COP27 en Égypte: sommet du climat...et du mépris des droits de la personne
Anne-Sophie Poiré
La 27e Conférence des Nations unies sur les changements climatiques (COP27) qui s’est ouverte le 6 novembre à Charm el-Cheikh, en Égypte, attire l’attention de la communauté internationale sur un autre enjeu que le climat. Le pays est sous pression pour libérer le prisonnier politique Alaa Abdel Fattah en danger de mort après sept mois de grève de la faim.
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Icône de la révolution égyptienne du printemps 2011 qui a renversé le régime du président Hosni Moubarak, Alaa Abdel Fattah est le prisonnier politique le plus célèbre d’Égypte. Militant prodémocratie, informaticien et blogueur, l’Égypto-Britannique de 40 ans a passé l’essentiel des neuf dernières années en prison.
Il a grandi dans une famille engagée dans la défense des droits de la personne.
Sa dernière incarcération a débuté en 2019. Il avait été arrêté dans une rafle après l’organisation de manifestations, interdites par régime du président égyptien Abdel Fattah Al-Sissi. Il a été condamné en 2021 à cinq ans de prison pour «diffusion de fausses informations».
Une grève de la soif
Dimanche, alors que les dirigeants du monde entier entamaient la COP27 à la station balnéaire de Charm el-Cheikhen, en Égypte, Alaa Abdel Fattah a annoncé qu'il cessait de boire de l'eau pour protester contre sa détention.
Il avait déjà complètement arrêté de s’alimenter il y a une semaine, lui qui n’avalait qu’un verre de thé et une cuillère de miel depuis le 2 avril 2022.
Détenu au Caire à près de 500 kilomètres de la station balnéaire là, le militant s’est tout de même invité à la COP27.
Le gouvernement avait espéré que le sommet de l’ONU apporterait une couverture positive de l’Égypte, dans ce pays reconnu pour son mépris des droits de la personne, notent les organisations internationales.
Mais, l'inquiétude monte concernant le sort d'Alaa Abdel Fattah — et celui des 60 000 personnes incarcérées dans le pays pour avoir exprimé leurs opinions, selon une estimation des ONG. La France, le Royaume-Uni, l’Allemagne et l’ONU ont exigé la libération immédiate du détenu politique, en grave danger de mort.
Un humain ne peut survivre que trois jours sans boire.
La sœur d'Alaa Abdel Fattah, Sanaa Seif, est sans nouvelle de son frère depuis qu’il a commencé sa grève de la soif, le 6 novembre, a-t-elle confirmé mardi en conférence de presse à Charm el-Cheikh.
Les manifestations interdites
Plusieurs activistes — dont Greta Thunberg — et organisations de défense des droits de la personne avaient dénoncé la tenue de la COP27 en Égypte.
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Ces événements sont aussi l’occasion pour la société civile de s’exprimer sur les enjeux climatiques, et entraînent ainsi la tenue de nombreuses manifestations.
Or, les manifestations publiques sont interdites en Égypte.
Les organisations pourront tout de même s’exprimer lors de la COP27, mais dans des zones désignées, loin des conférences, des diplomates et des journalistes. Et elles sont surveillées de près par les autorités.
Des caméras ont été installées dans tous les taxis, ce qui permettra aux services de sécurité de surveiller les conducteurs et leurs passagers.
Toutes manifestations nécessitent un préavis de 36 heures à 48 heures et ne peuvent se dérouler qu’entre 10h et 17h, soient les heures d'ouverture de la COP. L'objectif du rassemblement doit aussi être révélé.
Les accréditations accordées aux militants sont très limitées, et seules les personnes enregistrées peuvent accéder aux zones de manifestations.
Les écologistes ciblés par le gouvernement
Depuis le début du mois d’octobre, des dizaines de personnes qui avaient appelé à des manifestations antigouvernementales pendant la conférence de l’ONU ont été arrêtées, selon Human Rights Watch.
Et comme les dissidents, le mouvement écologiste est la cible du gouvernement d'Fattah Al-Sissi, prévient l’ONG.
Le 31 octobre, les autorités égyptiennes ont arrêté l’activiste indien, Ajit Rajagopal, alors qu’il entamait une marche de huit jours du Caire à Charm El-Cheikh pour attirer l’attention sur les changements climatiques.
L’organisme Reporters sans frontières (RSF) craint par ailleurs que les journalistes spécialisés en environnement diviennent à leur tour la cible du gouvernement. Quelque 23 journalistes sont emprisonnés en Égypte, précise RSF.
Le pays est 168e sur 180 au classement de la liberté de la presse en 2022.
Le climat n’était pas un sujet jusqu’ici susceptible de provoquer la colère des autorités. La tenue de la COP27 au pays pourrait cependant changer la donne, selon plusieurs journalistes contactés par RSF, puisque l'environnement risque de devenir une question de politique nationale.
— Avec l'Agence France Presse, Le Monde et France 24