Un an plus tard, voici où sont les anciens du campement Notre-Dame où vivaient des personnes itinérantes à Hochelaga
Guillaume Cyr
Le démantèlement du campement de la rue Notre-Dame dans Hochelaga-Maisonneuve le 7 décembre 2020 a marqué les esprits : il était devenu le symbole d’une crise du logement sans précédent. Plusieurs campeurs s’étaient installés sur un terrain appartenant au ministère des Transports et formaient une petite communauté, qui a été dispersée de force après qu’un feu ait éclaté dans une tente. Un an plus tard, où sont-ils rendus?
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Alexandre Poulin, 21 ans
L’été dernier, Alexandre Poulin a trouvé un secteur tranquille dans un boisé de la métropole où il a bâti une cabane dans laquelle il compte passer l’hiver. Palettes de tôle, contreplaqué, bonbonnes de propane, couvertures et vêtements ont été mis à contribution pour mettre sur pied un nid temporaire.
«Je pourrais aller dans les refuges, mais je n’y vais pas par choix car je ne m’entends pas super bien avec tout le monde et il y a beaucoup de problèmes de santé mentale», explique-t-il.
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Le jeune homme admet quand même avoir certaines craintes quant à sa sécurité. Des étrangers s’aventurent près de sa cabane parfois, et des pyromanes ont mis un site en feu non loin de là. «Je garde un extincteur près de moi», souffle-t-il.
Il s’ennuie d’ailleurs de la «petite civilisation du camping», qui comblait la solitude et permettait un bon accès à de la nourriture. Cette petite civilisation a aussi permis de sauver certaines personnes qui ont fait des surdoses, explique-t-il.
Alexandre Poulin a commencé à vivre dans la rue après sa sortie des centres jeunesse à 18 ans. Dernièrement, il a diminué sa consommation de drogue et aimerait se trouver un logement, mais comme plusieurs autres ex-campeurs, il se heurte à un obstacle immuable : «trop cher».
Jacques Brochu, 61 ans
Quand il habitait dans le campement Notre-Dame, Jacques Brochu était clair : il ne voulait pas quitter le quartier d’Hochelaga-Maisonneuve, et il s’en irait du campement seulement s’il trouvait «un vrai logement».
Lors du démantèlement, il s’est vu offrir une chambre par un organisme, qui comprend un petit frigidaire et une cuisinière, en attendant d’intégrer le programme pour un logement social. Un an plus tard, il y habite toujours.
«L’itinérance est camouflée. Y’a pas de volonté politique. Prenez le taureau par les cornes et arrêtez de nourrir l’industrie de la pauvreté», envoie-t-il comme message aux décideurs qui ont tout intérêt, selon lui, à ne pas investir des fonds publics en logements sociaux pour éviter des dépenses.
Après un burnout et une rénoviction, Jacques est devenu itinérant en février 2020. Il a dormi quelques mois à l’hôtel avant d’être en juin l’un des premiers à planter sa tente sur le terrain qui allait devenir le campement.
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«Il y avait les toilettes chimiques à deux pas et la Croix-Rouge donnait des repas dans le square Dézéry. [...] Je me sentais très en sécurité au camping», précise-t-il.
Jacques était l’artiste du campement. «J’étais très exubérant. J’avais ma table pour montrer les symboliques liées à l’itinérance», se souvient-il.
Écoutez le résumé de Camille Dauphinais, Cheffe contenu politique et société au 24H, sur QUB radio:
Guylain Levasseur, 56 ans
Guylain Levasseur vit dans son truck depuis six hivers, et assure connaitre tout le monde ou presque dans Hochelaga-Maisonneuve. Il vit correctement dans son van, mais s’inquiète pour les autres.
L’ancien DJ, qui avait été présenté à plusieurs reprises dans les médias comme le porte-parole du campement, nous a fait faire un tour de camion pour nous montrer comment «les anciens campeurs» sont maintenant éparpillés dans le quartier.
L’ex-campeur klaxonne les personnes itinérantes et leur offre des collations. ll connait visiblement bien les gens du coin. «Lui, il est tout le temps devant la pharmacie à 7h», dit-il en pointant un homme assis sur le trottoir.
«Ils n’ont pas réglé le problème en démantelant le campement. On ramasse des cadavres partout», s’insurge-t-il lorsqu’on lui demande ce que le démantèlement a créé.
Il cite l’exemple d’un homme surnommé Snoopy qu’on a retrouvé mort dans un buisson l’été dernier. Selon lui, au campement, il ne serait pas décédé dans de telles conditions.
«Je m’ennuie de la gang. Il y avait une gang d’Inuits qui étaient super cools. Ils sont tous rendus sur le Plateau Mont-Royal maintenant», lance-t-il, nostalgique.
