Marie Carmen s’ouvre sur la douloureuse époque où elle était la cible des humoristes
Patrick Delisle-Crevier
Bien que Marie Carmen ait effectué un retour sur scène il y a quelques années avec Marie Denise Pelletier et Joe Bocan dans le spectacle Pour une histoire d’un soir, elle se fait plutôt rare en entrevue. Nous avons placé une demande d’entrevue et elle a dit «oui», à notre plus grande joie, de se prêter au petit jeu de la chronique «Dans le fauteuil». Il est question de son retour en solo avec son spectacle Perles cachées, qu’on pourra découvrir plus tard cette année. On aborde aussi ses 65 ans, qu’elle célébrera cet été, sa vie de célibataire depuis cinq ans et bien d’autres choses. Entrevue avec une femme et chanteuse que j’aime particulièrement et qui commence tout en musique puisqu’elle me fait entendre sa version de De la main gauche, la très belle chanson de Danielle Messia qu’elle a reprise à la demande du réalisateur Maxime Robin pour son film La main gauche. Le résultat est tout simplement magnifique! Ça commence plutôt bien...
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Marie, cette version de cette chanson est magnifique!
Merci! Cette demande a été un cadeau pour moi! C’était écrit dans le ciel qu’un jour j’allais chanter cette chanson. Elle a toujours fait vibrer quelque chose de particulier en moi. Alors, j’ai vraiment été émue et honorée de recevoir une telle demande du réalisateur Maxime Robin. Je ne crois pas que je la sortirai officiellement un jour et, comme je n’ai pas de projet de disque, peu de gens vont l’entendre. Je l’ai fait entendre à Luce Dufault, qui l’a elle aussi reprise il y a plusieurs années, et elle a adoré ce que j’en ai fait. Nous nous sommes fait la promesse de la chanter ensemble un jour. Elle ne fera cependant pas partie de mon spectacle.
Donc, tu ne feras pas de retour sur disque?
Non, pas pour l’instant. Je n’ai pas l’intention de faire un nouvel album. Le seul disque que je pourrais faire — reste à voir si ça va me tenter! —, ce serait un enregistrement live de mon nouveau spectacle, Perles cachées. Dans ce show, je vais reprendre des chansons qui ont jalonné mon parcours, des succès que j’ai envie d’habiller autrement, mais aussi des pièces moins connues.
J’ai oublié de te demander, d’entrée de jeu...Comment va Marie Carmen?
Je vais très bien et toi? C’est ma réponse à cette question maintenant et depuis un long bout. Je vais bien et je suis heureuse. J’ai écrit ce matin sur mes réseaux sociaux qu’en ce moment j’étais en état d’amour. On est dans la période de la Saint-Valentin, et moi, cette période me plonge dans un état d’amour, tant pour le donner que pour l’accueillir. J’invente le verbe «valentiner»: je valentine, tu valentines, nous valentinons! Et j’ai envie de dire: valentinons donc toute l’année, tous les jours et toute la vie! Je n’ai pas d’amoureux, c’est comme ça depuis cinq ans, et je suis bien là-dedans. J’ai plein d’amour dans ma vie, et ça me comble.
Est-ce que tu as dû apprivoiser le célibat?
Non. Je ne suis pas de celles qui ont l’impression que leur existence n’est pas complète sans la présence d’un amoureux dans leur vie. J’ai toujours été comme ça. J’ai vécu de longues périodes de célibat et je suis bien avec ça. Maintenant, ça fait cinq ans que je suis célibataire, et je suis très bien. J’ai beaucoup travaillé ces dernières années et je me suis rendu compte que ma maison, mon décor, mon nid, c’est mon refuge. Quand je rentre chez moi après une tournée, je ne vis pas de grande solitude. Au contraire, on dirait que ma maison me tend les bras, et je suis bien. J’aime reprendre possession de mon lit chaque soir et dormir à la diagonale avec mes six oreillers! (rires)
Dis-moi, Marie, est-ce que tu restes en bons termes avec tes ex?
Oui, vraiment. Après cinq ans de célibat, mon ex et moi sommes devenus les amis qu’on aurait dû être au départ. C’est moi qui ai décidé de le quitter, et on est devenus des amis, des vrais. Il sait qu’il peut compter sur moi et vice-versa. Nous avions deux chiens ensemble et il les a gardés tous les deux, car je ne voulais pas les séparer. Je vais leur rendre visite régulièrement.
Crois-tu encore à l’amour?
