et grâce à cette complicité, notre vie sexuelle est devenue, au fil du temps, plus raffinée, plus intime et précise.» Sara ajoute qu’elle atteint maintenant plus facilement l’orgasme qu’à leurs débuts, justement grâce à leurs interactions fluides. «Je crois que c’est aussi ce qui fait de nous un couple solide: l’honnêteté, le respect, l’écoute de soi-même et de l’autre», conclut Simon. Même son de cloche du côté de Fannie et Mathieu: «Dès qu’on sent qu’on part à la dérive, qu’on a moins envie de faire l’amour, on tente d’en discuter pour trouver où le bât blesse, mais sans se mettre trop de pression.»
MÉTRO, BOULOT, PORNO
La clé du succès pour avoir une vie sexuelle satisfaisante, selon Élise Bourque? Avoir des attentes réalistes. «On ne peut pas sans cesse réinventer la roue! La sexualité – surtout avec une seule et même personne –, ça reste des gestes répétitifs, routiniers.» À son avis, les gens dont les désirs sont teintés par la pornographie et qui souhaitent constamment intégrer de nouvelles pratiques dans leurs ébats sont souvent... les plus déçus! «Et si ce désir de nouveauté constant n’est pas partagé par l’autre conjoint, il peut ressentir une grande pression de performance. Et ça, c’est un tue-l’amour instantané!» Justin, 39 ans, et Thierry, 41 ans, sont en couple depuis 13 ans et mariés depuis cinq ans. «On a essayé les jouets sexuels, les ménages à trois et les saunas gais pour tenter de faire différent, de mettre un peu de piquant. Au final, on revient toujours à nos bonnes vieilles habitudes: une sexualité très corps à corps et intime, sans flafla», explique Justin.
Sara et Simon ont, eux aussi, déjà tenté d’intégrer certains jouets à leurs ébats, ou de regarder des films pour adultes afin d’attiser leur désir. «Mais ce qui semble le plus fructueux pour nous a été une approche plutôt... documentaire! En découvrant des pratiques que nous ne connaissions pas dans des émissions et des livres, nous avons diversifié et intensifié les plaisirs, sans pour autant chambouler complètement notre routine», raconte Sara. «Ce n’est pas parce qu’on essaie un jouet sexuel ou une nouvelle position que notre sexualité va changer du tout au tout! Régulièrement, les gens viennent en thérapie en pensant que c’est ce genre de trucs qu’on leur donnera, mais c’est faux! La sexualité est compliquée, nuancée... En thérapie, on tente de comprendre les barrières, les obstacles et les problèmes cachés sous la surface, puis de trouver, ensemble, des solutions durables et saines», conclut Élise Bourque.
EN HAUT, EN BAS
Des baisses de libido, c’est grave, docteur? «C’est tout à fait normal!», répond Élise Bourque. Plusieurs facteurs peuvent jouer, de façon momentanée, sur la libido d’un ou des deux partenaires: l’arrivée des enfants, l’allaitement, le stress, la dépression, la fatigue, la ménopause, etc. «Avec l’expérience, j’ai l’impression que les couples qui sont le plus heureux – tant sous la couette que hors du lit – sont ceux qui se laissent de l’espace, et qui comprennent que le désir n’est pas toujours constant. Paniquer parce que ça fait quelques semaines qu’on n’a pas fait l’amour ne nous ramènera pas subitement l’envie – surtout si notre partenaire ressent notre presse et notre frustration!» Le mot d’ordre, alors? Re-la-xer. Et, si le creux persiste, communiquer pour mettre un doigt sur le problème... et sur une solution!
«Certains de mes patients qui ont une vie effrénée, avec les enfants et le boulot, préfèrent, par exemple, mettre à l’agenda un soir par semaine où ils feront l’amour. On pense que le manque de spontanéité éteint le désir – et ça peut être vrai dans certains cas –, mais arrimer nos envies à celles de l’autre quand on roule à cent mille à l’heure n’est pas une mince affaire!» explique la sexologue clinicienne. «J’aime bien les baises spontanées, mais il arrive que Mathieu et moi planifiions carrément nos moments intimes. Il m’écrit un texto, par exemple, en me disant: “J’arrive vers 17 h, et j’aimerais que tu m’attendes nue, dans le lit.” Ça me plaît vraiment!» avoue Fannie.
Pour d’autres, comme Justin et Thierry, pas question de planifier! «Pour moi, c’est un turn-off complet. On arrive encore à se surprendre, à être spontanés et instinctifs», affirme Justin. Pareil pour Sara et Simon, qui réussissent à s’allumer de façon impulsive après 15 ans de vie commune, à coups de gestes et de mots tendres ou érotiques. Marie-Claire et René ont eux aussi une vie sexuelle très active et absolument impulsive. «Nous sommes partenaires d’affaires. Il arrive souvent que nous nous séduisions durant la journée, au travail, en nous taquinant et en nous aguichant. Lorsqu’on revient à la maison, on a tous les deux très envie de faire l’amour!»
À CHACUN SA SEXUALITÉ
«Il n’y a pas une seule façon de faire fonctionner un couple, comme il n’y a pas une seule façon de faire fleurir une sexualité», résume simplement Élise Bourque. Chacun doit donc trouver les pratiques, les méthodes et les habitudes qui lui conviennent, en tentant de s’ouvrir aux besoins de son ou de sa partenaire en communiquant et, surtout, en écoutant. Cette discussion ouverte, active et toujours renouvelée est parfois facile, et d’autres fois plus ardue.
Sara et Simon, par exemple, sont conscients de leur privilège. «Nous avons eu la chance de ne pas avoir beaucoup d’obstacles dans notre épanouissement sexuel, c’est-à-dire que ni Simon ni moi n’avons subi d’agressions sexuelles, que nos familles n’étaient pas répressives sur ce plan, et que nous sommes en bonne santé physique et mentale. Construire, puis entretenir une sexualité et une intimité saines prend du temps et du travail, mais je crois qu’il y a des scénarios de vie qui demandent qu’on redouble de vigilance, de persévérance, de compréhension et de patience.» On n’aurait pas dit mieux.
Et, pour s’aider à naviguer à travers le sujet complexe qu’est la sexualité humaine, on n’hésite surtout pas à consulter un ou une sexologue!
QUELQUES RESSOURCES
1. L’association des sexologues du Québec: afin de trouver le spécialiste qui nous convient
2. Option Sexologie: une agence de services en éducation à la sexualité
3. Sexplique: une référence en éducation et en santé sexuelle