Enquête sur les décès en CHSLD : Le responsable des équipements n’a aucun souvenir du plan
Vincent Larin
Le Québec disposait d’un Plan de lutte à une pandémie mis à jour quelques semaines avant la première vague, mais le grand responsable de l’approvisionnement pour le réseau de la santé n’a aucun souvenir de l’avoir déjà vu.
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C’est ce qu’a admis le sous-ministre à la direction des infrastructures, de la logistique, des équipements et de l’approvisionnement au ministère de la Santé, Luc Desbiens, lors de son témoignage à l’enquête publique sur les décès en CHSLD durant la première vague, mardi.
Confronté à une consommation jamais vue d’équipements de protection individuels (EPI) par le réseau de la santé dans les premières semaines de la pandémie, l’ingénieur de formation a répété à plusieurs reprises avoir concentré l’action du gouvernement à «acheter tout ce qui passait, considérant l’imprévisibilité des commandes à venir».
Après avoir été informée des stocks dont Québec disposait le 5 février, l’équipe de Luc Desbiens a donc passé une commande 617 000 masque N-95 le 18 février, puis une autre de 750 000 masques de procédure deux jours plus tard.
«Just in time»
L’utilisation des EPI était telle que Québec n’avait aucune idée de ce qui sortait des stocks dans les établissements de santé, a-t-il décrit.
«La consommation montait tellement rapidement, c’était difficile à suivre. On ne pouvait pas dire ce qui sortait d’un établissement le jour X [...]. On allait chercher tout ce qu’on pouvait et on le poussait aux établissements», a-t-il expliqué en qualifiant la stratégie de «just in time».
Or, le Plan québécois de lutte à une pandémie d'influenza, adopté en 2006 et mis en jour en janvier 2020 par Québec, prévoit «un approvisionnement a priori de ces ressources vitales [les EPI] au fonctionnement du réseau d’établissement», comme l’a pointé l’avocat Patrick Martin-Ménard.
«Je n’ai pas de souvenir de l’avoir déjà vu», a toutefois admis Luc Desbiens, au sujet du plan en question.
Mais aucun bris de services n’a été engendré par le manque d’équipements, a-t-il assuré.
«C’est ça qui est étonnant», a réagi la coroner Kamel en rappelant avoir entendu les témoignages de plusieurs personnes s’étant retrouvés sans équipement de protection dans certains CHSLD.
Le «bras droit» de Blais témoigne
En avant-midi, la sous-ministre adjointe Natalie Rosebush, qualifiée de «bras droit» de la ministre des Aînés et des Proches aidants Marguerite Blais, a admis pour sa part qu’elle ignorait que des résidents de CHSLD n’étaient pas nourris ni hydratés dans les jours suivant le déclenchement de l’état d’urgence sanitaire.
Pressée de questions sur les premiers jours du confinement généralisé décrété à la mi-mars, la gestionnaire a affirmé qu’elle était alors informée de graves manques de personnel dans certains établissements, mais pas nécessairement de l’état des résidents.
«J’ai eu l’information qu’il y avait des préoccupations sur la capacité, puis que les gens couraient et des choses comme ça, mais que des gens n’ont pas été nourris, ça c’est un autre élément», a-t-elle indiquée, mardi.
D’abord rapporté par les médias, le rapport d’étape de la Protectrice du citoyen rendu public en décembre dernier a confirmé que des CHSLD ont laissé des aînés mourir seuls et sans soins de confort pendant la première vague de la COVID-19.
«Ça a évolué rapidement»
Natalie Rosebush a aussi eu à défendre la décision du gouvernement, annoncée le 15 mars, d’interdire l’accès des établissements aux proches aidants.
Quelques jours plus tôt, le 12 mars, Québec avait pourtant produit un document à l’intention des CHSLD pour les inviter, entre autres, à maintenir l’accès des proches aidants une fois l’apparition de la pandémie dans leurs régions respectives.
«On avait la préoccupation de dire, on va protéger les personnes dans les CHSLD, mais aussi protéger les personnes proches aidantes qui sont elles-mêmes des personnes aînées», a expliqué Natalie Rosebush en reconnaissant que «ça a évolué rapidement, en quelques jours».
La coroner reste sur sa faim
À la fin de son témoignage, la coroner Géhane Kamel lui a partagé qu’elle restait «sur son appétit».
«Plus on avance vers la ligne d’arrivée de cette enquête, plus je me rends compte que les orientations qui ont été données par le ministère, on ne peut pas dire que ce n’est pas clair. Mais entre le ministère et que ça se rende sur le terrain, le fossé est grand. Puis je ne sais pas comment on va se sortir de ça, mais on aura certainement quelque chose à réfléchir et il va falloir le faire ensemble», a-t-elle exposé à la salle.
La ministre de la Santé au moment de la première vague de la COVID-19, Danielle McCann, témoignera finalement jeudi matin.
Toujours en congé de maladie depuis le 29 octobre dernier en raison «d’un épuisement professionnel et d’ennuis de santé mineurs», la ministre responsable des Aînés, Marguerite Blais, ne témoignera finalement pas devant la coroner Géhane Kamel.