Publicité
L'article provient de 7 jours
Culture

Julie Le Breton s’ouvre sur le sentiment d’imposture qu’elle vivait à ses débuts

"Andréanne Gauthier"
Partager

Michèle Lemieux

2024-02-26T11:00:00Z
Partager

Depuis des années, Julie Le Breton trône incontestablement au sommet du palmarès des plus grandes actrices de sa génération. Paradoxalement, elle a longtemps dû composer avec un manque de confiance. Avec le temps, les projets et les rencontres, elle a vu son sentiment d’imposture s’estomper peu à peu. Celle qui incarne Roxane Racicot dans la très attendue série IXE-13 nous parle du chemin qui lui a permis de calmer cette part de doute et d’insécurité.

• À lire aussi: Julie Le Breton et Marc-André Grondin en vedette dans une nouvelle série d'espionnage

Julie, la série IXE-13, actuellement disponible sur Club illico, était très attendue!

Effectivement. L’espionnage est un univers qu’on a peu abordé. La série se déroule après la Deuxième Guerre mondiale; on y parle des nazis, du début de la guerre froide... On peut s’attendre à quelque chose de très étonnant qui nous sortira de notre quotidien. C’est inspiré des romans IXE-13, de Pierre Daignault. Le scénariste, Gilles Desjardins, avec qui j’ai fait Les pays d’en haut, est parti de la fiction tout en s’assurant de l’exactitude des faits. Il est entre autres question de la course au nucléaire. Plusieurs ignorent que le Canada a été concerné. Comme nous avons de l’uranium, les Russes voulaient s’en procurer. On découvre aussi que des femmes sont allées à la guerre, mais c’était caché.

Publicité

Parle-nous de ton rôle.

Roxane Racicot a été espionne pendant la guerre. On dit qu’elle était secrétaire au ministère de la Défense, mais en réalité elle faisait partie d’un commando avec IXE-13, joué par Marc-André Grondin, avec qui je n’avais jamais tourné, et deux autres comparses, incarnés par Hugolin Chevrette et Vincent Leclerc, que je retrouve avec plaisir. Au lendemain de la guerre, ils essaient tous de refaire leur vie. Roxane tente de retrouver une certaine normalité, mais des événements vont la ramener dans le feu de l’action. On découvrira son côté vengeur, rancunier, courageux et soupe au lait. Qu’on ne s’en prenne pas à quelqu’un qu’elle aime! Il y a beaucoup de souffrance en elle. C’est très agréable à jouer.

Ton personnage te permet-il de mettre en lumière le rôle que les femmes ont joué à l’époque?

Oui. Dans IXE-13, les femmes sont au coeur de l’action. Ce ne sont pas des femmes à la maison qui attendent le retour de leur mari. Victoria Diamond, qui joue la femme du personnage de Vincent Leclerc, déchiffre des codes. Tous les personnages ont une fonction qui fait avancer l’action. Les femmes ont été évacuées de l’histoire, écrite par les hommes. Or c’est très valorisant de constater que des femmes ont vraiment participé à ces grands mouvements historiques.

Crois-tu que cela contribue à créer des modèles?

Oui, ça rend les choses possibles et ça met en lumière des générations de femmes qui n’ont pas reçu le respect et les honneurs qu’elles méritaient. Les remettre au coeur de ces histoires, c’est aussi leur rendre justice. De tout temps, il y a eu des femmes qui ont pris part à l’action, mais elles ne font pas partie des livres d’histoire...

Publicité

On te voit aussi dans Complètement lycée. C’est un projet fort différent d’IXE-13...

J’ai eu la chance de me joindre à la distribution lorsqu’on m’a offert le rôle de Miss Carmichael. Ç’a été un gros cadeau! C’est le genre de show dans lequel tous les acteurs veulent jouer. Ça faisait un moment que j’avais fait de la comédie franche et pure. Ç’a été agréable. Mon personnage s’éprend d’un jeune élève. Ce n’est pas politically correct, mais rien ne l’est dans ce show! Rosalie Vaillancourt et Pierre-Yves Roy-Desmarais sont des espèces de génies de l’humour. Jouer dans cette série, ç’a été une cure de jeunesse pour moi. 

Il t’est souvent arrivé de mentionner que le théâtre est essentiel pour toi. As-tu des projets en ce sens?

