Le célibat à 30 ans: portrait de célibataires modernes qui ne font pas de compromis
Oui, les amies se casent, et le tic-tac biologique sonne de plus en plus fort. Mais la vie n'est pas si sombre pour la trentenaire célibataire. Portrait sans dentelle ni tabou.
Julie Champagne
Oubliez les vieilles filles au physique ingrat et les chipies aux vices insupportables. Les célibataires dans la trentaine sont belles, brillantes et professionnelles. Et le Québec n’a jamais compté autant de femmes seules.
Loin de broyer du noir en attendant le grand amour, les célibataires modernes sortent beaucoup, voyagent, multiplient les rencontres et grimpent les échelons hiérarchiques. «Dans les années 1960, une femme seule âgée de 25 ans était automatiquement étiquetée comme vieille fille», rappelle Francine Descarries, professeure-coordonnatrice de la recherche au département de sociologie de l’UQAM. «De nos jours, le couple n’est plus un passage obligé. Même si elle est célibataire, une femme peut se réaliser personnellement et professionnellement, chose qui aurait été impensable il y a tout juste quelques décennies.»
On est dans un pays libre (mais je te juge)
Si la société pose un regard beaucoup plus conciliant qu’avant sur les trentenaires qui vivent seules, certains stéréotypes ont la vie dure. «Les préjugés ne sont pas toujours dits et exprimés, mais ils sont bien ancrés dans notre inconscient collectif», assure Évelyne, une célibataire de 39 ans et maman de deux adolescents. «On suppose, par exemple, que je dois avoir un sale caractère parce que je suis seule depuis presque cinq ans. On me conseille aussi de me caser au plus vite si je ne veux pas finir seule. Même si les intentions des autres ne sont pas mauvaises, ce genre de propos reste blessant.»
Mylène, une femme de 33 ans, se qualifie de célibataire chronique. «Pour les membres de ma famille, je suis une cause désespérée! Ils pensent que je suis perpétuellement seule ou peut-être même lesbienne... Ça m’énerve que mes proches ne comprennent pas ma réalité. Ils pensent que je suis responsable de mon sort, que je suis simplement trop difficile.»
En plus de subir le jugement parfois lapidaire de leur entourage, les femmes célibataires doivent se taper les conseils non sollicités et incessants de gérants d’estrade. «On nous demande toujours pourquoi on est seule, comme s’il y avait automatiquement quelque chose qui clochait en nous, ajoute Mylène. Tout le monde veut nous psychanalyser, nous aider, nous caser... On nous demande quelles sont nos préférences, nos patterns. Personne n’oserait poser des questions aussi intimes à un couple!»
Le plus enrageant? Alors que les célibataires féminines inspirent un certain paternalisme, leur alter ego masculin bénéficie, au contraire, d’une aura de séducteur impénitent. «Il existe toujours un double standard, reconnaît la sociologue Francine Descarries. Si un homme dans la trentaine est un bon parti d’un point de vue social, une femme du même âge est vue comme une candidate vieillissante. Dans la mentalité populaire, la beauté féminine atteint son paroxysme vers 22 ans, avant de décliner. À l’inverse, combien de femmes trouvent qu’un homme embellit avec des rides?»
Les hauts et les bas du célibat tardif
Le temps qui passe ajoute non seulement un certain poids sur les épaules des trentenaires, mais il transforme aussi le visage du célibat. Après avoir vécu des relations stables, Cathie a été célibataire de 27 à 32 ans. «Dans la vingtaine, on est dans la découverte, le plaisir, l’exploration. Le célibat s’inscrit parfaitement dans ce rythme de vie. Dans la trentaine, la pression augmente. Mes amies se casaient et fondaient leur famille. Je me reconnaissais de moins en moins en elles. Leur réalité était tellement différente de la mienne! Je voulais aller prendre un verre, et elles me proposaient d’aller déjeuner!»
Si les célibataires de 30 ans ont des anecdotes croustillantes à raconter, qui pimentent les soupers entre copines, leur vie «libertine» implique surtout des émotions en montagnes russes. «Il m’arrivait de me sentir comme une Carrie Bradshaw en puissance», se souvient Cathie, qui est en couple depuis deux ans. «Parfois, je flirtais simultanément avec trois gars, je me sentais belle et intéressante, j’étais partie pour la gloire! D’autres fois, je ne sortais pratiquement plus de mon pyjama. La solitude me pesait, je jalousais les couples autour de moi... Les désillusions, les échecs, les éternels recommencements... c’est dur.»
Le quotidien de Mylène évolue également en dents de scie. «Il faut parfois que je me requinque le moral. Mes petites déprimes ne coïncident pas nécessairement avec les occasions spéciales: je ne me roule pas en boule aux mariages, et je ne déteste pas Cupidon. Les coups de blues arrivent sans préavis, pendant une marche ou un feu d’artifice, quand je surprends un couple collé serré dont j’envie la complicité.»
Quand l’amour traîne de la patte, la peur de devoir sacrifier ses ambitions maternelles sur l’autel du célibat est une angoisse qui taraude même les plus optimistes. «La question des enfants est une véritable épée de Damoclès suspendue au-dessus de la plupart des célibataires avancées en âge, dit Cathie. Dès le premier rendez-vous, on met cartes sur table, on parle de famille, on se projette dans l’avenir... Le fait d’être aussi pratico-pratique brise un peu la magie.»
