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L'article provient de TVA Nouvelles
Monde

Dans le Donbass, des évacuations sous les bombes

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Agence France-Presse

2022-04-07T18:15:55Z
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Le rendez-vous était vers 09H00 au coin du parc Nicolas Gogol et de l'avenue des Chimistes. Une heure plus tard, à la faveur de l'accalmie matinale des bombardements, ils sont une petite cinquantaine, le regard inquiet et le bonnet sur la tête, à attendre le bus.

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Dans le Donbass (Est de l'Ukraine), les évacuations de civils se poursuivent face à la peur d'une offensive russe imminente. Y compris sous les bombes, comme à Severodonetsk, où la ligne de front est aux portes de la ville.

«Regardez les impacts de roquettes, les appartements détruits autour de vous», montre du menton une grand-mère, serrant son sac à main contre la poitrine. 

«Cela fait plus d'un mois que l'on vit dans la cave. Je n'ai plus de gaz, d'électricité ni d'eau. Impossible de rester chez moi».

La démarche lente, la main appuyée sur la canne, ce sont surtout des personnes âgées qui sont là ce matin, assises sur des bancs publics devant les grilles du Palais de la culture, curieux mélange de cubisme soviétique et de temple grec.

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L'imposant bâtiment jaune canari est intact, mais plusieurs de ses vitres teintées sont à terre.

Autour du carrefour, quelques-unes des façades des cités ouvrières des années 60 sont déjà percées de trous d'obus, ou grêlées d'éclats. Une boutique de produits de beauté au coin de la rue est en partie explosée, sa devanture répandue sur le trottoir comme des entrailles, et dont il ne reste que la photo d'une mannequin en jarretières.

Les tirs sur le centre-ville ont apparemment cessé depuis le matin, des explosions retentissent régulièrement à la périphérie.

«Chaque jour, de pire en pire» 

«Chaque jour c'est de pire en pire. Ça tombe de partout. Ce n'est plus possible», raconte Denis, quadragénaire pâle comme un linge, le visage émacié, à qui on donnerait la soixantaine. «On trouve encore un peu de pain le matin à la boutique. Des volontaires et l'armée nous donnent des vivres».

«Cette ville va être pilonnée comme Marioupol. Je veux sortir de cet enfer». Pour s'installer où? «Quand il n'y aura plus d'obus qui tombent autour de moi, je pourrai penser où aller et quoi faire», balaie-t-il d'un revers de main.

«Pourquoi cette guerre?», veut intervenir un homme en russe, manifestement affecté, qui empeste la vodka. «Tais-toi», le rabroue sa femme, le teint aussi rougeaud que son mari. «On a peur d'attendre ici dehors à découvert», reprend Denis, inquiet.

Une grand-mère à chapeau tient sur ses genoux un magnifique chat angora, le nez enfoncé dans un sac de tissu, apeuré malgré les caresses.

Une femme en survêtement serre contre elle un sac à dos d'où dépassent les yeux exorbités d'un chihuahua tremblotant. Impossible de laisser derrière soi ses animaux de compagnie, compagnons d'une vie et aujourd'hui d'exode.

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«Je ne voulais pas partir, mais vous voyez tous ces bombardements», souffle la mamie au chat. «Je vis là depuis 40 ans. Sous l'URSS la ville était belle, l'hôpital était gratuit. On ne savait pas ce qu'était un sans-abri. Maintenant, nous sommes nous-mêmes des sans-abris...»

Autrefois fleuron du bassin houiller du Donbass, fierté du communisme soviétique et de sa culture ouvrière, Severodonetsk et la ville jumelle industrielle de Lyssytchansk ne sont plus que des cités grises aux usines délabrées et aux hauts-fourneaux éteints, sur lesquels, après la ruine, s'abattent désormais les roquettes russes.

Donbass majoritairement russophone 

Le Donbass, enserré depuis la première guerre de 2104 par les «républiques» séparatistes prorusses de Lougansk et Donetsk, est majoritairement russophone, et historiquement tourné vers la Russie.

Depuis que Moscou a retiré ses troupes du nord de l'Ukraine et dit vouloir repositionner ses forces pour concentrer ses efforts sur la «libération» de l'Est, la région est menacée d'être encerclée.

Les autorités ukrainiennes ont multiplié ces dernières heures les appels aux civils -femmes, enfants et personnes âgées-, à quitter immédiatement la zone.

«Les prochains jours sont peut-être la dernière chance pour partir. Toutes les villes libres de la région de Lougansk sont sous le feu ennemi», a ainsi alerté son gouverneur, Serguiï Gaïdaï, indiquant que les Russes «étaient en train de couper toutes les voies possibles de sortie».

À Severodonetsk, un antique bus scolaire et un autocar aux couleurs du club de foot «FC Metalurk» font l'aller-retour vers la gare désaffectée de Zolotarivka, à 10km au sud-ouest, qui desservait autrefois la plus grande raffinerie d'Europe.

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Dans le calme et suivant les instructions de volontaires en chasubles fluo, les civils y embarquent dans un train régional pour Sloviansk, grande ville du Donbass à 60 km de là, puis départ dans un autre train en direction de l'Ouest.

En milieu de matinée devant les grilles du Palais de la culture, les quelques mères avec des enfants sont déjà parties dans une première rotation d'autocar.

Quand la suivante arrive, la petite foule, valises à la main, se presse devant les portes. «Personne ne sera laissé ici, ne vous inquiétez pas», lance le conducteur et employé municipal à casquette responsable de l'opération.

De rares piétons passent sur le trottoir, signe qu'il reste encore quelques habitants en ville. 

«Moi je reste. J'ai encore le gaz et l'électricité chez moi. Dans le centre-ville, on peut rester», assure un retraité, sac de provisions à la main, qui dit n'avoir pas peur, d'autant qu'il était «sergent à bord d'un sous-marin nucléaire».

Une camionnette arrive en trombe pour embarquer les derniers trainards. Son conducteur à chaîne en or «fait partie d'une ONG». Lui est très pressé. «C'est dangereux de rester, c'est dangereux de marcher, c'est dangereux de conduire. Tout est dangereux ici!».

Dissimulés dans les immeubles alentours, des militaires indifférents renforcent un peu plus leurs positions et postes de tirs, se préparant aux combats de rue à venir.

Une série de lourdes détonations à proximité. Des tirs de l'artillerie ukrainienne. L'accalmie sur le centre-ville est finie.

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