Oh! que oui! Après cinq ans de célibat et à presque 65 ans, il y a quelque chose qui est en train de se passer... Il y a de l’amour dans l’air, je le sens que ça va arriver! Après avoir passé cinq ans dans mon petit cocon à donner de l’amour et à ne jamais en manquer, on dirait que j’ai envie que mon cocon s’ouvre pour laisser de la place à quelqu’un. Je ne sais pas du tout ce que la vie me réserve, mais je sens que quelque chose va se passer. Je n’ai jamais cessé de croire à l’amour. J’ai zéro amertume face à mes ex et, comme je le disais, je suis en bons termes avec eux. Malheureusement, il y en a plus d’un qui sont décédés, dont mon beau François Jean. Ça, ça fesse. Dans ma chanson Le blues de vous, je parle de mes amis disparus, mais aussi de mes amours disparus. Il y a des fois où j’ai mal à mes amours. Mais je prends soin de bercer le plus beau du plus beau de ce que j’ai vécu avec chacune de ces personnes.
Comment accueillerais-tu la venue d’un nouvel homme dans ta vie?
Il va falloir qu’il accepte que je dors en diagonale! (rires) Non, sérieusement, il va falloir qu’il ait son espace à lui, qu’il soit indépendant et qu’on se donne des rendez-vous galants. Je ne suis pas celle qui déménage chez son amoureux. À part une fois, je n’ai jamais laissé mon territoire pour celui d’un autre. Habituellement, c’était mes amoureux qui venaient vivre chez moi, et non le contraire. (Au cours de notre discussion, nous sautons du coq à l’âne! Nous en venons à parler de sa maison sur le Plateau Mont-Royal où elle avait célébré ses 40 ans en grande pompe en organisant un party costumé. J’y étais. Elle revient spontanément sur cette période de sa vie.) Quand je regarde le passé, durant ma trentaine, j’ai connu un immense succès, mais en même temps — et je ne veux pas entrer dans les détails —, ç’a été une période douloureuse, ou épuisante pour être plus précise. À la fin de la trentaine, je me suis dit que la nouvelle décennie qui allait s’amorcer ne serait pas à l’image de celle qui se terminait. Au contraire, j’avais envie de façonner ma quarantaine, et c’est ce que j’ai fait. Je me suis demandé ce que je voulais et comment je la voyais. Je me suis mise à visualiser qui j’étais à part d’être une chanteuse. Il y avait aussi, au même moment, une espèce de fin de cycle dans ma carrière. J’ai même pensé alors que c’était la fin de mon métier.
Cette fin de ta carrière, comme tu dis, c’est toi qui l’as provoquée ou elle est arrivée par elle-même?
Je dirais que la vie s’est chargée de tout ça. De mon côté, j’étais fatiguée. J’ai eu envie de tirer un trait, d’aller voir ailleurs si j’y étais. Et ç’a été formidable pour moi de découvrir qu’il y avait une vie après la chanteuse, qu’il y avait une autre vie que celle de Marie Carmen. Il y avait la Marie et la Carmen, le miel et le venin, le jour et la nuit, le tôt ou le tard, le blanc ou le noir, l’ombre ou la lumière... J’étais tannée de Carmen, mais pas de Marie. Le Carmen prenait trop de place, et j’ai eu envie de l’éloigner de moi pour laisser une grande place à Marie.
Et la Carmen est-elle revenue?
Oui. Elle est revenue alors que j’étais au Pérou. C’est là que j’ai pris contact avec les racines mêmes de la Carmen en moi en apprenant la langue espagnole. Depuis un bon moment, je n’écoutais plus de musique, j’avais besoin d’une pause. Et c’est en apprenant cette nouvelle langue que j’ai eu envie d’écouter de la musique espagnole. C’était une fenêtre sur un nouveau monde! Au moment où je découvrais une nouvelle musique et que j’arrivais à en comprendre les paroles, une petite voix en moi me disait qu’un jour, peut-être, je chanterais en espagnol. J’ai me suis fait des amis là-bas, dont un couple de musiciens, Walter et Leslie. Ils m’ont fait réaliser beaucoup de choses sur les blessures que j’avais face à mon métier de chanteuse. Il y avait, entre autres, ma peur de revenir dans le milieu, parce que j’avais été très blessée par les propos d’humoristes dans certaines émissions de l’époque. Ces amis me disaient que, contrairement à ce que je croyais, ma vie de chanteuse n’était pas terminée. Ils m’ont fait réaliser que j’étais une artiste et que je devais chanter. Je me suis aussi rendu compte que c’était réducteur de me définir en deux entités, qu’il y avait plus en moi que la Marie et la Carmen. J’ai réalisé que j’avais des facettes multiples, comme un diamant, et que nous sommes tous comme ça. J’ai alors eu envie de déployer mes ailes. Comme tu vois, j’ai découvert un trésor au Pérou!
Tu avais peur, si tu revenais, d’être à nouveau la cible des humoristes?
