La légende de Cocaine Island
Jean-Philippe Lepage, magazine Dernière Heure
Cette affaire, quoique bien réelle, est de celles dont on dit qu’elles dépassent la fiction. Elle commence par une histoire de ballots de cocaïne rejetés sur une plage, entendue par un entrepreneur en construction mis à mal par la crise financière de 2007-2008. et elle se termine par un documentaire, The Legend of Cocaine Island, qui met cet homme en vedette.
Imaginez avoir une famille à soutenir, éprouver de graves difficultés financières et, en même temps, avoir connaissance de l’existence de ballots de cocaïne, d’une valeur d’au moins un million de dollars, enterrés près d’un sanctuaire pour tortues, sur une plage de l’île de Culebra, à Porto Rico.
Seriez-vous prêt à partir à la chasse au trésor – et à la chasse au preneur pour votre magot de drogue – pour vous refaire une santé financière? Rodney Hyden, lui, n’a pas hésité longtemps quand la chose a fini par se présenter à lui comme étant l’occasion d’une vie, en janvier 2012.
Rodney connaissait cette histoire de cocaïne depuis longtemps. C’est que, depuis des années déjà, il prend souvent part à un genre de cinq à sept hebdomadaire, qui réunit une dizaine d’hommes autour d’un feu de camp aux abords d’un étang, le Watermelon Pond, situé dans les environs de son patelin de Gainesville, en Floride.
C’est là que Julian, véritable «personnage» de la région, raconte cette histoire, et ce, vraisemblablement depuis un certain temps déjà. Il la raconte notamment lorsqu’un nouveau venu se joint à l’assemblée – comme Hyden, un certain vendredi soir de juillet 2004. Surtout, il la raconte une fois que l’alcool a commencé à faire son œuvre et forgé une ambiance propice à la confidence. Car il s’agit d’une de ces histoires qui commencent par: «Ça va vous paraître incroyable, mais...»
Julian racontait que, dans les années 1980, lui et son ex-femme travaillaient dans un centre de recherche sur les tortues sur l’île de Culebra. Une des occupations de Julian consistait à parcourir les plages de l’île à la recherche de nids de tortues. Un beau matin, alors qu’il voit un sac hydrofuge de la grosseur d’une grosse valise balloté par le ressac des vagues, il repense à ces histoires, entendues à gauche et à droite, à propos de chargements de drogue perdus aux alentours et qui finissent par s’échouer sur une plage.
L’histoire de Julian est de celles qui, tout doucement, font leur chemin parmi les légendes d’une région. Racontée avec son lot de détails distribués avec finesse, elle finissait par devenir crédible aux oreilles de ceux qui l’avaient entendue, sans pour autant leur donner l’envie de partir à la recherche de ce trésor enfoui.
D’autant que Julian lui-même, ne sachant trop comment transformer 32 kilos de coke en dollars sans se faire arrêter ou arnaquer, l’avait abandonné quand il avait quitté sa femme et était rentré aux États-Unis.
Quand le fantasme devient possibilité
Hyden, un homme somme toute ordinaire, qui est né et qui a grandi à Gainesville, a marié une fille de la région avec laquelle il a eu une fille, alors que les deux avaient chacun eu un enfant d’un mariage précédent.
Dans le documentaire, où il joue son propre rôle, l’entrepreneur se qualifie lui-même de rêveur et il admet candidement avoir souvent songé à l’endroit exact où devait se trouver la cocaïne de l’histoire, et avoir fantasmé à l’idée de la récupérer. «Mais ce n’était qu’un fantasme. Et ce n’était qu’une histoire», prend-il soin d’ajouter.
Un beau jour, pourtant, un certain Danny, le colocataire d’Andy, un jeune drogué auquel Rodney vient en aide en lui faisant effectuer de menus travaux, va tout changer en lui lançant, comme ça, à brûle-pourpoint: «Hé, je peux t’aider avec cette histoire.»
Pour Rodney, bien que l’histoire semble véridique à ses oreilles, elle n’était toutefois que ça à ce moment-là: une histoire.
Cependant, comme Danny revient à la charge et passe même le voir à son bureau pour lui faire valoir qu’il est lui-même un revendeur, qu’il a des contacts pour revendre la drogue, et que l’un de ces contacts emploie même un pilote capable de rapatrier la cocaïne en question aux États-Unis, l’affaire finit par devenir une occasion de rêve, une de ces chances qui ne passent pas deux fois.
Et c’est là le point de bascule, c'est là que Rodney décide de se lancer en disant: «OK, on le fait!»
Piège à licorne
Ce que Rodney Hyden ne savait pas à ce moment, c’est que si Danny était réellement un revendeur de drogue qui avait déjà fait de la prison, il était aussi devenu, pour échapper à une nouvelle peine de prison, une taupe ayant promis à des enquêteurs de leur livrer un «plus gros morceau» que lui, c’est-à-dire un homme qui cherchait à importer 32 kilos de coke...
Sauf que l’homme en question, Hyden, ne connaissait rien à la drogue et n’avait aucun contact dans le milieu. Les enquêteurs, interviewés dans le documentaire, le qualifient même de licorne! Toutefois, ça ne les empêche pas de mettre leur piège en place.
