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L'article provient de Clin d'oeil
Style de vie

Le pouvoir du pardon: pourquoi — et surtout comment — pardonner?

Dès la petite enfance, on nous enjoint à pardonner et à demander pardon pour nos fautes. Mais qu’est-ce que pardonner, et est-ce si facile à faire? Pourquoi — et surtout comment — pardonner?

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Catherine Gendreau

2022-05-01T19:00:00Z
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«Honnêtement, je ne suis même pas sûre de savoir ce que ça veut réellement dire, pardonner. Est-ce que c’est oublier, passer l’éponge, excuser?» Mon amie Émilie n’est pas la seule à s’interroger sur le sens du mot «pardon» dont on vante partout les mérites, comme s’il était absolument essentiel à notre salut.

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Selon Le Petit Robert, pardonner serait «tenir (une offense, une faute) pour nulle». Or rares sont les personnes qui adhèrent à cette définition. Après tout, des gestes ont été posés, des paroles ont été dites... Comment faire fi de cette réalité?

Pour Vincent Valois, psychologue, la difficulté à définir clairement le pardon réside dans les relents d’un certain judéo-christianisme: «En général, on est d’accord sur le fait que le pardon sous-entend qu’une faute a été commise, que quelque chose d’assez grave est survenu. On ne parle évidemment pas d’arriver cinq minutes en retard à un souper. Quelqu’un a été blessé. Pour certaines personnes, le pardon s’ancre dans le religieux, c’est cohérent pour eux et ça a une signification précise. C’est aussi une notion très présente dans la culture populaire, celle qui touche tout le monde, même les non-croyants. De là la multiplicité des interprétations. Ça peut aussi être un mécanisme de défense.» Un mécanisme de défense? «Lorsqu’il y a répétition de déceptions ou de trahisons, comme dans le cas d’infidélités répétées dans un couple, la personne trahie peut décider de pardonner dans le seul but de préserver la relation. Mais est-ce vraiment pardonner? On peut se poser la question...»

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«Pardonner ne veut pas dire oublier, banaliser ou approuver ce qui s’est passé. C’est un processus de libération d’une charge émotive, et ça demande du temps», m’explique Louise Sigouin, la sexologue qu’on a pu voir conseiller des célibataires en quête d’une relation durable dans les trois saisons de Si on s’aimait, sur les ondes de TVA. La question du processus m’interpelle particulièrement. Lorsqu’on est blessé par les mots ou le comportement d’une personne aimée, que ce soit un conjoint, un ami ou un membre de la famille, cela fait naître des émotions particulièrement inconfortables: la tristesse, la colère, la honte aussi parfois. On pourrait être tenté de pardonner rapidement pour se débarrasser au plus vite de ces émotions envahissantes qui pourrissent la vie de plusieurs personnes. «Le danger dans ce type de pardon, c’est que la blessure peut nous rattraper plus tard...» met en garde Louise Sigouin.

Un processus en plusieurs étapes  

Pour favoriser la cicatrisation d’une telle blessure, Louise Sigouin suggère une démarche en quatre étapes. «Premièrement, il faut reconnaître la blessure. Qu’est-ce que je ressens, qu’est-ce qui me fait mal dans la situation? Pour certains, c’est le sentiment qu’on a été malhonnête à notre égard, pour d’autres, ça peut être l’effet de surprise. On n’aurait jamais cru que la personne pouvait être capable de nous faire ça, d’agir comme ça.» Émilie hoche la tête: «On le sait en théorie. On le voit même autour de nous: l’infidélité, c’est assez courant. Pourtant, je suis tombée en bas de ma chaise quand j’ai réalisé que mon chum me trompait. C’était une personne si droite à mes yeux, si honnête! La surprise a chamboulé toutes mes croyances sur ma relation. Est-ce que j’avais tout faux sur mon conjoint et sur notre couple? Soudainement, je n’avais plus aucune certitude, c’était très insécurisant...»

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Une fois la blessure identifiée, il faut la vivre, et ça, ça prend du temps. «Ça peut sembler banal, mais il faut accepter notre peine et notre colère, entre autres émotions. Accepter qu’elles soient là. Pleurer, avoir des bouffées de colère, c’est légitime, même si c’est difficile», rappelle Louise Sigouin. Effectivement, pas évident de laisser notre colère ou notre détresse exister et possiblement nous submerger, surtout quand la plupart des gens courent déjà après le temps. «J’aurais bien pris quelques jours de congé, ça m’aurait aidée à assimiler ce qui venait de se passer, mais la vie, elle, ne prend pas de congés. Le travail, la famille, les deadlines ne pouvaient pas attendre. Avec le recul, je vois bien que j’étais un zombie au cours de cette période. Je fonctionnais sur le pilote automatique entre les rares moments où je me réfugiais aux toilettes pour pleurer en cachette de mon patron et de mes enfants», me confie Émilie.

