La pandémie lui a arraché sa fille
Une mère de Saint-Jean-sur-Richelieu a été incapable d’avoir de l’aide psychologique pour son ado de 14 ans
![Deux semaines après le décès tragique de sa fille Kelly Ann, 14 ans (en mortaise), Carole Thibodeau est anéantie et réclame de l’aide psychologique pour les enfants.](/_next/image?url=https%3A%2F%2Fm1.quebecormedia.com%2Femp%2Femp%2Fkelly537d0c3c-5cb7-4cd7-918a-f966a7a235a9_ORIGINAL.jpg&w=3840&q=75)
![Photo portrait de Frédérique Giguère](/_next/image?url=https%3A%2F%2Fm1.quebecormedia.com%2Femp%2Femp%2FFrederique_Gigue_re849d5771-4769-497c-a78a-41c1e4694b85_ORIGINAL.jpg&w=3840&q=75)
Frédérique Giguère
Incapable d’avoir de l’aide psychologique pour son adolescente affectée par la pandémie, une mère de famille a dû se résoudre à la confier à la Direction de la protection de la jeunesse (DPJ). Mais la prise en charge est arrivée trop tard et elle a fini par s’enlever la vie.
« J’ai été obligée de perdre ma fille dans l’espoir de la récupérer, confie Carole Thibodeau, les yeux rougis et la gorge nouée. Le pire dans tout ça, c’est que ça n’a pas fonctionné et j’ai perdu du temps précieux avec elle. »
Toute sa vie, Kelly Ann Garneau avait été une petite fille pétillante, souriante et empathique. Elle aspirait à une carrière de cheffe cuisinière.
Mais la dernière année fut pénible pour l’ado de 14 ans, principalement à cause de la pandémie.
Le 18 septembre, alors que son frère et sa mère étaient dans la pièce d’à côté, Kelly Ann s’est enlevé la vie dans sa chambre. Son repas favori, une assiette de pâtés et fromages, l’attendait sur la table de la cuisine. Elle n’y a finalement jamais touché.
« J’ai tout fait pour ma fille, lance sa mère. Elle avait besoin d’un suivi psychologique et j’étais à bout d’outils. J’ai demandé de l’aide à plusieurs reprises, je l’ai verbalisé, j’ai mentionné que Kelly Ann était devenue un danger pour elle-même et pour sa famille, et je n’ai pas été prise au sérieux. J’ai été abandonnée par le système. »
Dépassée par les événements
Depuis le décès de sa petite « Kiki », Carole Thibodeau avoue avoir complètement perdu ses repères. Pour réussir à raconter son histoire, elle feuillette sans cesse son journal aux pages froissées et couvertes de plomb. Elle y a noté toutes ses démarches pour avoir de l’aide ainsi que les états d’humeur de sa fille depuis un an.
Lors de la visite du Journal, la femme de 51 ans s’est empressée de s’excuser pour « le ménage », avouant être un peu dépassée par les événements.
« Je n’ai pas une belle maison, mais je vous assure qu’elle était remplie d’amour et de folie », lance-t-elle, en regardant du même coup la porte de la chambre de sa fille.
Pendant la pandémie, Kelly Ann a vécu énormément d’isolement. L’école à distance a lourdement affecté sa santé mentale.
Afin de la protéger et de respecter les mesures sanitaires, Carole Thibodeau a restreint ses activités.
À l’été 2020, l’adolescente de 14 ans a commencé à consommer de la drogue et à avoir de mauvaises fréquentations. Ses notes ont ensuite chuté.
Puis sont venues les colères extrêmes, au point où elle était violente verbalement et même physiquement, en plus des fugues au beau milieu de la nuit. C’était évident qu’elle vivait une dépression, croit sa mère, alors que tout était une montagne pour elle.
De pire en pire
Complètement démunie, Carole Thibodeau a commencé à la suivre. Elle a tenté d’avoir une discussion avec ses amis, afin qu’ils cessent de lui vendre de la drogue.
Elle a imploré le CLSC et les organismes du coin pour qu’ils fassent un suivi psychologique adéquat pour Kelly Ann pendant plus de six mois.