C’est donc grâce à eux (ou à cause d’eux) que Danny met Rodney en contact avec le patron du fameux pilote, un dénommé Carlos – en réalité un infiltrateur de la Homeland Security –, qui réussira, après quelques péripéties, à berner l’entrepreneur un peu trop naïf et à obtenir sa «carte au trésor», où un X marque l’endroit où la drogue est ensevelie, en lui promettant un marché en apparence tout à fait équitable.
Quelques jours passent avant que Rodney, impatient d’avoir des nouvelles, reçoive un courriel de Carlos contenant une photo montrant la drogue dans sa cachette. «Mission accomplie!» se dit alors un Rodney pleinement conscient que, pour lui, tout a été très – trop! – facile.
Le documentaire tente également de nous faire comprendre que c’est justement LA raison pour laquelle Rodney, la licorne, ne pouvait passer à côté de cette occasion inespérée de faire autant d’argent. Bref, à ce point de l’histoire, au début du mois d’août 2012, il ne lui reste plus qu’à obtenir sa part du butin avec l’aide de Danny, une fois la drogue rapatriée.
Et c’est là que le piège se referme sur lui, au moment où il récupère sa part de cocaïne. Rodney Hyden se fait donc arrêter et inculper pour possession de drogue en vue d’en faire le trafic. Il découvre en même temps que Carlos, qui lui avait donné rendez-vous pour la livraison, est en fait un infiltrateur qui l’a piégé.
Béni des dieux malgré tout
La peine pour le genre de délit pour lequel Rodney Hyden a été accusé est de 10 ans de prison, au minimum. Heureusement pour lui et sa famille, une clause dans la loi permet au juge – qui voit bien que Rodney Hyden, qui n’a aucun contact dans le milieu interlope outre Danny et Carlos, n’est pas un véritable trafiquant de drogue – de réduire cette peine.
C’est ainsi que Rodney se voit condamné à seulement 60 jours de prison, mais aussi à 5 ans de probation ainsi qu’à des travaux communautaires pendant également 5 ans, à raison de 20 heures par semaine. Cette peine qui, au bout du compte, n’est pas si légère, semble toutefois satisfaire tout le monde, même Rodney, qui indique avoir beaucoup changé au contact des gens qu’il a côtoyés durant ses travaux dans la communauté.
Puis est venue l’occasion de raconter cette histoire, qui est maintenant devenue la sienne, dans un documentaire. Un agent de la Homeland Security lui avait d’ailleurs dit à la blague, lors de son arrestation, que son histoire était digne d’un film. C’est maintenant chose faite.
Marées blanches
Impossible de savoir combien de ballots de cocaïne ont pu se retrouver échoués sur les plages de la planète depuis que les Pablo Escobar de ce monde en font le trafic à grande échelle. Toutefois, ces cinq morceaux choisis parmi une liste de faits divers trouvés grâce à une simple recherche sur Internet ont de quoi vous faire tomber en bas de votre chaise, d’autant plus qu’ils ne couvrent qu’une période de deux ans!
12 décembre 2020, Floride
Le samedi 12 décembre, un résident de Palm Beach, en Floride, découvre un ballot de ce qu’il devine être de la cocaïne sur la plage donnant sur South Ocean Boulevard, et il alerte les autorités. Aussitôt arrivées, celles-ci voient d’autres paquets être rejetés sur la plage.
Quantité et valeur selon les médias locaux: 32 kilos / 1,1 million de dollars.
Automne 2019 – hiver 2020 Littoral atlantique, France
À l’automne 2019, les médias français se mettent à rapporter des histoires de promeneurs qui trouvent des ballots de cocaïne un peu partout le long de la côte du sud-ouest de la France. Selon un bilan provisoire des autorités datant de février 2020, des trafiquants auraient effectué un délestage, probablement à la suite d’une avarie ou d’une tempête – les pistes privilégiées par la police –, de l’entièreté ou d’une partie de leur cargaison de plus d’une tonne de cocaïne, qui a été retrouvée en ballots échoués sur différentes plages, sur une période de plusieurs mois.
Quantité et valeur selon les médias locaux: 1,5 tonne / plus de 18 millions de dollars.
Août 2019, Maroc
Le 11 août 2019, des promeneurs alertent les autorités après avoir trouvé des paquets de cocaïne rejetés sur une plage à 20 km de Casablanca, ce qui mène les autorités locales à une saisie de trois tonnes de cette drogue.
Quantité et valeur selon les médias locaux: plus de 3 tonnes / valeur inconnue.
Août 2019, Nouvelle-Zélande
Le soir du 9 août, des Néo-Zélandais contactent la police après avoir découvert 19 paquets bleus marqués de symboles inconnus, disséminés sur une plage à l’ouest d’Auckland. Après analyse, les autorités déclarent qu’elles croient que la drogue, perdue en mer, faisait partie d’un chargement à destination de l’Australie intercepté par les forces frontalières australiennes.
Quantité et valeur selon les médias locaux: quantité exacte inconnue / plus de 2,5 millions de dollars.
Décembre 2018, îles Marshall
Début décembre 2018, un pêcheur des îles Marshall, en Micronésie, contacte la police après avoir eu la surprise de découvrir 48 kilos de cocaïne dans ses filets alors qu’il pêchait en haute mer.
Quantité et valeur selon les médias locaux: 48 kilos / 5,3 millions de dollars.