Un an après le décès de Jean Lapointe, Jean-Marie Lapointe se remémore des souvenirs précieux
Érick Rémy
Il y a un peu plus de 20 ans, nous animions Les fils à Papa, à TQS. En 2021 puis en 2022, nos célèbres pères, Edward Rémy et Jean Lapointe, nous ont respectivement quittés à 95 ans et 86 ans. Le premier de façon plutôt inattendue, et l’autre à petit feu. S’il m’arrive encore de pleurer le mien, Jean-Marie, lui, est serein, ayant pu veiller sur lui durant les trois dernières années de sa vie. S’inspirant de son journal personnel, il a même écrit Notre dernier voyage, un livre sur l’accompagnement de son père en fin de vie.
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Tous les jours, j’ai une pensée pour mon père et on m’en parle régulièrement. Que ce soit par sa splendeur ou son bouillant caractère, il n’a laissé personne indifférent. (rires) Même aux soins palliatifs, Mercedes, sa femme, mes soeurs et moi étions persuadés qu’il allait vivre une autre journée. Mon père était comme un chat, il retombait toujours sur ses pattes: faillites, rechutes d’alcool, creux de carrière, accidents de la route, cancers... Il réussissait tout le temps à s’en sortir. En quelque sorte, toutes ses épreuves nous avaient préparés à sa mort», dira-t-il pour expliquer la différence vécue entre nos deux deuils.
Apprivoiser la mort
Il faut dire que Jean Lapointe, chanteur, musicien, fantaisiste, acteur, bienfaiteur et sénateur, dont la renommée a débordé nos frontières, a mené toute une vie et toute une carrière. Dès son plus jeune âge, Jean-Marie a tenté de survivre du mieux qu’il le pouvait aux inconduites de son père, qui souffrait de multiples dépendances. Des années plus tard, l’animateur, comédien, musicien, conférencier et auteur a ouvert son coeur pour aider, tout comme son père le faisait, les plus vulnérables et démunis de notre société. «La première fois que j’ai été ébranlé et anéanti par la mort, j’avais 26 ans: ma mère est décédée, à 49 ans, des suites de l’alcoolisme. Elle avait fait un séjour à la Maison Jean Lapointe et dans d’autres centres, mais sans succès. Ç’a été à la fois la pire expérience de ma vie et le cadeau le plus mal emballé. Je n’ai plus jamais été le même. J’ai pris conscience de la finitude de ceux qu’on aime. Après, j’ai longtemps eu peur de perdre mon père et ça avait altéré notre relation. Grâce à mon cheminement, cette angoisse s’est transformée en quelque chose de plus doux et de bienveillant envers lui.»
Un accompagnement rempli de lumière
Homme si vivant, Jean-Marie a, depuis ce premier grand deuil, accompagné des dizaines de personnes vers la mort, dont Joanna Comtois, décédée à 14 ans des suites d’un sarcome d’Ewing en 2011. Tenir la main de son père âgé de 86 ans a-t-il été aussi chavirant que de tenir celle de cette adolescente? «Complètement. Pour Joanna, ç’a été trois mois très intenses. Quand la mort approche, cela intensifie nos liens. J’étais devenu à la fois son grand frère, son ami idéal, un confident et une figure paternelle. C’est un amour inconditionnel. Je me nourrissais de la force de vivre de Joanna tout en sachant qu’après son départ, j’allais terriblement en souffrir.»
Il poursuit: «Pour ce qui est de mon père, j’avais eu 57 ans de vie avec lui. Des hauts et des bas, des moments de rêve, des déceptions. Tenir un journal intime a été très thérapeutique. Cela a abouti à ce livre qui, je l’espère, aidera les gens à mieux se préparer à la perte d’êtres chers.» Ce cinquième ouvrage, Notre dernier voyage, boucle la boucle avec son récit autobiographique, paru en 1999, Mon voyage de pêche. Jean-Marie y racontait l’expédition de pêche père-fils qui leur a permis de renouer, puis de réparer et solidifier leurs liens.
