La future vedette du CH partie en fumée
Nicolas Cloutier
En 2016, Martin Reway était en voie de devenir tout un joueur de hockey pour les Canadiens de Montréal.
Le petit attaquant aux airs de Mike Ribeiro amassait plus d’un point par match depuis deux ans contre des adultes, dans les ligues professionnelles tchèque et suisse. Il était au tout début de la vingtaine.
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Un outil analytique récemment développé révèle même que Reway appartenait à un groupe sélect ayant de fortes chances de devenir une vedette dans la Ligue nationale de hockey (LNH).
On dit souvent des recruteurs qu’ils forment une sorte de base de données dans leur tête au fil des ans pour évaluer les meilleurs jeunes talents. Eh bien, Byron Bader, lui, a littéralement créé cette base de données. Ce «data scientist» à l’emploi d’une compagnie d’électricité en Alberta a conçu, dans ses temps libres, un modèle pour prédire les futures performances des espoirs de la LNH.
Lors d’un entretien avec le TVASports.ca, Bader a de sa propre initiative mentionné le nom de Reway lorsqu’il était question des espoirs des Canadiens. Un détour surprenant que l'auteur de ces lignes ne s'attendait pas à prendre. Après tout, le Slovaque est pour ainsi dire tombé dans l'oubli, lui qui pourrait bientôt prendre sa retraite à l'âge de 25 ans.
«À son année de repêchage en 2013, il était un petit joueur qui avait 50% de chances de jouer dans la LNH, ce qui est assez bon pour un choix de quatrième tour», a noté Bader.
«Ensuite, il se développe presque parfaitement, a-t-il poursuivi. Il arrive en République tchèque, joue là-bas une couple d’années... et voilà qu’il a 50% de chances de devenir une vedette et 80% de chances de jouer dans la LNH. Il était essentiellement le meilleur espoir que le CH avait repêché depuis P.K. Subban.»
Fort d’une récolte impressionnante en Europe, Reway devait faire le saut en Amérique du Nord plein de confiance en 2016-2017. Il a finalement été inactif cette saison-là en raison d’un mystérieux et effroyable virus qui s’en prenait à son muscle cardiaque. Il n’a plus jamais été le même par la suite.
«Il est un cas intéressant. Des gars comme lui, il n’y en a qu’une centaine dans mon modèle [qui inclut tous les joueurs repêchés depuis 1990]; 85% d’entre eux ont atteint la LNH et, grossièrement, 60% d’entre eux sont devenus des vedettes», a observé Bader.
Vedettes recherchées
Dommage, car une future vedette, c’est justement ce qui manque au bassin d’espoirs du CH selon Bader.
Avant toute chose, expliquons le fonctionnement de son modèle, aujourd’hui consulté par quelques équipes de la LNH.
Le modèle de Bader évalue les espoirs pendant une période de cinq ans, qui commence l’année précédant leur repêchage et se termine trois ans après leur année de sélection.
Bader ne peut en dire trop sur la sauce secrète de celui-ci. Essentiellement, à l’aide d’une formule basée sur une régression statistique – un concept mathématique qui consiste à analyser la relation entre plusieurs variables –, son modèle fournit les chances d’un espoir d’atteindre la LNH et ses chances devenir un joueur vedette. Celles-ci sont calculées l’année de son repêchage, mais sont également actualisées au cours de la fenêtre de cinq ans.
Bader utilise un concept populaire auprès des aficionados de statistiques avancées nommé «équivalence LNH». Cela consiste à déterminer quelle valeur dans la LNH aurait un point dans chacune des différentes ligues. Par exemple, si on calcule qu’un point dans la LHJMQ en vaut 0,26 dans la LNH, on dirait qu’Alexis Lafrenière a affiché une «équivalence LNH» de 46 points en 2019-2020.
«De cette façon, tu nivelles le terrain pour tout le monde et tu prends ensuite l’âge en considération. Tu peux alors accoucher de ces probabilités», a expliqué Bader.
Ce dernier n’est pas aussi emballé par la relève du CH que la majorité des experts. Au mois de janvier, The Athletic classait deuxième la banque d’espoirs de l’organisation à travers la LNH.
Si Bader concède que le CH compte sur plusieurs espoirs qui pourraient, voire devraient accéder à la LNH, il note une absence de véritable future vedette dans le groupe.
