«Il y a des fois où j’ai honte»: on a jasé de changements climatiques avec 3 présentateurs météo
Jean-Michel Clermont-Goulet
Leur travail fait en sorte qu’ils sont aux premières loges des changements climatiques. Comment présentateurs météo et météorologues en informent-ils la population? Comment la crise climatique vient-elle teinter leurs manières de rapporter la nouvelle? Trois d’entre eux répondent à nos questions.
• À lire aussi: Une pétrolière a infiltré l’organisation de la COP28
• À lire aussi: Planter des arbres réduirait du tiers la mortalité liée aux canicules dans les villes
«Il n’y a plus quatre saisons au Québec»
Colette Provencher baigne dans le métier depuis plus d’une trentaine d’années au réseau TVA. L’un des constats qu’elle fait sur l’évolution des changements climatiques depuis le début de sa carrière est simple: il n’y a plus quatre saisons au Québec.
«Je me souviens, [à l’époque] l’été avait un début et une fin et en novembre, tu savais que tu allais avoir de la neige. Aujourd’hui, l’hiver arrive très tard et finit plus vite et ça me fait réaliser à quel point tout a changé», dit-elle en entrevue à 24 heures.
Elle note que le Québec n’avait pas encore eu de -20 °C, -35 °C au thermomètre avant février, alors que «la pire période de l’année, la période la plus froide de l’hiver, est sur le point de se terminer» tandis que les périodes d’ensoleillement allongent.
Bien qu’elle ait ses bulletins pour transmettre ses messages, Colette Provencher croit que la population est timide lorsqu'il s'agit d’aborder le thème des changements climatiques et que ça n’intéresse «pas tant» de monde.
«Je ne suis pas capable de mettre le doigt sur le bobo. Est-ce parce que les gens sont résignés à se dire “c’est comme ça, il arrivera ce qu’il arrivera”?», s'interroge-t-elle, ajoutant que d’autres trouvent la crise climatique inintéressante et exagérée.
De phénomènes «exceptionnels» à «normaux»
Au début de sa carrière, la crise climatique n’était pas le sujet de l’heure, note Patrick de Bellefeuille, présentateur météo chez MétéoMédia.
«Le 21 juin dernier, j’ai remarqué que ce qui était exceptionnel comme phénomène météorologique au tournant des années 2000 était maintenant devenu la norme», confie le spécialiste en changements climatiques, précisant que les années sont sans cesse plus chaudes.
«Aujourd’hui, ce qui est exceptionnel va devenir catastrophique», dit-il.
Avec ses 35 années de carrière derrière lui, Patrick de Bellefeuille en a vu des vertes et des pas mûres sur le plan météorologique. Et pour communiquer davantage les effets des changements climatiques, il a cofondé l’organisme Climat sans frontières en 2017.
Cet organisme encourage les présentateurs météo du monde à intégrer le discours climatique dans leur bulletin du jour et «de diffuser la bonne parole», explique-t-il.
«On leur montre comment [parler de la crise climatique] en utilisant une actualité météorologique locale pour traiter du sujet», explique celui qui a d’abord reçu une formation d’acteur.
Selon lui, la météo est quelque chose de culturel. «C’est comme la nourriture et les vêtements. Ce ne sont pas tous les pays qui subissent et font face aux changements climatiques de la même manière.»
«Pour le meilleur et pour le pire»
Le météorologue de Radio-Canada pour tout le pays, Waldir Da Cruz, ne s’en cache pas. S’il pouvait avoir un bulletin météo de 15 minutes, il serait «le météorologue le plus heureux du monde». Or, il doit se contenter de ses courtes apparitions quotidiennes.
Il a toutefois la chance de pouvoir informer la population par l’entremise d’articles détaillés portant sur différents phénomènes météorologiques d’envergure.
Il mise sur le médium télévisuel pour apporter les prévisions les plus fiables possibles. C'est dans les réseaux sociaux, en particulier Twitter, qu’il développe sa pensée sur les phénomènes météorologiques et les impacts de la crise climatique.
Ces plateformes sont d’ailleurs venues changer la donne dans l’apport de l’information supplémentaire, «pour le meilleur et pour le pire», croit-il.
Après une 1ère impulsion de froid ce matin,une autre chute draconienne aura lieu d'ici la nuit de jeudi à vendredi pr l Est. 🥶
— Da Cruz Waldir (@DaCruzWaldir) February 2, 2023
Records de froid en perspective?Ohh que oui!
Vague de froid?Non🧐(explications ds la vidéo😉)
Prévisions 3j disponibles ds la partie commentaires⬇️ pic.twitter.com/rIdwxELku9
«Là où le bât blesse, c’est que ça donne aussi la possibilité à des climatosceptiques, qui n’ont aucune connaissance de la météorologie, de prendre des bribes d’information ici et là et de s’autoproclamer experts», s’insurge le météorologue de métier, qui pointe le problème vers l’autocentrisme de certains.
«Les discours deviennent de plus en plus durs à l’endroit [sic] des changements climatiques et, malheureusement, on n’a pas d’autre choix [que d’être plus alarmiste], puisque ce n’est pas toujours pris au sérieux», concède-t-il. «Je les comprends d’une certaine manière, car les messages mis de l’avant sont épeurants, mais reflètent la réalité de la situation.»
Grugés par l’écoanxiété?
À tremper dans les mauvaises nouvelles climatiques au quotidien, on pourrait croire que les météorologues et présentateurs météo seraient les pires écoanxieux... mais non.
Colette Provencher soutient que son métier ne la rend pas plus ou moins perméable à l’écoanxiété, même si elle est tout à fait consciente de la situation climatique. «Il y a bien d’autres choses qui peuvent me rendre anxieuse», dit-elle.
• À lire aussi: Première stratégie d’adaptation au climat: voici à quoi pourrait ressembler une ville résiliente
Pour sa part, Waldir Da Cruz se dit très anxieux par rapport à l’avenir. «Ce qui m’inquiète, c’est plus le comportement humain et la manière dont [le monde] gérera les changements climatiques.»
Quant à Patrick de Bellefeuille, il affirme être «bien découragé» chaque fois qu’il réalise un bilan de l’état de la planète, un exercice qu’il répète le 21 juin de chaque année pour souligner le solstice d’été.
«Il y a des fois où j’ai honte», lance-t-il. «Je ne peux pas croire que l’être humain, qui se dit être l’espèce la plus intelligente, est assez cave pour en arriver là. Tous les animaux doivent nous regarder en se disant “oh boy, tu te penses fin, le smatte?”»
Il croit que si les 100 millions d’espèces présentes sur Terre devaient en venir à voter pour éliminer une espèce de leur choix, l’humain ne serait pas le plus aimé. «Je te garantis qu’on perd.»