DANS LA MIRE DU CH? | «Il fera 90 points dans la LNH, mais...»
Anthony Martineau
Note de l'auteur: la saison des Canadiens représente une déception sur d'innombrables plans. Heureusement et par la force des choses, le pauvre rendement du club lui confère d'excellentes chances de sélectionner parmi les premières équipes lors du prochain repêchage, qui aura justement lieu à Montréal, en juin. Ça tombe bien, car la cuvée d'espoirs 2022 est extrêmement intéressante. Depuis quelques semaines, je me suis plongé dans l'univers de cinq de ces «joyaux». Toute la semaine et jusqu'au 17 décembre prochain, je vous ferai découvrir chacun d'eux, à raison d'un par jour et grâce à une panoplie d'entrevues. Soyez attentifs... Il se pourrait fort bien que l'un des joueurs présentés devienne un représentant du Tricolore d'ici quelques mois! -Anthony
On parle de lui comme du premier choix de l’encan 2022 de la Ligue nationale de hockey (LNH) depuis son 14e anniversaire... en 2018. Son nom? Shane Wright.
Et il a, soyons francs, largement mérité l’astronomique quantité de compliments reçue ces dernières années.
- À lire aussi: «Pas l’idéal» - Jonathan Drouin
- À lire aussi: «Je ne me sens pas confortable»
Voyez, dans la vidéo ci-dessus, l'entrevue complète accordée par Shane Wright à TVA Sports.
Après une saison ridiculement productive de 150 points en 72 matchs dans le circuit U16 AAA (2017-2018), le jeune homme de 6 pieds 1 pouces et 187 livres a obtenu le statut de «joueur exceptionnel» de la part d’Hockey Canada, statut lui ouvrant les portes de la Ligue junior de l’Ontario et des Frontenacs de Kingston à l’âge de seulement 15 ans.
Son rendement, dans le cadre de matchs où il était opposé à des patineurs parfois plus âgés de cinq ans? 39 buts, 27 passes, 66 points. Tout ça en 58 petits matchs.
Au terme de cette campagne, Wright fut d’ailleurs le premier joueur de 15 ans à remporter le titre de recrue de l'année dans la OHL depuis John Tavares en 2005-06.
À titre indicatif, Connor McDavid, qui avait lui aussi obtenu le statut d’«exceptionnel» en 2012, avait complété sa première campagne junior avec autant de points que notre «sujet du jour», mais en ayant disputé cinq matchs de plus que lui. Ça en dit beaucoup sur la qualité du rendement de Shane Wright, lors de cette fameuse saison.
À l’heure actuelle, si l’on se fie aux différents classements d’experts publiés en marge du prochain repêchage de la LNH, le jeune homme semble en voie d’être le tout premier joueur appelé sur l’estrade du Centre Bell, en juin.
Mais une recherche approfondie et des discussions menées auprès de personnes directement impliquées dans le processus de sélection nous offrent, de façon plutôt surprenante, une version très différente.
«Si le choix final me revenait, j’aurais plusieurs raisons pour expliquer le fait qu’il ne serait pas ma sélection», lance le recruteur d’une formation évoluant dans l’association Ouest du circuit Bettman.
Les prochaines lignes vous dévoileront les raisons derrière cette prise de position et confirmeront que le recruteur cité ci-haut n’est pas le seul à avoir des doutes à propos du joueur de centre, mais permettront aussi au principal intéressé, Shane Wright lui-même, de s’exprimer sur les paroles des dépisteurs émises à son endroit. Même Hockey Canada a cru bon de se joindre au débat.
Bref, voici le plan. Vous lisez ce qui suit d'abord et vous vous faites une tête sur la question ensuite.
Marché conclu?
Un début de saison en dents de scie... qui en refroidit certains
Avant d’aller plus loin, allons-y rapidement d’un résumé des mois suivant la première saison junior de Shane Wright. C’est là où nous en étions, après tout.
Le joueur de centre a été contraint, par la pandémie de COVID-19, à l’inactivité en 2020-2021. En fait, c’est que la OHL a carrément choisi d’annuler sa dernière campagne.
Wright a donc disputé ses seules parties de la saison passée en mai dernier, dans le cadre du Championnat du monde U18. Dire qu’il y a bien paru serait un euphémisme. 14 points en cinq matchs. Voilà. Pas vraiment besoin d’en rajouter.
