Il faut cesser de construire des routes, plaident des experts mandatés par le gouvernement


Élizabeth Ménard
La construction de nouvelles routes engendre du trafic additionnel, coûte cher aux contribuables, augmente l’étalement urbain et les inégalités, détruit des milieux naturels et nuit à la santé des Québécois, soulignent des experts dans un rapport assassin pour l’auto-solo. Ceux-ci concluent que les actions du gouvernement du Québec pour lutter contre les changements climatiques sont insuffisantes. Voici ce qu'il faut en retenir.
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Plus de routes = plus de congestion
La réponse des gouvernements à la congestion routière est souvent d’augmenter la capacité routière, peut-on lire dans le rapport L’aménagement du territoire au Québec: fondamental pour lutter contre les changements climatiques. «Or, la recherche est sans équivoque: l’augmentation de la capacité routière engendre du trafic additionnel», notent les 11 experts du Comité consultatif sur les changements climatiques, mandatés par le gouvernement.
La congestion revient au même niveau après une période de 5 à 10 ans, disent-ils.

Le fait que nos villes sont organisées autour de la voiture génère un trafic induit, provoque l’étalement urbain et une diminution des options de transport actif et collectif. Il ne s’agit pas uniquement d’une préférence individuelle, mais d’une conséquence des mauvais choix d’aménagement, arguent-ils.
Le comité recommande au gouvernement de créer un système d'évaluation des interactions entre mobilité, urbanisme et offre de transport et de ne pas autoriser de nouveaux projets qui augmentent la capacité autoroutière avant que celui-ci soit opérationnel.
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Ça coûte cher
Le transport automobile et les routes coûtent de 43 à 51 milliards de dollars par an aux Québécois, excluant le transport collectif, des marchandises et les coûts des stationnements. Ça représente de 11,4% à 13% du PIB. Ces coûts augmentent à un rythme plus rapide que la population.
Montréal serait la ville la plus congestionnée au Canada avec 55 heures perdues par habitant durant les heures de pointe en 2021.
Seulement dans la Communauté métropolitaine de Montréal (CCM), les coûts de la congestion routière s’élevaient à 7,6 milliards de dollars en 2018.
Plus de routes = étalement urbain
L’augmentation de la capacité routière provoque l’étalement urbain parce qu’il rend des espaces accessibles à la construction. Mais cet étalement a comme effet pervers de contraindre les municipalités à entretenir et moderniser les infrastructures. La pression financière les pousse alors à soutenir plus de projets de développement immobilier pour aller chercher des revenus additionnels via l’impôt foncier, ce qui augmente encore l’étalement urbain, le besoin en infrastructures routières, les coûts... et ainsi de suite.
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«Cette croissance est à mettre en relation avec le mode d’aménagement du territoire entraînant un étalement des zones habitées et induisant, pour répondre à la grande majorité des besoins de transport des ménages, le recours accru aux véhicules légers individuels et de fortes émissions de GES», souligne le comité.
Les experts font d’ailleurs valoir que «l’élargissement de la trame urbaine» contribue à un niveau d’émissions 30 fois plus important dans les villes nord-américaines que dans certaines villes sud-asiatiques.

«Les investissements dans les transports collectifs et les politiques d’électrification des transports prévus par le gouvernement d’ici 2030 visent à réduire ces émissions, mais ces approches ne seront pas suffisantes pour atteindre les objectifs climatiques du Québec et réduire les enjeux de congestion», est-il écrit.
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Il faut préserver les milieux naturels
La construction de nouvelles routes et l’étalement urbain entraînent la destruction de milieux naturels qu’il faut absolument préserver et restaurer pour lutter contre les changements climatiques.
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«L’artificialisation des milieux naturels a pour effet de relâcher le carbone qui y est stocké et élimine leur potentiel de séquestration par la photosynthèse», font-ils valoir.
La première recommandation du comité, sur 5, est de tenir un moratoire «sur tout changement de zonage induisant une perte de milieu naturel».
La nouvelle Politique nationale d’architecture et d’aménagement du territoire, attendue bientôt, doit «marquer un tournant majeur par rapport aux pratiques antérieures et devenir un puissant outil de lutte contre les changements climatiques».
Des risques pour la santé humaine
L’augmentation de la capacité routière, l’étalement urbain et la diminution des offres de mobilité durables ont aussi des impacts sur notre bien-être, comme la pollution sonore et atmosphérique, les accidents de la route, les embouteillages et la sédentarité.
«Les enjeux d’étalement urbain et de congestion résultant d’un recours accru à la voiture solo sont majeurs du point de vue environnemental. Mais ils ont également de forts impacts sur la qualité de vie par des temps de déplacement accrus et l’augmentation des risques pour la santé humaine», notent les experts.
De plus, l’augmentation de nos GES qui en découle participe au réchauffement climatique, qui présente de nombreux risques pour la santé humaine. L’exacerbation des maladies cardiovasculaires et respiratoires causée par la chaleur, les maladies infectieuses, les allergies, l’insécurité alimentaire, l’anxiété et la dépression n’en sont que quelques exemples.
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Les personnes âgées seront les plus vulnérables. «Considérant que le nombre de personnes de 65 ans et plus augmentera de près de 60% entre 2021 et 2066 selon les prévisions de l’Institut de la statistique du Québec, l’évolution anticipée du climat et de la démographie laisse entrevoir une augmentation des décès prématurés, des problèmes de santé et de leurs coûts pour la collectivité», peut-on lire.
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Le verdissement des villes, notamment, est une mesure à prioriser pour les rendre plus résilientes.
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