Oui. Mais mes amis m’ont fait comprendre qu’il était possible que je sois accueillie avec de l’amour plutôt que des moqueries. J’ai alors fait le disque Le diamant (Après une absence de 10 ans, cet album paru en 2008 a été très bien reçu par la critique et le public). Et c’est ce qui arrive encore aujourd’hui: je me sens accueillie dans l’amour et je le chéris. Je n’ai plus peur, mais du coin de l’oeil, je surveille. Comme Lara Fabian a dit un jour: «Je suis devenue à mon tour l’animal à abattre.» Elle est aussi passée par là avec ce genre d’émission de moqueries. Je sais qu’à un moment donné, notre étoile brille et que ça dérange. J’ai envie de dire: laissez briller les gens et laissez-leur leur succès. Certaines personnes sont incapables d’apprécier la joie, le succès et le bonheur des autres. Il faut souffler dans nos ailes les uns les autres, et non le contraire. Quand quelqu’un n’est pas fin avec moi, ça me démolit; je dois faire attention à ça, je dois me protéger. Il faut faire attention à ce qu’on dit, car on ne sait jamais l’impact que ça peut avoir sur l’autre et son entourage.
As-tu pardonné à ces humoristes?
Un jour, je suis allée élégamment serrer la main de la personne qui m’avait fait le plus de mal. Je ne vais pas le nommer, mais il va se reconnaître. J’ai pardonné, mais je n’ai pas oublié le mal que cela m’a fait. De toute façon, je ne souhaite plus accorder d’importance à ça. J’ai tourné la page sur ce chapitre-là. Je regarde en avant maintenant.
En dehors des humoristes, quels souvenirs gardes-tu de cette période où le succès de Marie Carmen était complètement fou?
J’ai commencé à chanter à 20 ans. Ç’a été le début de belles années. Ensuite, avec mon deuxième album, Miel et venin (1992), c’est devenu très gros et étourdissant. Je ne sais pas comment mon corps, mon esprit, ma voix et mon équilibre ont pu faire pour traverser cette période complètement folle. À cette époque, je disais oui à tout! Dans une journée, je pouvais faire une vingtaine d’entrevues en personne ou téléphoniques et, le soir, j’avais un spectacle. Après le show de deux heures, je rencontrais le public et je signais des autographes pendant un autre deux heures, avant de monter à bord de l’autobus de tournée. La plupart du temps, je n’arrivais pas à dormir dans un autobus. Alors, ç’a été de belles années, mais des années épuisantes au cours desquelles j’ai accumulé un grand manque de sommeil. Ç’a aussi été des années pendant lesquelles je faisais du rock, et je sais maintenant que je ne veux plus en faire. Et c’est d’ailleurs une crainte que j’ai par rapport à ma tournée.
C’est quoi cette crainte?
Que les gens du public, qui m’ont attendue, qui ont si bien respecté ma décision de lâcher le métier et qui sont tout de même demeurés fidèles, s’attendent à ce que je fasse du rock dans mon nouveau spectacle. Je veux qu’ils sachent que je ne ferai plus de rock. Je ne vais plus là.
Pourquoi?
Parce que ça ne me tente plus. Le rock éparpille mes énergies et je veux me ramasser. Ça n’empêche pas que dans ma voix, la «garnotte» est encore là, et que je vais continuer de grafigner vocalement sur scène. Mais je ne vais plus me lancer partout comme je le faisais avant. Durant la tournée Pour une histoire d’un soir, j’avais accepté de chanter Piaf chanterait du rock, mais à condition de la faire avec les filles. À trois sur scène, ça a créé quelque chose d’intéressant. Ce n’est pas que je n’aime plus cette chanson, mais je ne veux plus me pitcher partout parce que ça m’épuise. Cette décision va de soi. Je suis rendue là dans ma vie. Je veux que le public le sache. Mais ce ne sera pas un spectacle figé pour autant.
Justement, à quoi peut-on s’attendre de ce nouveau spectacle?
Il y aura quatre musiciens sur scène, sous la direction musicale de Nadine Turbide. Daniel Volj (chanteur et multiinstrumentiste) sera aussi sur scène avec moi. C’est un gars multitalentueux que j’adore. Mon amie Joe Bocan signera la mise en scène du spectacle. Je vais chanter mes chansons, mais aussi les pièces des autres que je qualifie de perles. Le choix des chansons est étonnant! Je suis complètement allumée par tout ça. Je vais partager aussi certaines de mes découvertes musicales, des chansons que je veux faire découvrir aux gens. J’ai aussi envie de chanter en espagnol et il y aura peutêtre aussi une chanson en anglais. Je veux avoir une belle liberté tout en m’assurant d’inclure mes grands succès. C’est certain que Le blues de vous, Entre l’ombre et la lumière, L’aigle noir et Je veux de la tendresse seront là. Je vais assembler des petites perles et en faire un beau collier!