«Un joueur comme Caufield, par exemple, je le vois quand même dans ma soupe. Il a 70% de chances d’atteindre la LNH et il est encore en progression. Mais ses chances de devenir une star sont considérablement plus basses, elles sont autour de 20%.»
Bien que Caufield ait fracassé un record de buts au sein du programme de développement américain, Bader explique que son total de points, bien qu’excellent, n’était pas incroyable pour autant.
«Il va jouer dans la Ligue. Il a l’air bon, mais je crois qu’il sera davantage un gars de 40-50 points que quelqu’un qui affichera une moyenne d’un point par match et inscrira 40-50 buts», s'est prononcé Bader, qui précise toutefois qu’une année monstrueuse dans la NCAA la saison prochaine pourrait faire changer d’avis son modèle.
Le spécial cas de KK
Le cas de Jesperi Kotkaniemi fascine particulièrement Bader. D’abord, car avec une «équivalence LNH» de 21 l’année de son repêchage, le Finlandais avait le profil d’un joueur sélectionné aux alentours du 15e rang, ou encore vers la fin du premier tour.
À ses yeux, la décision de sélectionner «KK» au troisième rang est tout aussi étonnante que celle de l’avoir fait jouer immédiatement dans la LNH.
«Normalement, ce qui arrive quand des joueurs de ce type deviennent vraiment, vraiment bons, c’est qu’ils retournent en Europe et ils sont absolument dominants l’année suivante ou l’autre année après. À ce moment-là, mon modèle se réajuste. Et le joueur, lui, bâtit une confiance avant son arrivée dans la LNH.»
Bader recense très peu de cas où des joueurs avec des statistiques semblables à celles de Kotkaniemi ont fait le saut directement dans la meilleure ligue au monde.
«Il y a eu Scott Hartnell et Jordan Staal. Ce sont de bons joueurs, mais je crois qu’ils n’ont jamais vraiment atteint leur plein potentiel», a mentionné Bader, qui estime que Kotkaniemi aurait plus de chances de devenir une vedette aujourd'hui s’il avait poursuivi son développement en Finlande ou dans la Ligue américaine, comme l’ont fait Mikko Rantanen et David Pastrnak.
Le modèle de Bader exprime également des réserves à l’endroit de Ryan Poehling, dont le rendement offensif était suspect l’année de son repêchage, et ce, même s’il était le plus jeune joueur de la NCAA.
«Son équivalence était de 12, c’est assez bas, tu veux quelque chose plus près de 20 ou 25 au premier tour, a noté Bader. En-dessous de ça, les joueurs n’accèdent pas si souvent à la LNH. Poehling me fait beaucoup penser à l’attaquant des Flames de Calgary Mark Jankowski, qui s’est développé un peu de la même façon, soit lentement mais sûrement. Jankowski joue maintenant dans la LNH, mais il n’est pas extraordinaire.» =
Une occasion à saisir
Sur une note plus positive, Bader reconnaît que les Canadiens ont vraiment un coup à jouer avec 14 choix en main en vue du repêchage de 2020.
«Il y a beaucoup, beaucoup de profondeur cette année, a-t-il constaté. Beaucoup de bons joueurs seront disponibles vers la fin du premier tour. Même aux deuxième et troisième tours, il pourrait y avoir des joueurs avec l’habileté de changer le cours d’un match.»
«Habituellement, dans un repêchage, tu peux t’attendre à ce que 50 joueurs finissent par atteindre la LNH. Dans celui-ci, je dirais qu’il pourrait y en avoir de 70 à 80.»
Le modèle de Bader, disponible à l’aide d’un abonnement payant, est par ailleurs extrêmement enthousiaste à l’endroit de Jacob Perreault, la progéniture de Yanic, ancien joueur de centre des Canadiens. Avec près de 50% de chances de devenir une vedette et 80% de chances de jouer dans la LNH, le jeune homme pourrait s’avérer un véritable vol à la fin du premier tour.
«Je travaille avec des équipes en vue du repêchage alors je ne peux en dire trop, mais ce que tu vois [dans le modèle] n’est pas une erreur», a assuré Bader au sujet de l'ailier du Sting de Sarnia.