Les préliminaires sont du sexe au même titre que la pénétration
Sarah-Florence Benjamin
Considérés auparavant comme optionnels, les préliminaires sont maintenant vus comme une étape essentielle de la relation sexuelle. La manière dont on différencie les préliminaires du «vrai sexe» pourrait toutefois nous empêcher d’avoir accès à une sexualité pleinement épanouie. On en discute avec une linguiste et une sexologue.
Commençons par le début: c’est quoi, exactement, des «préliminaires»?
Ce terme englobe la vaste étendue des actes qui viennent avant la relation sexuelle. Ça peut aller de la conversation aux caresses, en passant par le sexe oral. C’est justement cette définition qui pose problème, affirme Alexandra Dupuy, candidate au doctorat en linguistique à l’UdeM.
«C’est dit dans le mot “préliminaires”, le préfixe “pré-” indique que ce qui vient après, ça, c’est la vraie sexualité. Donc, la seule chose qui compte comme un véritable acte sexuel, c’est le sexe pénétratif», résume-t-elle.
Tout ce qui va au-delà de la pénétration, surtout celle d’un pénis dans un vagin, est relégué aux préliminaires, aux amuse-bouches de la sexualité: plaisants, mais peu importants comparés au plat principal.
• À lire aussi: «Nos droits sont précaires»: des membres de la communauté LGBTQ+ veulent leur ministre
Le choix des mots n’est pas seulement une question de langage, mais d’une vision de la sexualité qui influence nos choix et nos croyances, poursuit l’étudiante en linguistique.
Plus grave encore: cette distinction peut aussi poser problème, par exemple lorsqu’il est question d’agression sexuelle.
«On hésite à parler de viol lorsqu’il n’y a pas eu pénétration. Ça nous empêche de voir tout un éventail de violences sexuelles», explique Alexandra Dupuy, qui étudie la question.
Le problème des «scripts sexuels»
Les actes qu’on désigne comme préliminaires ne sont absolument pas problématiques en soi, insiste la sexologue Estelle Cazelais. «Les gens n’utilisent pas l’expression de manière péjorative, au contraire», précise-t-elle.
Le problème qui survient lorsqu’on utilise le terme, c’est que ça renvoie à ce qu’elle appelle des «scripts sexuels».
«On s’imagine qu’une relation sexuelle, ça se passe toujours avec les mêmes étapes qui doivent venir dans le même ordre. Ça commence avec des préliminaires, ça se poursuit avec de la pénétration et ça se finit lorsqu’il y a éjaculation», décrit la directrice du volet éducation pour l’organisme Les 3 sex*.
Cette vision de la sexualité a des airs de «travail à la chaîne» qui ne laissent pas beaucoup de place au plaisir et à la découverte, selon la sexologue.
«C’est dommage, parce que pour beaucoup de gens, ce qui se passe dans les “préliminaires”, c’est ce qui leur apporte le plus de plaisir. Mais on se sent obligé de suivre le script et de délaisser des actes au profit de ce qui fait partie du sexe pénétratif», affirme-t-elle.
Une vision de la sexualité qui n’avantage personne
Il ne faut pas oublier que le sexe pénétratif, malgré le fait qu’il prenne beaucoup de place dans notre imaginaire sexuel, n’est pas l’affaire de tout le monde.
C’est une question de préférence, d’orientation sexuelle, mais aussi de corps différents. Par exemple, les personnes pour qui la pénétration est douloureuse ou impossible peuvent ressentir beaucoup de découragement. Ces dernières peuvent avoir l’impression qu’elles ne peuvent pas «aller jusqu’au bout», souligne Estelle Cazelais.
• À lire aussi: Vous faites partie de la communauté LGBTQ+? N’allez pas en Floride, prévient un organisme
Les hommes hétérosexuels aussi peuvent subir les contrecoups de cette idée réduite de la sexualité.
«Les hommes cisgenres peuvent ressentir une pression d’avoir une érection et d’éjaculer, sinon la relation sexuelle n’est pas considérée comme complète», illustre le sexologue.
Comment parler des préliminaires, alors?
Estelle Cazelais suggère de nommer directement les comportements auxquels on fait référence.
«Quand on parle de préliminaires pour parler de littéralement tous les actes sexuels qui ne sont pas de la pénétration, c’est assez vague. Ça entretient une sorte de tabou et ça invisibilise un tas de pratiques», avance-t-elle.
Nommer précisément l’acte, que ce soit un baiser ou un anulingus, permet de mieux communiquer son consentement et de dire ce qu’on veut, ce qu’on ne veut pas et où se situent nos limites, ajoute la sexologue.
• À lire aussi: On a passé une heure au parc Laurier à 24 °C et voici ce qu'on a vu
Se questionner sur notre utilisation du mot «préliminaires» est une bonne porte d’entrée pour se libérer du poids d’une sexualité normative, selon les expertes. Cela passe aussi par les représentations dans les médias.
«C’est toujours rare de voir des scènes de sexe qui ne tournent pas autour de la pénétration, mais on en voit de plus en plus, comme dans la série Sex Education», se réjouit Estelle Cazelais.
Cette dernière souhaite à tout le monde de prendre le temps d’explorer ce qui leur apporte du plaisir, en dehors de ce qui «devrait» faire partie de leur sexualité ou non.