Tu as un répertoire de succès parmi les plus impressionnants au Québec. Quel regard portes-tu avec le temps sur tes chansons?
Je suis très fière de plusieurs de mes chansons et, en même temps, en vieillissant, je dirais qu’il y a certaines chansons que je ne chanterai plus; elles vont s’éliminer naturellement. Je ne vais plus jamais chanter une chanson comme Possédée à 65 ans. Mais je peux dire que le regard que je porte sur celle que j’ai été, et ce, peu importe les époques, il est bienveillant maintenant; ce ne fut pas toujours le cas. Je suis vivante aujourd’hui, je ne veux rien manquer de mes journées et c’est pour ça que je me couche très tôt. Je suis rendue sage. Je me lève très tôt — avant même le lever du soleil — parce que je ne veux rien manquer de la journée. Pour moi, c’est important.
Je te sens plus heureuse que jamais, Marie...
Je le suis. Je disais tantôt que j’avais façonné ma quarantaine et qu’elle a été exactement comme j’avais voulu qu’elle soit! Ma cinquantaine, j’ai oublié de la visualiser et elle a été moins heureuse. J’ai beaucoup boudé durant cette période, parce que je vieillissais et que je n’acceptais pas que ma jeunesse foute le camp. J’avais l’impression que j’étais finie. Ça a duré quelques années et, à la fin de cette décennie, je me suis dit que j’allais avoir une soixantaine heureuse. J’ai callé la shot et je vois les choses de façon différente. Je vais avoir 65 ans, et je suis tellement fière et reconnaissante que je n’ai plus le temps de bouder sur la perte ma jeunesse. J’ai quatre ans dans mon coeur. Je n’ai plus peur de vieillir et je me donne encore le droit d’être une enfant. Je pose un regard bienveillant sur chacune des femmes que j’ai été au fil du temps. Je n’ai pas d’amertume, même par rapport aux périodes les plus difficiles de ma vie, parce qu’elles m’ont permis d’être celle que je suis aujourd’hui. Je suis en paix avec celle que j’ai été.
Marie, nous sommes en entrevue et, en plus, ce sera une page couverture!
J’ai moi-même du mal à le croire... Il y a une chose que je ne savais pas et que j’ai réalisée: c’est à quel point, des fois, on est responsable de notre malheur comme de notre bonheur! Je continue d’apprendre et, surtout, je veux continuer d’apprendre et d’avoir du plaisir en faisant mon métier. Personne ne me doit rien. Le public ne me doit rien non plus et il est toujours là. C’est merveilleux! Je suis en état de gratitude. Et ce que je veux, c’est ne jamais plus me perdre de vue comme je l’ai déjà fait. Durant cette période, je n’avais plus de fun et je ne voulais pas être celle qui offrirait quelque chose qui ne soit pas vrai au public. C’était la même chose quand venait le temps de faire des entrevues. Je suis ici aujourd’hui parce que j’ai envie d’y être. Mais je choisis aussi les gens avec qui je fais les choses, et c’est merveilleux!
Ton retour inespéré, nous le devons avant tout au producteur Martin Leclerc, qui a été patient avec toi...
Oui, il m’a proposé plein de choses au fil des années. Chaque fois, je lui disais non. Je sentais que ce n’était pas la bonne affaire, et il a été persévérant et tenace. Moi, je ne voulais rien savoir. Je me contentais de faire une petite apparition de temps en temps à la Fierté gaie où je donnais un petit spectacle, le temps de quelques chansons, dans un parc ici et là. J’appelais ça mes visites de courtoisie. J’allais dire aux gens que je les aime et je disparaissais à nouveau. Mais quand Martin m’a proposé de faire un spectacle avec Joe Bocan et Marie Denise Pelletier, j’ai trouvé cette proposition pertinente et je me suis lancée. Puis, avec le succès de la tournée à trois, il m’a proposé de faire une tournée en solo et ma réponse fut: «Jamais, je suis trop bien avec ces deux filles-là!» Mais à un moment donné, j’ai vu la possibilité de faire un spectacle en solo. Je voulais faire quelque chose qui allait m’amener près du public. J’ai alors trouvé mon concept des Perles cachées. Là, je me prépare à prendre mon envol en solo et j’ai hâte!
Le nouveau spectacle de Marie Carmen, Perles cachées, mis en scène par Joe Bocan, prendra vie dès octobre prochain. Les dates et les billets sont déjà disponibles à productionsmartinleclerc.com. Le film La main gauche du réalisateur Maxime Robin est disponible.