Pourquoi vivons-nous dans le déni de la crise climatique? On l'a demandé à une psychologue
Élizabeth Ménard
Le budget provincial dévoilé hier accorde peu d’importance à la crise climatique. Malgré la menace dans laquelle nous fonçons, le Québec - à l’image du reste du monde – semble incapable de mettre sur pied les changements nécessaires pour s’adapter à la crise climatique. On en a parlé avec une psychologue et éducatrice en environnement qui nous explique pourquoi, individuellement et collectivement, nous sommes pris dans ce statu quo.
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La science est sans équivoque sur le danger que représentent les changements climatiques et sur la vitesse d’action nécessaire pour en atténuer les pires impacts.
Pourtant, un maigre 1,9 G$ est réservé au portefeuille de l’environnement dans le budget Girard dévoilé hier, loin derrière la santé (55,8 G$), l’éducation (29,3 G$), les finances (9,2 G$) et tous les autres portefeuilles prioritaires.
«Nous marchons les yeux fermés vers la catastrophe climatique», lançait le Secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, lundi.
Les yeux fermés. Pas parce qu’on n’a pas l’information, mais parce qu’on les ferme délibérément.
La peur et l’incohérence
Au point de vue de la psychologie, plusieurs facteurs peuvent expliquer notre incapacité d'agir.
D’abord, il y a la peur.
«Tout ce qui est déni, déresponsabilisation, procrastination, évitement, passivité, indifférence, inaction, ça rentre dans la catégorie de l'évitement dans les stratégies d'adaptation», explique la psychologue Inês Lopes, spécialisée en écoanxiété.
«Mais ce n’est pas une stratégie efficace, dit-elle. C'est quelque chose qu'on voit constamment dans nos bureaux de psychologue parce que des fois c’est trop confrontant, ça demande des renoncements qu’on n’est pas prêts à faire ou bien on a l’impression que la montagne devant nous est trop grosse. À cause de la peur, les gens vont paralyser.»
La peur de ce qui arrivera, mais aussi des renoncements qui seront nécessaires, est donc un frein à l’action.
«Dans les campagnes médiatiques pour l’environnement, on dit de ne pas trop entrer dans le doom and gloom [malheur et tristesse] parce que les gens deviennent comme des chevreuils devant des phares, ils paralysent. Ce n’est pas ce qu’il y a de plus efficace en termes d’impact», explique Mme Lopes, qui est également éducatrice en environnement.
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Ensuite, l’incohérence entre les messages scientifiques et médiatiques et les réponses politiques contribue au statu quo.
«Les gens aiment croire que les politiciens prendraient les bonnes décisions. Ils sont là pour nous protéger. Mais comment ça se fait qu’il ne se passe rien? Comment ça se fait qu'on annonce un nouveau pipeline? Ça n'a pas de sens. C’est quelque chose qui mélange les gens», juge l’éducatrice.
Passer à l’action
Enfin, il faut prendre en considération nos biais cognitifs, c’est-à-dire des raisonnements incorrects qu’on perçoit comme rationnels.
«De toute façon si on ne peut pas tout changer, à quoi bon faire quelque chose ou essayer?» illustre la psychologue.
Elle fait la comparaison avec une personne qui attend le moment parfait pour aller au gym plutôt que d’y aller 20 minutes, quelques fois par semaine.
«Nous [les psychologues] ce qu'on dit aux gens c’est: mieux vaut fait que parfait. Même si tu n’as pas le parfait trois heures, tu es mieux de faire quelque chose que de ne rien faire. Et à long terme c'est souvent plus payant», dit-elle.
Lorsqu’on a du pouvoir sur la situation, ce qui est en partie le cas de la crise climatique, puisque plusieurs solutions sont connues, la psychologue recommande de passer à l’action.
«C’est une stratégie d’adaptation beaucoup plus réaliste et efficace. Mais pour ça, il faut avoir le courage d'accepter la situation et de dire je vais essayer. Même si je ne comprends pas l'ensemble de la situation, même si je ne peux pas tout changer», souligne-t-elle.
Plusieurs autres facteurs peuvent influencer notre capacité de passer à l’action, comme la perception des changements climatiques comme un danger du futur et non immédiat (une perception fausse, démentie par la science), l’aspect culturel (la valorisation de la surconsommation) et les besoins proximaux (comme les urgence quotidiennes et les grands problèmes que vivent certaines personnes et qui les empêchent de passer à l'action même si elles le voudraient).
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Ce qui est certain, selon l’éducatrice en environnement, c’est que l’inaction, autant politique qu’individuelle, fait monter le niveau d’écoanxiété collectif.