Iran: le voile, encore un symbole de féminisme?
Julien Corona
La mort le 16 septembre dernier de Mahsa Amini, 22 ans, dans les geôles de la police des mœurs iranienne, a engendré une véritable révolte. De quoi créer un moment historique... et remettre en cause en Occident la place du choix de porter le voile dans l’espace public comme action féministe. On fait le point.
• À lire aussi: Iran: 35 morts dans la répression de manifestations, plus de 700 interpellations
• À lire aussi: Quand les femmes se tiennent debout
• À lire aussi: Des milliers d’Iraniens dans la rue pour défendre le port du voile
On voit ainsi fleurir dans la presse francophone des analyses cherchant à savoir si cette révolte remettrait en cause cette association. Trois panélistes vont, eux aussi, se pencher sur cette question.

Pour le politologue Sami Aoun, directeur de l’Observatoire sur le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord de la Chaire Raoul-Dandurand en études stratégiques et diplomatique et professeur retraité de l’École de politique appliquée de l’Université de Sherbrooke, il faut avant tout se remettre dans le contexte local.

«Ce soulèvement est une répétition en bien plus fort des précédents soulèvements des 10-15 dernières années», commence-t-il.
Il explique que la place de l’obligation du port du voile dans l’espace public vient aussi de son foyer de départ.
«Cette séquence part du Kurdistan iranien. Le peuple kurde a toujours été plus libéral sur ces questions de voile et d’application des dogmes religieux. C’est ensuite que le brasier a été récupéré par les jeunes et les milieux universitaires dans les grandes villes comme Téhéran», commente-t-il.

Continuant sur cette question particulière du port du voile dans la société iranienne, il remet en avant la question du libre choix.
«L’histoire de l’Iran depuis le début du 20e siècle concernant la place du voile est histoire d’obligation pour la femme. Soit cette dernière a quasiment interdiction de le porter, soit cette dernière a obligation absolue de se couvrir.»
«La femme iranienne a alors été trimbalée comme un outil d’instrumentalisation politique alors qu’elle ne veut seulement qu’avoir le choix», conclut-il.
Libre choix: vision iranienne c. vision occidentale
Malgré cette analyse, l’idée de ne pas traiter ces soulèvements en vase clos est forte en Occident.
David Santarossa, chroniqueur à Qub radio, veut réfléchir à la façon dont ce combat des Iraniennes peut avoir une influence sur comment voile et féminisme peuvent être associés ici.

«Il faut prendre en considération ce qui se passe en Iran lorsqu’on discute du voile au Québec. Évidemment, ce sont deux contextes différents et les nuances sont essentielles, mais on ne vit pas en vase clos pour autant. Il y a une charge symbolique au voile islamique, et ce, peu importe les raisons pour lesquelles une femme va le porter. Cette charge symbolique est clairement influencée par ce qui se passe en Iran à l’heure actuelle», explique-t-il.
La question de cette charge symbolique est aussi ce que Jeannette Bougrab, docteure en droit public, universitaire française et ancienne secrétaire d’État, a pu expliquer dans une tribune au Figaro.

«Il ne faut pas se tromper sur le sens du voile. Il n’est ni un phénomène de société ni un artefact de mode. Il sert une politique délibérée de genre qui a pour but d’asservir l’esprit et le corps féminin», explique-t-elle.
Comme l’explique Francine Descarries, professeure associée membre du Département de sociologie et de l’Institut de recherches en études féministes de l’Université du Québec à Montréal, c’est ce point qui rend difficile une application ou une modification des visions féministes de la question iranienne à notre approche occidentale.

Si pour elle, à titre personnel, le voile est patriarcal et représente un signe de soumission de la femme, elle ne veut pas se mettre en travers de ce qu’il peut représenter politiquement et culturellement pour les gens originaires de cette région du monde, comme pour les gens s’affiliant à leur culture.
«Il faut pour ces luttes se situer dans une position d’extériorité. On doit être sympathique, mais ne pas récupérer. Il faut éviter une appropriation culturelle de la question du soulèvement iranien», explique-t-elle.
Elle ajoute que «ces soulèvements ne peuvent et ne doivent alors remettre en cause le féminisme tel qu’il est pensé ou qu’il évolue actuellement, car ce dernier est avant tout une lutte pour l’égalité et l’accès libre à l’espace public».
Elle conclut en expliquant que «ce qui est fantastique ici, c’est de voir que les femmes ont assez de force pour s’organiser pour avoir plus de libertés».

Plusieurs dizaines de personnes sont mortes depuis le début des manifestations en Iran, et de nombreux mouvements se sont organisés au pays en soutien aux femmes iraniennes dans les derniers jours.
Iranian Canadian Community protesting against the Islamic regime in IRAN - Montreal#MahsaAmini #OpIran#مهساامینی pic.twitter.com/GvFxeozKXW
— پرنده مهاجر (@SnowHolt27) September 24, 2022
Une manifestation avait même lieu ce samedi après-midi à Montréal.