L'amour avec un grand A
Les sites de rencontres se positionnent comme un terrain de chasse privilégié pour les célibataires endurcies. «Dans la vingtaine, les rencontres se font naturellement: tu es encore aux études, tu décroches un premier boulot, tu te fais de nouveaux amis, témoigne Cathie. Dans la trentaine, tu occupes souvent un emploi stable et tu as pas mal fait le tour de ton cercle social. Il te reste les bars — qui constituent, à mes yeux, un mauvais endroit pour entamer une relation sérieuse — et les sites de rencontres.»
Parcourir des centaines de profils quasi identiques, se languir de signes de vie de son candidat préféré, revenir à la case départ quand une histoire tourne au vinaigre... la cyberchasse aux partenaires potentiels n’est pas de tout repos.«Avec les sites de rencontres et les nouvelles applications comme Tinder, rencontrer un homme devient aussi facile que magasiner un chandail, avance Mylène. Le hic? On se demande toujours si on en trouvera un plus beau dans la boutique voisine, alors que, dans les faits, c’est peut-être le premier chandail qui était mieux pour nous...
Différents outils existent, qui vont du speed dating aux soirées de célibataires, en passant par les applications de rencontres géolocalisées, mais ils ne conviennent pas à tout le monde. «J’ai essayé les sites de rencontres et, pour moi, c’est non et re-non, raconte Évelyne. Trop de déceptions... Je préfère encore me trouver des loisirs que je peux réaliser en solo. Étonnamment, il est beaucoup plus facile de faire des rencontres quand on est seule. Les hommes nous abordent davantage, ils ont moins peur de nous déranger.»
Femme exigeante cherche homme parfait
La plupart des célibataires se disent beaucoup plus sélectives dans la trentaine que par le passé. «Mon homme idéal a toujours eu les mêmes qualités: une bonne écoute, le sens de l’humour, l’empathie, la bonté, explique Mylène. La différence? Dans la vingtaine, je trouvais des excuses pour défendre les comportements qui me déplaisaient. Je tentais ma chance envers et contre tout. Plus maintenant. Un candidat me semble égocentrique ou superficiel? Je passe illico au numéro suivant. Oui, je suis beaucoup plus expéditive, mais j’essaie de me concentrer sur des trucs importants et non pas sur des détails niaiseux comme un chandail laid.»
Entre le yoga, le boulot, les soupers de filles et la manucure du mardi, l’horaire de la célibataire est chronométré au quart de tour. Normal! Les trentenaires ont appris à compter sur elles-mêmes avant de compter sur les autres. Une qualité fort louable, mais qui effraie parfois la gent masculine. «Il faut être heureuse en solo avant de pouvoir être bien en couple, mentionne Évelyne. Si un homme entre dans ma vie, ce sera par choix et non par nécessité. Je souhaite m’engager dans une relation sérieuse, mais je veux également garder du temps pour moi, pour ma famille et pour mes amies.»
La célibataire endurcie ne craint pas les contradictions, souhaitant vivre une relation profonde avec un homme sans abandonner sa sacro-sainte indépendance. Expérience de vie oblige, elle se lance également dans sa quête amoureuse avec son lot de blessures affectives. «Il est difficile de baisser la garde, admet Évelyne. Dans la trentaine, on traîne beaucoup plus de bagage que dans la vingtaine, pour le pire et le meilleur. J’ai souvent le réflexe de me protéger, de mettre des barrières, que ce soit conscient ou non.»
La conséquence de cela? Les célibataires adoptent une attitude tantôt méfiante, tantôt cynique, par crainte de se faire rabrouer et de devoir tout recommencer, encore une fois.
Un jour, mon prince viendra
Vivre à deux? Elles le veulent bien, mais pas avec n’importe qui ni à n’importe quel prix. «J’ai déjà été avec des gars juste pour être en couple, confesse Mylène. Ils finissaient toujours par me tomber sur les nerfs. Je me suis rendu compte que, par respect pour eux et pour moi, il valait mieux que je sois seule que mal accompagnée.»
Aujourd'hui, on fait encore l’apologie du couple. «Le pouvoir de la complémentarité est très ancré dans notre mentalité, affirme Francine Descarries. Pourtant, plusieurs études montrent qu’il est préférable d’être seul que malheureux dans une relation.»
Même quand l’amour se présente enfin, la célibataire endurcie n’est pas sortie du bois. «La remise en couple est difficile», admet Cathie, qui est amoureuse depuis deux ans. «Autant j’avais hâte de rencontrer un gars qui me plairait, autant il m’est parfois difficile, à présent, de donner la priorité à un autre que moi.»
«Je veux plus que la passion des débuts, explique pour sa part Mylène. Je veux partager les petits détails du quotidien. Pour moi, la vie de couple sera une décision choisie et mûrie. Je ferai alors tous les sacrifices qui s’imposent. En attendant, je suis une célibataire heureuse et assumée. J’ai choisi de faire contre mauvaise fortune bon cœur!»