Publicité
L'article provient de 24 heures
Environnement

Urgence climatique: il faut repenser complètement le voyage, estiment des experts

Photomontage: Marilyne Houde
Partager
Photo portrait de Anne-Sophie Roy

Anne-Sophie Roy

2022-10-21T10:00:00Z
Partager

Prendre moins l’avion, voyager localement ou même se rendre en Europe par cargo : voilà autant d’alternatives pour limiter ses émissions de carbone lors de ses voyages. Ces options, pourtant pleines de bonnes intentions, ne freineront en rien la croissance de l’industrie du tourisme et ses répercussions importantes sur le climat. Les experts sont unanimes : il faut repenser complètement le voyage et pour ce faire, des changements collectifs profonds s’imposent.  

• À lire aussi: Il faut réduire ses voyages en avion pour lutter contre les changements climatiques

• À lire aussi: Compenser les GES des vols en avion grâce aux crédits carbone : une fausse bonne idée?

Prendre l’avion moins souvent fait partie des mesures individuelles les plus efficaces pour limiter les émissions de gaz à effet de serre, a souligné le dernier rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC). Mais est-ce possible de voyager en avion tout en adoptant des pratiques de tourisme durable ? 

«A priori, non, lance d’emblée la professeure titulaire et directrice du certificat en tourisme durable de l’Université Laval, Pascale Marcotte. C’est une consommation d’énergie fossile importante. À court terme, ce serait illusoire de penser que ça n’a aucun impact.» 

Pour l’experte, il n’y a pas de solution magique pour voyager le plus «vert» possible : il faudra beaucoup d’investissements de notre part et de la collectivité. Avant d’en arriver là, une réflexion profonde sur trois grands concepts s’impose.  

Publicité

Pascale Marcotte, professeure titulaire et directrice du certificat en tourisme durable de l’Université Laval.
Pascale Marcotte, professeure titulaire et directrice du certificat en tourisme durable de l’Université Laval. Crédit: Laboratoire de recherche sur les publics de la culture (LRPC)

Pourquoi ai-je besoin de voyager? 

Tout comme c’est le cas pour l’ensemble de nos habitudes de consommation, il faut se poser les questions suivantes: «Pourquoi je voyage? En ai-je réellement besoin? Que pourrais-je changer dans ma vie quotidienne pour ne pas sentir le besoin d’aller à l’autre bout du monde pour me reposer?» donne en exemple Pascale Marcotte. 

Ça a été un avantage de la pandémie: redécouvrir ce qui a autour de chez nous et revoir sous un nouveau regard sa propre ville», rappelle la professeure, qui croit qu’il faut d’abord et avant tout revoir son concept de l’évasion. 

Pourquoi a-t-on d’ailleurs ce besoin viscéral de voyager? C’est la question qui a nourri la réflexion du sociologue français Rodolphe Christin, auteur de plusieurs livres dont La vraie vie est ici et Manuel de l’antitourisme. 

«Notre amour des voyages prouve à quel point notre vie quotidienne est devenue insupportable», a-t-il écrit dans son essai La vraie vie est ici, qui pose un regard critique sur l’industrie touristique. 

Ouvrage du sociologue Rodolphe Christin.
Ouvrage du sociologue Rodolphe Christin. Crédit: leslibraires.ca

«On a l'impression parfois que si les gens ne voyagent pas, le malheur du quotidien s'abat sur eux et que cette soupape des quelques semaines de vacances est nécessaire pour trouver un équilibre», a expliqué le sociologue au 24 heures

Les espaces touristiques deviennent ainsi une réponse à cette recherche de refuge pour s’évader de son train-train quotidien. Selon l’auteur, cette quête devrait plutôt nous motiver à transformer nos espaces de vie pour «avoir moins besoin de souffler, se mettre au vert et réintégrer un peu de convivialité à proximité de nos environnements quotidiens.» 

Publicité

Pourquoi avons-nous si peu de temps pour s’évader? 

La courte durée de nos vacances peut nous inciter à prendre l'avion pour parcourir une distance record en peu de temps. Paradoxalement, on passe une bonne partie de ces vacances dans les transports. Pourrait-on alors revoir son rapport au temps pour mieux profiter du monde qui nous entoure? 

«L’ailleurs n’est pas toujours une question de kilomètres, insiste le professeur au département d’études urbaines et touristiques de l’UQAM, Dominic Lapointe. On pourrait tous prendre un cargo pour aller en Europe ou aller jusqu’en Californie en train pour limiter ses GES. C’est possible, mais combien de temps ça prend?» 

C’est là que l’excursionnisme et le tourisme de proximité entrent en scène. Ce mode de tourisme, qui permet aux voyageurs de redécouvrir leur région ou même leur ville dans un rayon de moins de 100 kilomètres, mène à une redécouverte de ce qui nous entoure. Et qui dit proximité dit moins de transports et plus de temps! 

Dominic Lapointe, professeur au département d’études urbaines et touristiques de l’UQAM.
Dominic Lapointe, professeur au département d’études urbaines et touristiques de l’UQAM. Crédit: UQAM

«Peut-être qu’en ayant un peu plus de temps libre chaque semaine, c’est là que le tourisme durable peut se développer», avance Dominic Lapointe, également chercheur au Centre de recherche sur les innovations sociales (CRISES). 

Pour le professeur, le «tourisme durable» devrait avant tout permettre de se sentir «vivant» à plusieurs moments dans une année et non pas uniquement pendant cette période de vacances de deux ou trois semaines.  

Si l’on souhaite tout de même parcourir de grandes distances, faire de voyages plus longs mais moins fréquents est un bon compromis, selon la professeure Pascale Marcotte. 

Publicité

«En s’accordant plus de temps pour voyager, on reste plus longtemps à notre destination, on réduit l’impact de notre empreinte écologique et ça nous permet de réorganiser notre séjour autrement pour prendre des transports plus lents mais moins polluants comme le train et l’autobus», fait-elle valoir.

Comment peut-on améliorer la mobilité locale? 

Le tourisme durable rime avec proximité et local. S’il est possible d’utiliser des modes de transport de mobilité douce pour se déplacer, comme le vélo, le train et l’autobus, encore faut-il que les régions du Québec soient desservies par un réseau de transport interurbain collectif efficient. 

«L’Europe est dotée d’un réseau efficace, ce qui n’est pas le cas au Québec, souligne Dominic Lapointe. Il faut avoir une réflexion autour de l’automobilité et du développement des transports collectifs régionaux. Aller en Gaspésie sans voiture, ce n’est pas donné à tous.» 

Le développement du tourisme de proximité ne pourra pas reposer uniquement sur la volonté des voyageurs de découvrir leur coin de pays. Des investissements majeurs – tant en mobilité qu’en infrastructures - devront être déployés pour favoriser le voyage local.  

«Il faut amener les gouvernements à réfléchir à l’importance de développer des liaisons interurbaines. Pour initier des changements de comportement, il faut qu’une offre permette d’adopter ces nouveaux comportements-là», insiste la professeure Pascale Marcotte. 

À VOIR AUSSI

Publicité
Publicité

Sur le même sujet