Guylain Levasseur est en train de plancher sur une Charte des droits des itinérants qu’il souhaite présenter à la Ville éventuellement.
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Chantale Gladu, 54 ans
Avec son copain, Chantale Gladu vit actuellement en alternance entre un appartement abandonné et une usine désaffectée. Cet hiver, la quinquagénaire logera dans l’appartement de son père.
«Les logements sont rendus trop chers pour le monde à faible revenu. Qu’ils fassent des HLM au lieu des osti de condos! Même des trous à rat sont devenus chers», lance-t-elle, en déplorant vivement l’embourgeoisement du quartier d’Hochelaga, dans lequel elle est née et a vécu toute sa vie.
Elle en sait quelque chose : après le démantèlement du campement, elle a vécu dans une maison de chambres, où on lui chargeait un loyer... pour dormir dans un placard. «On me chargeait 140$ pour dormir dans un garde-robe et je couchais avec une tank à eau chaude en prime», déplore-t-elle.
Pour avoir sa propre chambre, elle aurait dû débourser au moins 600$, avec «les souris, coquerelles, les portes qui ne barrent pas et les voleurs», selon ses dires.
La femme, atteinte d’un cancer généralisé et qui ne peut plus travailler pour des raisons de santé, a passé trois mois dans cet établissement l’été dernier, avant de retourner dans la rue, faute de pouvoir trouver un logement correspondant à son revenu.
Elle garde de beaux souvenirs du campement.
«C’est ben niaiseux ce que je vais te dire, mais je suis une consommatrice [de crack] et je ne mangeais presque pas. Quand je suis arrivé là, je consommais bien moins et mangeais comme une cochonne. Je mangeais et j’engraissais [...]. On m’appelait la mascotte du campement. On ne s’ennuyait pas avec moi», se souvient-elle émotivement.
Daniel Clermont, 61 ans
Depuis le démantèlement du campement, Daniel Clermont s’est sorti de la rue, où il vivait depuis 20 ans en partie à cause de sa consommation d’héroïne qu’il a depuis réussi à arrêter.
Il avait envie d’avoir un toit et de passer à autre chose, et c’est d’ailleurs au campement qu’il a rencontré quelqu’un qui l’a aidé à s’inscrire au programme du Projet Logement Montréal (PLM), qui vise à stabiliser les personnes en situation d’itinérance.
Mission réussie : il vit maintenant dans un appartement tout près du métro Jean-Talon et occupe un emploi de responsable du lavage à l’organisme CAP St-Barnabé. «Je fais 6 à 7 heures par jour», dit-il, ce qui lui amène des revenus suffisants pour payer son loyer.
Daniel était parti du campement un mois avant le démantèlement, et avait même laissé sa tente sur le site.
Dans ses souvenirs, il n’avait pas envie de passer ses journées au camp et préférait ne venir qu’y coucher le soir – il trouvait le campement plaisant pour y faire ses trucs de son côté en se mêlant de ses affaires. Il était là dans le but d’avoir éventuellement son logement et ne pas avoir à déplacer ses choses sans arrêt.
«Moi je ne parlais pas à grand monde. C’était le truc pour avoir la paix. [Les gens] ne m’achalaient pas», explique-t-il.
Louis Rouillard, 62 ans
Louis Rouillard est un homme sociable : il s’ennuie du «sentiment d’appartenance» que lui apportait le campement Notre-Dame, mais il a réussi à en retrouver un autre ailleurs.
En échange d’un coup de main aux bénévoles, il peut passer la nuit dans l’entrepôt d’un organisme et y manger un peu.
Il veut à tout prix éviter qu’on le prenne en pitié : il va bien et s’occupe à faire des «partys» avec les bénévoles de l’organisme, nous dit-il. Ça lui fait «des contacts», et il côtoie des gens différents de ceux qui habitent dans la rue.
Au campement Notre-Dame, l’ancien travailleur du fer lourd était le gars «manuel» et aidait lorsque cela était nécessaire.
«T'sais, quand t’es dans rue, tu couches dans les portiques et tu te fais chasser à coups de pied. Si j’ai été au campement, c’était parce que je n’avais pas à charrier mes trois sacs pour aller voir mon travailleur social», ajoute celui qui fait de l’insomnie en raison de son anxiété. Au campement, il n’avait pas à courir après les ressources (nourriture, toilettes), localisées au même endroit.
Louis savait cependant que, malgré les joies que pouvait lui apporter le camp, le plaisir allait éventuellement se terminer par une expulsion en raison des problèmes de drogue sur place et de l’incendie.
Toutefois, il est un partisan de l’idée de tolérer les campements en les encadrant, et se porte même volontaire pour «montrer comment faire».
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