Fin de la saga Jacques Delisle: le DPCP toujours convaincu qu’il tenait l’arme
Malgré l’entente conclue avec la défense, la Couronne reste convaincue que sa preuve aurait permis de condamner Jacques Delisle au deuxième procès

Pierre-Paul Biron
Malgré le «deal» passé avec la défense pour un plaidoyer de culpabilité à un chef d’accusation d’homicide involontaire, le DPCP et le procureur au dossier demeurent convaincus que l’ex-juge Delisle n’a jamais été victime d’une erreur judiciaire et que c’est bel et bien lui qui tenait l’arme à feu le jour de novembre où sa femme a perdu la vie.
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«Je ne pense pas que Jacques Delisle ait été condamné injustement [en 2012] par un jury composé de ses pairs», a souligné le directeur des poursuites criminelles et pénales, Me Patrick Michel, jeudi.
Le procureur-chef a expliqué que le ministère public avait fait des demandes de précision au ministre fédéral de la Justice après qu’il eut ordonné en 2021 la tenue d’un deuxième procès, mais ces requêtes sont demeurées lettre morte à ce jour.

«À la lecture du rapport du groupe de révision, nous n’étions pas en mesure de saisir ce qui pouvait justifier ces conclusions, puisque l’enquête ne révélait pas l’existence de nouveaux éléments de preuves», a expliqué Me Michel, se disant toujours convaincu aujourd’hui que l’ensemble de la preuve «permettait de démontrer hors de tout doute raisonnable la culpabilité de Jacques Delisle pour le meurtre de Nicole Rainville».
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Delisle avait l’arme, maintient la Couronne
En entrevue à sa sortie de la salle d’audience, le procureur au dossier, Me François Godin, a lui aussi insisté sur le fait que l’enregistrement d’un plaidoyer à un chef d’accusation réduit ne découlait nullement d’un doute sur la preuve amassée contre l’ex-juge.
«Si vous suivez notre théorie à savoir que l’on prétend que c’est un meurtre, vous pouvez faire facilement votre déduction à savoir qui avait l’arme dans les mains», a confié Me Godin, expliquant avoir dû piler sur ce bout de la preuve pour en arriver à un marché avec la défense. D’autant plus que de nouvelles expertises effectuées en Europe soutenaient selon lui la thèse du meurtre.

«Si on dit en salle de cour que c’est lui qui a tiré, ce n’est plus un homicide involontaire coupable», a-t-il précisé, laissant entrevoir la gymnastique complexe qui a mené à ce débouché inattendu.
Le revirement, on le comprend, est donc un moindre mal pour le ministère public.
«Ce qui est dans l’intérêt de la justice, c’est qu’il y ait une finalité dans un dossier qui dure depuis 15 ans. Est-ce que l’intérêt de la justice aurait été un arrêt des procédures qui n’aurait servi à rien? Est-ce que ça aurait été que M. Delisle décède? Est-ce que ça aurait été un deuxième procès et qu’on retourne à la Cour d’appel? À la Cour suprême?», s’est questionné l’avocat, concluant que le mieux était d’entendre enfin l’ex-juge admettre qu’il a causé la mort de Nicole Rainvile.
Compromis
Son homologue en défense, Me Jacques Larochelle, voyait évidemment les choses d’un autre œil. Pour lui, le chef d’accusation «logique» était d’avoir aidé à un suicide.
«Mais comme le résultat est le même, soit une journée de détention, je n’ai pas fait de bataille là-dessus», explique-t-il, démontrant bien lui aussi l’effort des deux parties pour trouver un terrain d’entente dans un dossier «qui n’était pas réglable en 2012 d’aucune façon et qui ne l’était pas non plus en 2021 ou en 2023».
Et son client, était-il satisfait de cette entente, même si elle engageait sa responsabilité dans la mort de sa femme, ce qu’il s’était évertué à nier depuis 15 ans?
«Cette entente a l’immense avantage pour lui, un homme de bientôt 89 ans, de mettre un terme à des procédures dont vous pouvez facilement imaginer qu’elles sont très pénibles pour lui», a souligné Me Larochelle.
Ce qu’ils ont dit sur...
... l’erreur judiciaire:
«Il a plaidé coupable non pas à un meurtre, il a plaidé coupable à avoir aidé sa femme à se suicider et a été trouvé coupable de l’avoir tuée. Ce n’est pas la même chose que la condamnation de meurtre au premier degré qui a été démolie par les experts en balistique devant le ministre. Oui, je persiste à dire qu’il y a eu erreur judiciaire.»
– Me Jacques Larochelle, avocat de la défense

... les ressources judiciaires mobilisées par le dossier:
«Je peux comprendre que ça laisse cette impression [d’avoir monopolisé des ressources], mais on a obtenu un verdict de culpabilité en 2012. Et M. Delisle avait des droits, il pouvait les faire valoir et aller jusqu’à revendiquer un nouveau procès devant le ministre fédéral de la Justice. On ne peut pas lui reprocher de l’avoir fait.»
– Me Patrick Michel, directeur des poursuites criminelles et pénales

«Je suis très confortable parce que ce n’est pas ma faute. Ce n’est pas moi qui ai porté les accusations, qui les ai maintenues, qui ai décidé de régler maintenant en 2024. Je ne peux pas me faire des reproches pour des dépenses et des ressources judiciaires pour lesquelles je ne suis pas responsable.»
–Me Jacques Larochelle, avocat de la défense
... le sentiment de clore cette saga après 15 ans:
«[La famille] est soulagée qu’il n’ait plus ce nuage noir au-dessus de lui maintenant.»
– Jacques Larochelle, avocat de la défense
«Bien que la conclusion du premier procès soit à notre avis plus représentative de la vérité, nous reconnaissons l’importance de l’aveu de culpabilité de Jacques Delisle pour le dénouement de cette affaire.»
– Me Patrick Michel, directeur des poursuites criminelles et pénales
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