L’amour déplace des montagnes
Devenus inséparables depuis ce fameux voyage de pêche, père et fils ont même cohabité lorsque ce dernier et sa blonde se sont séparés. Avec la fin de vie de Jean, Jean-Marie a posé des gestes qu’il n’aurait jamais cru possibles. «Lorsque des préposés s’occupaient de ses besoins, comme aller à la toilette ou le laver, je me disais que j’en serais incapable. Par la force des choses, j’ai appris à le faire. Quand tu vois ton vieux père en perte d’autonomie, tu n’as d’autre choix que d’aller vers cette proximité physique qui devient très intime. Dans le livre, je raconte, sous forme d’un scénario de film se voulant un hommage à l’acteur qu’il a été, un moment où j’ai dû l’aider à uriner!» dit-il en riant avec tendresse.
Dès le début de cette fin, il s’est tourné vers Johanne de Montigny, psychologue, auteure à succès et mondialement réputée pour l’accompagnement en fin de vie. Elle a aussi collaboré à son livre. «Comment doit-on se comporter? Qu’est-ce qu’on dit ou ne dit pas en entrant dans la chambre de la personne mourante? Comment ne pas s’effondrer ou faire un burn-out? Trop de gens souffrent en silence lorsqu’ils font face à la perte annoncée ou imminente d’un proche. Je confiais mes émotions, mes insécurités, mes peurs et questionnements à Johanne. Et je notais dans mon journal mes réflexions, nos échanges, les phrases et les gestes de papa. Ce n’est pas l’animateur ou l’auteur qui écrivait, mais le fils de cet homme qu’il aimait et qui doucement s’éteignait devant lui. Je voulais me souvenir de tous ces précieux moments.»
De quoi Jean-Marie s’ennuie-t-il le plus à propos de son père? «Ah mon Dieu! (long silence) De son sourire, avant qu’il ne fasse un long séjour en CHSLD, lorsque j’arrivais chez lui. Il était assis en robe de chambre et m’attendait à la table. Nous soupions et regardions ensemble un match de football à la télé. Je m’ennuie de la joie qu’il éprouvait d’une simple visite.» Parce qu’ils ont eu le temps de réparer les pots cassés et qu’ils s’aimaient malgré leurs différences, ils se sont quittés sans regret ni remords. «Je n’avais rien à régler avec lui. A-t-il failli ne pas être un bon père? Oui! Tout parent, si bon soit-il, se dit un jour face à ses enfants: “Je suis passé à côté de quelque chose.” Je crois que mes demi-sœurs en auraient long à dire à ce sujet.»
Comme il le dit, l’important est de se reprendre. «Il l’avait fait à sa façon, mais parfois, quand on a la capacité de le faire, le besoin de l’autre n’est plus le même. Bien sûr, j’aurais aimé jouer au hockey avec mon père, et qu’on ait un chalet. J’aurais aimé faire une tournée en France avec lui, mais à cette époque il en était incapable ou inconscient. Il aurait aussi pu être un père bien pire. Sans vouloir sauver son honneur, je connais des pères alcooliques et toxicomanes qui ont été absents et qui ont même coupé les ponts avec leurs enfants. L’échec est directement attribuable à la maladie et non à ces personnes. L’alcoolisme, la toxicomanie et toutes les autres dans ce spectre mènentàlafolie,àlamortouàla prison. Toute personne qui fait une démarche dans les fraternités anonymes dédiées à ces maladies peut trouver la rédemption dans le cheminement.»
Porter le flambeau
S’il devait vivre aussi longtemps que son père, Jean-Marie sait-il, à 58 ans, ce qu’il ferait de ce temps donné? «Je veux poursuivre l’élan qui me pousse à faire ce que je fais en ce moment. Faire œuvre utile pour ceux et celles qui ont besoin d’aide et mettre plus de joie dans leurs vies. Être au service de ma lumière intérieure. Et si je le fais, je ne me tromperai jamais. Ça ne sera jamais un appel dicté par l’ego ou le matériel. Tout comme ma tante Cécile, qui était religieuse... Je l’ai tant aimée! C’était une vraie missionnaire.»
Même si personne n’échappera à sa propre mort ni à celle de ses proches, Jean-Marie est-il conscient que c’est encore un sujet tabou et qu’il est possible qu’il ait écrit un livre que personne ne voudra vraiment lire? «Ça se peut! (rires) Lire, parler et contempler la mort, ce n’est pas sexy ou palpitant. Dans mon livre, il y a des passages cocasses et d’autres où les lecteurs auront la larme à l’œil. Je suis persuadé qu’il va faire son bonhomme de chemin et aider ceux qui en auront besoin.»
Son nouveau livre est en vente.
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