Puis vînt la présente saison où, pour la première fois depuis un très long moment, le hockeyeur a rencontré de l’adversité. À l’issue des sept premiers matchs du calendrier, il avait déjà été blanchi trois fois et ne comptait que deux buts.
«Je n’étais vraiment pas à mon meilleur, reconnaît Wright, qui, mature, refuse de se défiler. Je me sentais amorphe sur la glace.»
L’attaquant semble cependant avoir retrouvé ses repères, depuis. Il revendique, en date d’aujourd’hui, une récolte de 30 points, dont neuf buts, en 22 matchs et a obtenu son billet pour le Championnat mondial junior, avec l'équipe canadienne.
«Je sens maintenant que je joue à la hauteur de mon potentiel et mon objectif est de garder ce rythme jusqu’à la fin de l’année», renchérit Wright.
«Shane Wright n’est pas un grand compétiteur»
Oui, l’intertitre que vous venez de lire est tranchant. Ce sont pourtant les paroles exactes du recruteur de la division Centrale cité en introduction.
Appelé à y aller de son évaluation du jeu de Wright, l’homme de hockey concentre son analyse sur ce qu’il qualifie «d’importante lacune».
«Le jeune a beaucoup de talent. Jamais je ne remettrai ça en doute. Il est élégant, fluide et possède un très bon tir. Ses aptitudes offensives sont indéniables. Mais il faut voir plus loin que ça dans le cas d’un premier choix au total. Je l’observe depuis plusieurs années déjà et il n’est pas un grand compétiteur. Je me suis déplacé trois fois dans le dernier mois pour le voir jouer et honnêtement, c’est un gros zéro au niveau de la hargne.
«Il se laisse frapper et n’y va jamais d’un deuxième effort. La perception que j’en fais, c’est qu’il semble satisfait et confortable. Il ramasse son petit point par match et pour lui, son affaire est faite.»
Le dépisteur dresse ensuite une comparaison entre Wright et un excellent joueur de la LNH.
«Shane va les faire, ses 80-90 points par année dans la LNH. Mais quand ce sera le temps de lui donner 10M$ par année, là ça va être fatiguant. Je prends le cas de Jack Eichel, par exemple. Les Sabres n’ont pas eu le choix de lui donner son gros contrat. Mais est-ce vraiment le gars autour duquel tu veux bâtir ton identité collective?
«Veux-tu que ce gars-là soit le visage de ton club pour plusieurs saisons? Je reviens à sa hargne, son désir de vaincre. Au-delà des points, ce sont des qualités très importantes lorsque tu penses à long terme. Ton joueur franchise, tu veux qu’il fasse plus que produire.
Visiblement très inspiré, l’homme chargé de la découverte de jeunes talents ne s’est pas arrêté là.
«Les coéquipiers de Crosby se disent qu’ils n’ont pas le choix de travailler fort en voyant Sidney se comporter. Je ne pense pas que ce soit la même chose avec Shane Wright.»
Hockey Canada défend son attaquant
Le directeur du personnel des joueurs chez Hockey Canada, Alan Millar, évalue lui aussi Shane Wright depuis plusieurs années.
D’ordinaire très dégourdi, l’homme de hockey n’a pas fait exception lorsque contacté par l’auteur de ces lignes. Il s’est montré extrêmement surpris devant les commentaires portés à l’égard de la hargne du jeune homme. Sa réponse parle d’elle-même.
«Je voue un immense respect aux gens qui évaluent les espoirs et je crois en leurs compétences. Mais les saisons sont longues et ils ont parfois beaucoup de temps à mettre sur un seul joueur. Tu en viens alors à trouver des défauts qui, en bout de ligne, ne sont parfois dus qu’à de la suranalyse.
«Shane Wright est un compétiteur incroyable. Il a toujours été un meneur pour Hockey Canada et son engagement n’a jamais été un problème. Je dirais même que c’est l’une de ses forces. De mon point de vue, c’est un grand leader. Il était notre capitaine au dernier mondial U18 et son éthique de travail était inspirante. Tous les joueurs de l’équipe voulaient suivre Shane Wright.»
Millar est même allé plus loin.
«Shane est un joueur d’exception. Il a tous les outils pour connaître une grande carrière. Si tu es une équipe de la LNH et que tu as l’occasion de repêcher Wright, tu n’hésites pas, il me semble. C’est un joueur franchise.»