Lorsqu’on est aux prises avec des difficultés d’ordre personnel, on est tenté de s’isoler, ce qui est un piège, selon la sexologue: «La troisième étape, c’est d’en parler à quelqu’un de confiance. À une amie, à un groupe de soutien, en thérapie, peu importe: il faut briser l’isolement, même si on a peur que le regard des gens change.» Le fait de parler de ce qu’on vit, de ce qu’on ressent permettrait d’alléger la souffrance et de réaliser, bien souvent, qu’on n’est pas la seule personne à traverser ou à avoir traversé cette épreuve. Doit-on également en parler avec la personne qui nous a blessé? «Oui, c’est important d’en discuter et d’en rediscuter, même si on a souvent envie de balayer ça sous le tapis. J’aime dire que dans le mot pardon, on entend aussi “parle donc”...»

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Finalement, il faut s’engager dans un processus de redéfinition de soi et de réévaluation de la relation. «Souvent, on reste pris dans notre ressentiment, on revit continuellement la situation de trahison, comme si elle venait juste de se dérouler. On ne sort pas de ce cycle qui peut tourner à l’obsession. Cependant, on peut également choisir d’accepter que oui, c’est arrivé, que ça s’inscrit dans notre histoire, dans notre parcours et qu’on va faire avec», selon Louise Sigouin. Dans le cas d’une infidélité au sein d’un couple, comme celui d’Émilie, on aurait intérêt à redéfinir clairement notre engagement. Ça peut passer par la détermination de balises claires. Quelle est notre définition de l’infidélité? Qu’est-ce qui est acceptable et qu’est-ce qui ne l’est pas? Quelles sont nos limites? «Évidemment, on aurait tout avantage à faire ça dès le début d’une relation. Mais quand elle est passionnelle, quand on a l’impression d’avoir les mêmes valeurs que l’autre, on n’aborde pas nécessairement ces sujets-là. L’important, c’est qu’il n’est jamais trop tard pour mettre ça au clair. De toute façon, on évolue, on change, donc il faudrait s’assurer que notre vision tient toujours avec le temps.» Pour certains, ça pourrait même donner un nouveau souffle à la relation...

Tout pardonner et à qui?  

Récemment, une amie qui travaille pour un organisme venant en aide aux personnes victimes de violences sexuelles m’écrivait qu’elle n’en pouvait plus de ce qu’elle appelle «l’injonction au pardon». «On a des femmes qui ont subi des viols terribles, des abus répétés, et on leur dit qu’elles doivent pardonner à leur agresseur pour espérer guérir un jour. Je trouve ça épouvantable!» Même son de cloche chez Vincent Valois, qui œuvre auprès de patients ayant vécu des traumatismes sévères: «C’est généralement souhaitable de pardonner, mais il ne faudrait pas oublier le côté sombre de ce qu’on attend parfois de certaines victimes. Lorsqu’on leur dit de pardonner à leur agresseur, elles considèrent ça – et on peut les comprendre – comme une forme d’invalidation de ce qu’elles ont subi, un refus ou un manque de reconnaissance de la gravité des gestes posés. Ça parle probablement plus de la difficulté des proches et de certains intervenants à tolérer leur propre impuissance.»

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«Tout n’est évidemment pas égal. Une petite coupure n’a pas la même importance qu’une fracture de la hanche. C’est pareil pour les souffrances psychologiques. On ne peut pas s’attendre à ce qu’on les traite toutes de la même façon», reconnaît Louise Sigouin. Elle insiste cependant encore une fois sur le processus de reconnaissance et d’acceptation: «Ça peut prendre énormément de temps, mais on vise une diminution de la souffrance, une forme de libération de la charge liée à l’événement.»

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Et... si c’est nous, la personne en faute? Un rapide sondage auprès de mes proches et de mes amis confirme ce que je pressentais: se pardonner demeure, pour la plupart d’entre eux, le plus grand défi. «La personne qui commet une faute souffre également bien souvent de l’avoir faite. Dans ce cas-ci, je privilégie la même démarche en quatre étapes, mais en reconnaissant notre sentiment de culpabilité et de colère envers soi-même. Encore une fois, c’est le temps et le dialogue qui seront nos meilleurs alliés dans notre quête d’autopardon», conclut la sexologue.

Reconnaître, accepter et redéfinir. Vaste programme en perspective, mais qui, si on se donne le temps et le droit de le vivre à notre rythme, nous permettrait non pas d’oublier ou d’excuser le tort qu’on nous a fait, mais plutôt de réévaluer la situation et d’avancer. Lorsque le pardon à autrui demeure impossible, parce que ce qu’on a vécu reste incompréhensible et trop souffrant, on peut néanmoins travailler en thérapie dans le but de renverser le pouvoir de la douleur, grâce à un processus personnel de libération de la charge émotive emprisonnante, pour parvenir à une certaine paix intérieure. «Se réparer, que ça mène au pardon de l’autre ou non, devrait être notre priorité. Être bienveillant avec les autres, oui, mais aussi, et parfois surtout, avec nous-même», rappelle Vincent Valois.

Une émission dérivée de Si on s’aimait, Si on s’aimait encore, sera tournée prochainement. La sexologue Louise Sigouin sera de retour, cette fois pour soutenir et accompagner des couples qui ont besoin de ses conseils pour surmonter des obstacles dans leur relation.

À VOIR: Clin d'oeil - Behind the Scene - Martha Wainwright  

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