Oui, je refais une tournée de 12 spectacles avec le théâtre documentaire Rose et la machine. Je suis super excitée à l’idée d’amener le théâtre à l’extérieur de Montréal, surtout que c’est un spectacle qui a une portée sociale très importante. Il parle d’autisme. Ça nous confronte à notre rapport à la différence, à l’acceptation. C’est très touchant. On y suit le parcours d’une maman, ma belle-soeur Maude (Laurendeau). Tellement de parents s’identifient à elle et se sentent moins seuls en regardant la pièce. Sinon, je suis en pause. J’ai vécu une grosse année 2023. J’ai terminé mes projets à la mi-décembre. Depuis janvier, je suis relaxe, mais les choses reprendront doucement en mars. Entre-temps, je suis en jachère. Je me dépose pour mieux repartir.

Publicité

Compte tenu de ton expérience, as-tu l’intention de passer derrière la caméra éventuellement?

Parfois, je ressens ce désir, mais je le nommerai lorsque je le ferai. J’aurais peut-être envie de faire un court métrage. Toutefois, j’ai la chance de travailler beaucoup; cela fait en sorte que ce n’est pas une nécessité pour moi de faire autre chose. C’est un beau problème.

Tu cumules une vingtaine d’années de métier, n’est-ce pas?

En mai dernier, ça a fait 25 ans que j’ai terminé l’école. C’est fou! Et j’aime mon métier de plus en plus. À mes débuts, je ressentais de la nervosité, un manque de confiance, un sentiment d’imposture. Avec le temps, grâce aux projets qui m’ont amenée à me développer et aux gens qui ont cru en moi, j’ai gagné en confiance. Ça apaise mon sentiment de ne pas être assez bonne, ou assez ceci, ou assez cela.

Les commentaires positifs que tu reçois sur ton jeu et ta personnalité contribuent-ils à remettre les choses en perspective?

Oui, bien sûr, mais je dirais que cela tient plus à notre regard sur nous-mêmes. On se détend en vieillissant, on est moins dans le désir de plaire. On est de plus en plus soi-même, et si cela plaît aux gens, tant mieux. Ça donne une plus grande aisance et une plus grande liberté.

Comment profites-tu de la période de jachère dans laquelle tu te trouves?

Si je n’avais pas de projet devant moi, ce serait très différent. Mais comme j’en ai, ça me permet de mieux profiter de cette période, d’être plus détendue. J’essaie de prendre soin de moi. Je suis partie aux Bahamas pendant une semaine pour faire de la plongée, et j’ai un autre voyage de prévu. Je suis aussi allée en Europe pour le travail à la fin du mois de novembre. J’y ai tourné un court métrage. C’était super! Je ne fais plus de longs voyages comme lorsque j’avais 20 ans, mais partir juste une semaine me fait du bien. J’essaie de faire des choses qui me permettent de profiter de la vie, qui me nourrissent. L’humanité est mon terreau de travail. Je garde contact avec mes amis, mais je rencontre aussi des gens qui n’ont rien à voir avec ce que je fais dans la vie. J’ai besoin du quotidien, mais je carbure aussi aux défis. La nature me ressource. C’est bon d’être dans le silence, de regarder au loin. Comme j’ai un chien, je marche beaucoup. Je n’écoute pas de musique: j’écoute le vent, le craquement des branches...

Publicité

De quelle façon prends-tu soin de toi?

Je vais au gym, je cuisine, j’essaie de bien manger. Durant les périodes de stress, on est comme en mode survie. J’essaie alors juste de me grounder. Ma vie est faite de beaucoup de solitude. J’en ai besoin. Je suis une personne plutôt introvertie. Ça ne veut pas dire que je n’aime pas être avec les autres, mais j’ai besoin d’être seule pour me ressourcer. Les gens extravertis rechargent leurs batteries auprès des autres, et la solitude les draine. Pour moi, c’est le contraire. Prendre soin de moi, c’est retrouver cette solitude, cuisiner, m’entraîner, marcher, lire et me préparer à mes futurs projets.

Ne pas craindre la solitude te permet-il d’affronter toutes les peurs?