Shane Wright a aussi tenu à émettre son opinion sur tout ça. On peut le comprendre. C’est quand même de son jeu dont il est question!
«Gagner a toujours été très important pour moi. Je veux être clair là-dessus. Je suis un gars qui souhaite constamment être à mon meilleur, être un meneur pour mon équipe. Être un leader, c’est faire tout ce que tu crois possible pour tirer ton équipe vers le haut. J’ai été nommé capitaine ici à Kingston et je crois personnellement que je fais un bon boulot. Ma priorité numéro un, ce sont les succès de l’équipe. Et je ne néglige absolument rien pour qu’elle performe.»
Comme Patrice Bergeron... ou non?
Globalement, à quoi peut-on s’attendre de Shane Wright sur une patinoire?
L’athlète nous offre son analyse personnelle.
«Je me vois comme un excellent joueur dans les deux sens de la patinoire. Je suis un joueur intelligent qui crée des jeux rapidement pour ses coéquipiers. Je crois aussi avoir de bonnes aptitudes autour du filet. Je peux marquer de plusieurs endroits sur la glace. J’ai également beaucoup travaillé mon jeu défensif dans les dernières années. Je crois que c’est dorénavant devenu une force pour moi.»
Et à quel joueur se comparerait-il?
«J’essaie de copier mon jeu à celui de Patrice Bergeron. J’adore le voir jouer et je vois plusieurs similitudes entre mon approche et le sienne.»
Cette dernière déclaration fait drôlement contraste avec l’évaluation d’un recruteur de la division Pacifique.
«Bergeron et Kopitar sont très souvent les premiers à se replier pour aller aider leurs défenseurs. Je ne vois pas ça dans le jeu de Shane, personnellement», lance-t-il.
N’empêche, cet expérimenté dépisteur reconnaît le grand talent de Wright. Il aimerait cependant le voir être plus décisif offensivement en cette saison de repêchage.
«Il a une très bonne vision du jeu et exécute toutes ses manœuvres à haute vitesse. Wright, c’est un joueur qui a une facilité à trouver ses coéquipiers sur la glace. C’est instinctif chez lui.
«C’est un excellent joueur, mais il devra selon moi en faire un petit peu plus pour qu’on lui accole l’étiquette de "futur joueur de concession". Je veux le voir dominer outrageusement la OHL cette saison. Je veux le voir amasser beaucoup de points. Un joueur franchise, c’est un catalyseur offensif et Shane a démarré son année plutôt lentement. Ça semble vouloir se replacer, cela dit. Ses derniers matchs sont plus convaincants.»
Et l'homme ajoute qu’il a une hypothèse qui pourrait expliquer le première tranche de 20 matchs en demi-teinte de Wright sur le plan des statistiques.
«Il me fait penser à Alexis Lafrenière lors de son année de repêchage. Wright, comme Lafrenière à l’époque, crée d’innombrables jeux en territoire ennemi, mais les séquences ne se terminent pas toujours par un but, car ses coéquipiers ne sont pas nécessairement à son niveau.»
S’inspirer de McDavid et MacKinnon
Les recruteurs appelés à participer à ce dossier reprochent donc deux choses à Wright : l’un questionne sa hargne et son désir de victoire et l’autre penche pour des petites lacunes défensives à peaufiner dans les prochains mois.
Si le patineur ne partage pas l’avis des dépisteurs, il avoue cependant avoir lui aussi un aspect en tête sur lequel il souhaite travailler.
«Je veux améliorer ma vitesse, la façon dont je bouge mes pieds, lance-t-il. Quand je vois ce que font des gars comme Connor McDavid et Nathan Mackinnon, ça me motive. Je crois un jour pouvoir arriver à leur niveau, mais c’est présentement l’aspect sur lequel je crois avoir le plus de travail à faire pour me démarquer dans la LNH.»
«Je compte mettre les bouchées doubles au gymnase dans les prochaines semaines et je fais déjà appel à un entraîneur spécialisé en patinage sur une base régulière. Les résultats ne tarderont pas», promet-il.
«Oui, je me vois au sommet»
À quel rang Shane Wright sera-t-il repêché? Le jeune homme connaîtra son sort d’ici quelques mois.
