Un fleuron de notre télé qui se flétrit


Guy Fournier
Les temps ont bien changé. La télévision aussi. De nos jours, il est très improbable qu’une série de télévision puisse marquer plus qu’une génération, comme l’a fait Passe-partout. Cette émission mérite d’emblée la première place que lui accorde notre cahier Weekend dans sa liste des 25 meilleures émissions jeunesse de l’histoire de notre télévision.
Passe-partout, c’est plus qu’une série de télévision, c’est un phénomène. Même si Passe-Partout est «officiellement» le bébé du ministère de l’Éducation du Québec et de Radio-Québec (aujourd’hui Télé-Québec), c’est la création de Laurent Lachance, un pédagogue montréalais et un auteur un peu fou, mort discrètement en octobre dernier.
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Passe-Partout a donné son nom à toute une génération, «la génération passe-partout», qui s’est procuré plus de 400 000 coffrets DVD de la série. L’émission a rejoint en réalité quatre générations différentes, les générations X, Y, Z et même Alpha, puisque Cannelle, Pruneau et compagnie ont repris du service en 2019 dans une mouture toute neuve.
Bobino et Fanfreluche, qui occupent la 2e et 3e place de notre liste, sont aussi dans une classe à part. Même si ces deux personnages mythiques remontent aux premières années de la télévision, ils restent encore bien vivants dans l’imaginaire des Québécois. Tous se rappellent encore le chapeau melon et la marguerite à la boutonnière de l’un, les pommettes rouges et les couettes de l’autre. Il suffit pour s’en convaincre de penser au mouvement de sympathie qui a suivi la disparition de Kim Yaroshevska à près de 102 ans, le 12 janvier dernier.
MISSION PRESQUE IMPOSSIBLE
Dresser une liste des 25 meilleures émissions jeunesse était une tâche presque impossible, Radio-Canada, Télé-Métropole, Radio-Québec, Canal Famille, Vrak, Yoopah et compagnie ayant créé et diffusé plus de 200 séries originales pour la jeunesse.
Moi qui ai vécu les débuts de la télévision et écrit une demi-douzaine de séries jeunesse, j’aurais été bien incapable de faire la liste des 25 meilleures émissions de 1952 jusqu’à nos jours. D’abord parce que je ne me souviens pas de toutes les émissions et ensuite, parce qu’il me serait bien impossible de leur assigner un rang, tellement je garde un bon souvenir de la plupart.
Je parie que des dizaines et même des centaines de lecteurs seront dans mon cas. Ils auront sûrement à redire sur les choix de notre cahier. Pour l’un, la ritournelle de La souris verte est encore un ver d’oreille qu’il chantonne à l’occasion, pour l’autre, c’est la chanson-thème de Passe-partout qui lui vient aux lèvres à la première occasion. Pour d’autres enfin, ce sont les pittoresques expressions du Capitaine Bonhomme qu’ils n’ont jamais oubliées, dont sa plus célèbre: «Les sceptiques seront confondus... dus... dus!».
LA TÉLÉ, GARDIENNE D’ENFANTS
Jusqu’à ces dernières années, disons jusqu’à l’an 2000, les émissions jeunesse de notre télévision ont fait la joie de tous les Québécois nés vers 1950 et dans les décennies qui ont suivi. Pour la plupart d’entre eux, les émissions jeunesse ont servi de gardienne d’enfants pendant que leurs parents préparaient le repas du soir ou lorsqu’ils faisaient la grasse matinée le samedi matin.
Radio-Canada fut un grand producteur d’émissions pour enfants. Le canal 2 n’était pas encore en onde que les artisans des émissions jeunesse occupaient déjà les quatre étages du vieil édifice de briques rouges situé à l’angle des rues Guy et Burnside (aujourd’hui le boulevard de Maisonneuve) à Montréal. C’est là que furent créés Pépinot et Capucine, Monsieur Surprise, Bobino, Fanfreluche, Piccolo, Bim et Sol, le pirate Maboule, le Grand Duc, CF-RCK, Le grenier aux images, Fafouin, Nic et Picotine, Minute moumoute, avant que Télé-Métropole enchaîne avec Fanfan Dédé, Patofville, Monsieur Tranquille, La cabane à Midas et que Radio-Québec se joigne à cette explosion créative avec Le Club des 100 Watts, Macaroni tout garni, etc., etc.
LA PUBLICITÉ
Mais en 1980, une loi, pourtant bien intentionnée, mit un premier frein à cette lancée. À la suite des pressions de bien-pensants qui ne voyaient pas les conséquences, Québec a adopté une loi interdisant la publicité dans les émissions destinées aux enfants de moins de 13 ans. N’était-ce pas un leurre qu’on puisse protéger ainsi les enfants de la publicité, alors qu’ils y sont exposés dans les émissions pour adultes qu’ils regardent, dans la rue, à l’école, sur les boîtes de céréales, les pots de confiture et jusque sur les tickets d’autobus?
Sans publicité, comment amortir les coûts croissants des émissions? Une à une, les émissions jeunesse qui occupaient beaucoup de place sur nos grands réseaux migrèrent vers des chaînes spécialisées comme VRAK et Yoopa, puis ces chaînes finirent par capituler devant un autre frein, irrésistible celui-là: l’assaut des plateformes étrangères comme YouTube, Disney et compagnie.
Ce n’est pas la fin des émissions jeunesse québécoises pure laine, mais elles se feront désormais de plus en plus rares si bien que la prochaine liste des meilleures sera, hélas!, très facile à dresser.