Oui, mais c’est un cercle vicieux. C’est agréable quand la solitude est choisie, mais si tu as envie de voir des gens et que tu te sens isolé, c’est plus difficile. Pour moi, ça peut devenir de la paresse. Je peux refuser de voir des gens pour rester dans un état de solitude. Puis, en me forçant à sortir de chez moi, à sortir avec des amis, je réalise que c’est vraiment formidable et que ça m’a manqué. Il faut trouver l’équilibre. Certains ont peur de la solitude. Moi, j’ai peur de me retrouver dans un party avec 50 personnes que je ne connais pas. Pour moi, c’est très anxiogène. Nous avons chacun nos limites.

Crois-tu qu’on est plus en mesure d’assumer notre solitude quand on se sait bien entouré?

Effectivement. Pendant presque toute ma vie, j’ai ressenti un malaise social. Je n’avais qu’une ou deux vraies amies, et ces relations étaient très symbiotiques. Puis, vers la fin de la trentaine, des choses ont bougé et j’ai commencé à avoir des relations plus dégagées. J’ai des amies à qui je ne parle qu’une fois par mois. Il n’y a plus personne au quotidien dans ma vie, et je trouve ça vraiment sain. J’ai plusieurs gangs. C’est riche et foisonnant. Le fait que je sois célibataire me permet d’avoir plus de temps pour ces différents liens si riches et si beaux. J’ai réalisé qu’au lieu d’aller tout chercher chez une seule personne, je pouvais aller chercher plein de belles choses chez différentes personnes. Elles viennent toutes combler quelque chose de différent.

Publicité

C’est important de savoir que ce réseau existe...

Je suis très loyale et engagée, mais mes relations sont moins symbiotiques qu’avant. C’est plus souple et détendu. Je me sens moins rejetée ainsi. Avant, je vivais mes amitiés comme des histoires d’amour. Ce n’est plus le cas. J’ai aussi de très belles amitiés avec les gars. Lorsqu’on me dit que ce n’est pas possible, je trouve ça absurde!

En vieillissant, te sens-tu plus disponible pour l’amitié?

Effectivement. Durant la trentaine, tout le monde est pris par la famille. Puis, durant la quarantaine, les amis sont plus disponibles. Beaucoup se sont séparés. J’ai aussi des amis plus jeunes que moi, et d’autres plus âgés. Mes amitiés avec des gens dans la trentaine sont stimulantes. Ça me garde jeune, ou plutôt ça m’aide à vieillir, à ne pas me sentir menacée par cette jeunesse. J’ai aussi des amis plus vieux qui ont une énergie très vivante. En fait, c’est l’énergie et la passion qui nous gardent connectés au présent. Le jour où on perd notre curiosité, on s’enferme dans une espèce de confort, et c’est à ce moment qu’on devient vieux.

Il y aura un grand cap à franchir pour toi l’année prochaine.

Oui, j’aurai 50 ans en 2025. Avant d’arriver à 30 ou 40 ans, je m’en faisais. Puis, lorsque le cap arrivait, je trouvais ça moins pire que prévu. On ne peut rien y changer de toute façon, alors ça ne sert à rien de se braquer contre ça. Si je vieillis, c’est que je suis en vie. Il ne faut pas perdre ça de vue. Je suis en santé, ma vie va bien, je suis à une bonne place.

Heureusement, le regard sur l’âge a bien changé, notamment au sein de ton métier.

Quand je regarde nos séries à la télé, je trouve que nous sommes chanceux au Québec. Il y a beaucoup de rôles principaux tenus par des femmes: Maude Guérin, Marie-Thérèse Fortin, Céline Bonnier, Anne-Marie Cadieux... Avant, ces rôles étaient réservés aux actrices jeunes, qui étaient souvent des objets de désir. Et plus tard, elles jouaient les grands-mères. On voit maintenant une palette d’âges entre ces deux extrêmes. Au lieu de voir des femmes soit jeunes, soit vieilles à l’écran, voyons-les vieillir. Au bout du compte, ça nous aidera à accepter le vieillissement.

La série IXE-13 et la course à l’uranium est disponible sur Club illico. Les saisons 1 et 2 de Complètement lycée sont disponibles sur Crave. On s’informe sur la pièce Rose et la machine au porteparole.org.

À VOIR AUSSI:

Publicité
Publicité

Sur le même sujet