« Un moment donné, j’ai réalisé que j’étais à bout de ressources et que ma fille allait de pire en pire. J’avais peur qu’elle tombe dans les drogues dures. J’ai donc tout fait pour la placer en centre jeunesse, pour la protéger. »
Une place trop tard
Même si elle a reçu de l’aide au centre, il était probablement trop tard, croit sa mère. Il y a près de deux semaines, alors que Kelly Ann passait le week-end à la maison, son angoisse a refait surface et elle est passée à l’acte.
Quelques jours avant sa mort, une clinique médicale locale avait enfin appelé pour offrir une place en thérapie pour l’adolescente.
« Il faut que l’aide psychologique pour les enfants soit une priorité dans le système de santé, lance la mère de famille. Ma fille m’avait donné des signaux d’alarme, je les avais entendus, j’avais demandé de l’aide, et c’est arrivé trop tard. Je suis censée faire quoi, moi, maintenant ? C’est inacceptable. »
Une campagne de sociofinancement GoFundMe a été lancée afin d’amasser des fonds pour les funérailles de Kelly Ann.
L’anxiété toujours plus grande chez les jeunes
Plus d’anxiété, plus de déprime, plus de difficulté à trouver un sens à la vie. Les jeunes vivent énormément de détresse psychologique et elle s’est intensifiée depuis le début de la pandémie, observent des intervenants de première ligne.
« Quand on est un adolescent, être coupé de nos amis, de nos activités, de notre école, c’est quelque chose de vertigineux, explique Myriam Day Asselin, coordonnatrice des expertises et de l’innovation chez Tel-Jeunes. Les sujets de discussion n’ont pas changé depuis le début de la pandémie, mais l’intensité de la détresse psychologique a augmenté. »
L’organisme a noté une augmentation de 25 % des appels depuis le début de la crise sanitaire et a même dû doubler son équipe afin de répondre à la demande.
Manque de places
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Médecin psychiatre
Malgré les millions $ investis par le gouvernement pour aider les jeunes aux prises avec des problèmes de santé mentale, les ressources continuent d’être pleines.
Au cours des derniers mois, le nombre de patients admis à l’urgence psychiatrique du Centre hospitalier universitaire Sainte-Justine a grandement augmenté.
« On reçoit beaucoup de patients pour de l’automutilation, des pensées suicidaires, de l’anxiété et des troubles alimentaires, explique la Dre Lila Amirali, cheffe du département de psychiatrie de l’hôpital pédiatrique. L’école à distance a été très difficile pour plusieurs, qui ont encore beaucoup de misère à compenser. »
Souper en famille
Pour Lila Amirali, la clé est la communication.
« La pandémie aura eu ça de bon, dit-elle. J’ai des patients qui m’ont confié que c’était la première fois de leur vie qu’ils s’asseyaient toute la famille ensemble pour souper. C’est incroyable ! »
La spécialiste croit qu’il faut conserver une présence constante dans la vie de l’enfant, qui deviendra plus discrète au fil du temps, mais qui demeurera.
« Et il n’est jamais trop tard pour commencer à parler avec son enfant, tout le monde peut changer. Mais c’est la responsabilité des parents d’ouvrir le dialogue et d’observer son enfant. »
Les signaux à surveiller
Avant la pandémie, les deux tiers des jeunes disaient avoir une bonne santé mentale. Depuis, cette proportion a chuté à 40 %, selon les plus récentes données de Statistique Canada. Il est primordial d’observer son enfant et d’aller chercher de l’aide si les signaux suivants sont détectés :
- Si la déprime de notre jeune dure dans le temps et ne s’améliore pas ;
- Si l’enfant perd de l’intérêt pour des choses qui lui tiennent normalement à cœur, et ce, sur une longue période de temps ;
- Si on note un repli sur soi, qu’il devient plus difficile d’avoir une discussion et qu’il se ferme à nos questions ;
- Si on observe un changement significatif dans le comportement ou quand on ne reconnaît plus notre enfant.
Si vous avez besoin d’aide
Ligne québécoise de prévention du suicide
- www.aqps.info
- 1-866-APPELLE (277-3553)
Jeunesse, J’écoute
- www.jeunessejecoute.ca
- 1-800-668-6868
Tel-Jeunes
- www.teljeunes.com
- 1-800-263-2266