Proxénétisme: au moins trois victimes par semaine ont dénoncé leur bourreau depuis la création d’une escouade spéciale
Des policiers de la Sûreté du Québec, de la Gendarmerie royale du Canada, de Montréal, de Gatineau, de Québec, de Laval et de Longueuil ont uni leurs forces

Valérie Gonthier
Depuis la création d’une escouade spécialisée contre le proxénétisme il y a deux ans, au moins trois victimes par semaine sont parvenues à dénoncer leur bourreau, se réjouissent les autorités.
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«Quand on tend la main à quelqu’un qui est démoli et [que la personne] la saisit, c’est le plus beau des cadeaux. C’est pour montrer aux victimes qu’elles peuvent s’en sortir qu’on existe et qu’on travaille avec autant d’acharnement», lance avec conviction la patronne de l’Escouade intégrée de lutte contre le proxénétisme (EILP), Karine Lacroix.
Capitaine à la Sûreté du Québec, elle gère une équipe d’une centaine de personnes, dont 35 enquêteurs, qui se dévouent au quotidien pour éradiquer l’exploitation sexuelle.
Depuis la création de l’escouade en octobre 2021, celle-ci a rencontré plus de 575 victimes. De ce nombre, 30% étaient mineures.
Une statistique inquiétante, certes, mais qui ne reflète pas l’ampleur de l’exploitation sexuelle des adolescentes.
«Plusieurs vont dénoncer à l’âge adulte, mais on sait très bien qu’elles ont sûrement débuté alors qu’elles étaient mineures», a expliqué la capitaine Lacroix.

La victime prime
Mais ce n’est pas toutes les victimes qui acceptent de dénoncer leur bourreau (ou leurs bourreaux).
Dans 112 des dossiers ouverts, les policiers n’ont pas poussé l’enquête.
«Si la personne n’est pas prête à aller de l’avant, on respecte sa décision. La victime prime avant tout», a expliqué la policière Lacroix.
Malgré tout, la victime ne sera pas laissée à elle-même: on lui apportera du soutien, elle sera dirigée si elle a besoin d’aide pour se nourrir, se loger ou obtenir de nouvelles cartes d’identité par exemple.
Et parfois, c’est quelques mois ou même des années plus tard qu’elle va décider de mettre son proxénète hors d’état de nuire.
«Malheureusement, elles vont souvent avoir vécu de la violence entre-temps», se désole Karine Lacroix.
Mais en plus d’aider les victimes, les policiers ne lésinent pas les efforts pour s’attaquer aux proxénètes.
En un peu plus de deux ans, l’EILP a passé les menottes aux poignets de 173 individus, accusés d’avoir forcé des filles à offrir des services sexuels un peu partout au Québec.
Et les clients-abuseurs...
«Leur objectif est simple: faire de l’argent rapide. Et plusieurs n’ont même pas de remords. Même incarcérés, certains vont garder une main mise sur leur victime, vont réussir à poursuivre l’exploitation, vont la contacter elle ou ses proches pour s’assurer qu’elle ne se présente pas en cour», déplore Karine Lacroix.
Et les policiers ne ciblent pas uniquement les proxénètes. Ils s’attaquent aussi aux «clients-abuseurs», prêts à dépenser leur argent pour avoir du sexe avec une adolescente.
Dans les annonces affichées pour les coincer, il était toujours explicite que la personne qui offrait les services sexuels était mineure. Dans de tels cas, l’annonce peut être signalée aux gestionnaires du site... ce qui est rarement fait.
«Une annonce peut être consultée par 1000 personnes par jour sans qu’elle soit dénoncée», déplore la capitaine Lacroix.
Les escouades vont aussi s’attaquer aux clients qui abusent de victimes majeures.
«Par exemple, à Québec, on a une vingtaine de dossiers qui concernent des travailleuses du sexe qui dénoncent des situations où des clients problématiques menacent, harcèlent et dépassent leurs limites», a-t-elle exposé.
Des victimes de toutes les classes
«Ce n’est pas vrai que les victimes de proxénètes sont toutes des filles de centres jeunesse. Il y a des enfants de médecins, de journalistes, de juges et de policiers», a insisté la capitaine Karine Lacroix, ajoutant que son équipe reçoit énormément d’appels à l’aide de parents démunis. «Ils voient que leur enfant lâche ses études, tombe en amour avec le mauvais gars. Ils se demandent: “On fait quoi?”», raconte-t-elle. Elle insiste: même si la victime n’est pas prête à dénoncer, les policiers ont d’autres techniques pour corroborer les observations des parents ou d’autres témoins.
S’attaquer aux «clients-abuseurs»
En deux ans, l’EILP a arrêté une quarantaine d’hommes, âgés de 21 à 67 ans, pour avoir tenté d’acheter le corps d’une adolescente. «Ça me fascine qu’encore en 2023, certains croient que l’achat de services sexuels est légal», déplore la capitaine Lacroix. La Cour suprême a d’ailleurs statué l’an dernier que la publication de fausses annonces par des policiers pour piéger des clients sur internet qui recherchent spécifiquement des relations sexuelles avec des mineurs est légitime.
Malgré ce jugement, un Saguenéen, Yvan Truchon, qui criait à la provocation policière, a récemment été débouté par un juge. Selon ce dernier, il est clair que l’homme n’a jamais été forcé de commettre l’offense.
Sensibilisation dès le primaire
Des jeunes entrent dans le milieu de la prostitution dès 13 ans, rappelle la policière Lacroix. Ainsi, des outils de sensibilisation s’adressant à des jeunes de la cinquième et de la sixième année du primaire sont en préparation. Elle insiste: les parents doivent également être vigilants, puisque le recrutement sur les réseaux sociaux a explosé depuis la pandémie. Des applications comme Instagram et TikTok sont encore prisées par les proxénètes.
Plus de survivantes à la rescousse
L’équipe des Survivantes, d’anciennes victimes d’exploitation sexuelle qui aident les policiers grâce à leur expérience, s’agrandira en 2024, a-t-on appris. Une équipe devrait très prochainement être développée dans la région de Québec. Les Survivantes sélectionnées par les policiers ont déjà été victimes d’un proxénète, ont dû passer à travers un processus judiciaire pour le faire condamner et s’en sont depuis sorties.
Elles peuvent être appelées à accompagner des personnes exploitées sexuellement ou à risque de le devenir, en plus d’offrir du soutien à leurs proches. L’EILP espère ajouter à l’équipe des hommes, des personnes trans et d’autres issues de communautés autochtones.
Qu’est-ce que l’EILP :
- Escouade spécialisée bonifiée en octobre 2021 à la suite d'une recommandation de la Commission spéciale sur l’exploitation des mineurs
- Dédiée à la lutte contre le proxénétisme, la traite de personne à des fins d’exploitation sexuelle et la prostitution juvénile à l’échelle régionale et internationale
- Cible tant les proxénètes que les clients-abuseurs
- Cette structure d’enquête regroupe les services policiers de Montréal, Québec, Laval, Gatineau, Longueuil, ainsi que la GRC et la SQ.
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