En attendant, lorsqu’on lui pose la question, il avoue, très timidement, se voir comme le meilleur joueur disponible.
«C’est difficile de parler de moi en tant que meilleur joueur. Ce n’est pas du tout mon genre. Mais c’est certain que si tu me le demandes, oui, je me vois au sommet.»
Le recruteur de la division Centrale est également d’avis que Wright sera le tout premier choix du prochain encan... mais pas nécessairement pour les bonnes raisons.
«Selon moi, il va sortir premier, mais surtout en raison de la pression populaire. C’est un Ontarien, les médias canadiens le moussent depuis longtemps, il va jouer avec Équipe Canada junior... Encore une fois, il a beaucoup de talent, mais ce n’est pas un Crosby, un Toews ou un Patrice Bergeron.
«Si le choix final me revenait, j’aurais plusieurs raisons pour expliquer le fait qu’il ne serait pas ma sélection. Mais entre ce que moi je pense et ce que tout le battage autour de lui va engendrer, il y a une grosse marge.
«Peut-être que dans cinq ans on dira que je me suis trompé. Mais actuellement, je n’aime pas du tout son non-verbal.»
Le dépisteur de la division Pacifique, sans être aussi vif dans ses propos, avance lui aussi la possibilité d’une surprise.
«Pour moi, oui. Il y a une possibilité qu’il ne sorte pas premier.»
La gestion d’un monde de fous
Le Canada est mondialement reconnu pour son amour du hockey.
Pour le meilleur et pour le pire, les canadiens analysent tout ce qui touche leur sport national.
Évidemment, le repêchage amateur de la LNH n’échappe pas à cette réalité. Et l’un des plus beaux espoirs de l’événement encore moins.
«Il est peut-être nerveux, car c’est son année de repêchage et tous les joueurs vivent ça différemment. À tous les matchs, il y a 50 recruteurs qui se déplacent pour aller le voir jouer. C’est beaucoup de pression», concède, malgré ses propos très corsés, le recruteur oeuvrant dans la division Centrale.
Wright n'est pas en désaccord.
«Je suis conscient de toute l’attention me concernant et c’est sûr que cela occupe un peu mon esprit. Mais j’essaie de faire le vide le plus souvent possible et rester concentré sur ma tâche.»
Mais n’est-ce pas difficile avec les médias sociaux et les nombreux sites de nouvelles sportives?
«J’ai un cellulaire avec Facebook, Instagram et tout le tralala. Comme tous les jeunes, quoi! Mais je m’impose vraiment des limites très strictes quant à l’utilisation que j’en fait.»
Et dans les périodes où l’anxiété pourrait prendre le dessus, l’adolescent peut compter sur l'indéfectible support de ses parents. On le sent d’ailleurs émotif lorsqu’il aborde le sujet.
«Mes parents sont incroyables. Ils sont d’une aide sans bornes dans tout ce qui touche la gestion de la pression. Ils me parlent après les matchs et chaque jour où j’en ai besoin. Ils me conseillent et me rappellent que je suis plus qu’un joueur de hockey.»
Et justement, qu’aurait-il fait de sa vie n’eût été de son grand talent sur la patinoire?
«J’ai toujours eu un intérêt pour les affaires et la gestion. À l’école, c’est le genre de trucs qui m’a toujours attiré. Je crois que je serais assurément dans ce domaine.
«Sinon, j’adore golfer. C’est vraiment quelque chose qui me passionne. Dans les dernières années, j’ai vraiment mis du temps sur mon jeu. J’aime cette activité, car je dois vraiment être en contrôle de mon corps et de mon esprit pour performer à mon meilleur.»
Il est cependant clair que Shane Wright, dans les prochaines années, n’aura pas à se tourner vers une carrière de gestionnaire ou de golfeur.
Malgré les évaluations parfois dures des recruteurs sondés à son sujet, tous s’entendent sur un point, concernant le joueur de centre : il est doté d’aptitudes uniques qui lui permettront de devenir un joueur offensif d’impact dans la LNH.
Reste simplement à voir s'il pourra offrir «davantage que des points» à sa future formation.
Shane Wright
Équipe: Frontenacs de Kingston (OHL)
Taille: 6 pieds 1 pouce
Poids: 185 livres
Statistiques 2021-2022: 11 buts, 19 aides - 30 points en 22 matchs, +4