«Cocaïne rose»: un dangereux cocktail de drogues à Montréal
Gabriel Ouimet
MDMA, kétamine, benzodiazépines, méthamphétamine: la «cocaïne rose», un mélange potentiellement dangereux contenant plusieurs drogues de synthèse, s’est frayé un chemin de la Colombie jusqu’à Montréal.
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La première fois que Jean-François Mary, directeur de l’organisme Cactus, s’est heurté à de la cocaïne rose, c’était en 2020. Un consommateur mécontent cherchait alors à faire analyser la substance qu’il venait d’essayer.
«Il s’en était fait offrir, alors qu’il voulait acheter de la cocaïne, mais il l’a essayé et n’a vraiment pas aimé ça. À l’époque, le service d’analyse des drogues n’était pas encore sur pied, donc nous n’avons pas pu savoir ce que contenait l’échantillon. Le gars a décidé de jeter son sac, parce qu’il trouvait ça dégueulasse», raconte-t-il.
«Tussibi», «tussi», «cocaïne rose» ou encore «party mix»: le produit a de quoi dérouter, puisque peu importe le nom qu’on lui donne, il est trompeur. C’est que la substance ne contient pas de cocaïne, ni de 2C-B, l’autre substance de laquelle elle tire son nom.
«Je veux en parler, parce que c’est vendu comme une drogue festive. C’est coloré, ça a l’air nouveau, donc ça peut être attirant pour les jeunes. En réalité, on prend des substances peu coûteuses, on les mélange, on les colorie et on les vend plus cher. C’est vraiment du marketing. Il n’y a rien pour les consommateurs là-dedans, c’est vraiment une question de profit et d’argent», explique Jean-François Mary.
À Montréal, le SPVM affirme que le produit «peut se vendre environ le double du prix de la cocaïne».
Un mélange puissant, aléatoire et dangereux
Le produit, présenté comme une version de luxe de la cocaïne, est en effet un cocktail de plusieurs drogues de synthèse prisées des fêtards. Conçu dans des appartements aux quatre coins de Medellín, en Colombie, il contient généralement une base de kétamine et de MDMA, à laquelle les trafiquants ajoutent du colorant rose, et à peu près n’importe quoi ensuite.
«Chaque cuisinier gère ses propres proportions et il y a autant de recettes qu'il y a de cuisiniers dans le monde», expliquait à l'AFP un chimiste en herbe qui préparait le mélange au bain-marie pour le vendre lors de fêtes à Medellín, au mois de mai dernier.
Certains y ajoutent de la méthamphétamine, un puissant stimulant, ainsi que des hallucinogènes comme du LSD ou de la mescaline. Un revendeur confiait à Vice, dans un reportage diffusé en juin 2022, y mettre de l’oxycodone et parfois même du fentanyl, des opioïdes responsables de milliers de décès aux États-Unis, au Canada et ailleurs dans le monde au cours des dernières années.
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Plusieurs hospitalisations y ont d’ailleurs été associées en Colombie depuis 2014, selon les autorités locales.
Montréal n’y échappe pas
À Montréal, l'organisme Cactus en a testé deux échantillons entre juillet 2021 et mars 2022, soutient Jean-François Mary. Le premier, datant d’octobre 2021, contenait un mélange de kétamine, de MDMA, de méthamphétamine et de caféine.
«Ça doit donner un effet très stimulant en raison des stimulants, et une dissociation plus ou moins forte en fonction du dosage de kétamine, ce qui est préoccupant», analyse-t-il.
Le deuxième échantillon, analysé en mars 2022, était «carrément dangereux».
«On a trouvé de la kétamine, des benzodiazépines et de la phénacétine, un analgésique médical retiré du marché dans les années 80 parce qu’on le soupçonne d’être carcinogène, en plus d’être toxique pour les reins. Donc, c’est dangereux à long terme», explique-t-il.
Mais ce n’est pas le plus inquiétant, selon lui.
«Le plus préoccupant, c’est d’avoir des benzodiazépines, un puissant dépresseur, à l’insu des gens. Selon la personne qui nous l’avait amené, le mélange lui a été vendu comme un “party mix”. On peut facilement supposer que de l’alcool aurait été impliqué, ce qui peut poser un danger immédiat, puisque le mélange «benzo-alcool», deux dépresseurs, peut occasionner une surdose», dit-il.
Fentanyl de couleur, risques d’erreur
L’autre risque, selon M. Mary, c’est qu’en Amérique du Nord, les poudres de couleur sont généralement associées au fentanyl, puisque les revendeurs s’en servent pour pouvoir le distinguer des autres drogues.
«C’est un peu sa marque de commerce. Du rose, du turquoise, du mauve... et le rose, il revient régulièrement. En ce moment, c’est le rose qui circule. Le gros danger ici, c’est que les revendeurs se trompent de sac, ou contaminent les sacs de cocaïne rose avec du fentanyl. Ils sont humains et ils commettent des erreurs. C’est déjà arrivé de voir quelqu’un mourir parce que son dealer s’est trompé de sac», regrette-t-il.
Sur le radar des autorités
SPVM, SQ, GRC: les différents corps de police au Canada et au Québec affirment aussi avoir cette drogue sur leur radar depuis un moment, même si elle reste pour l'instant assez marginale et peu répandue.
«On sait que ça circule aux États-Unis, et comme ces tendances vont parfois remonter le continent, on les surveille. On l’a vu avec les opioïdes. On l’a vu avec la méthamphétamine au niveau du Crystal aussi. Il y a plusieurs années, ce sont des phénomènes qui étaient peu présents ici, mais qui remontaient tranquillement. Maintenant, c’est assez répandu», affirme la sergente Mélanie Perrier, du Service de sensibilisation aux drogues et crime organisé de la Gendarmerie royale du Canada.
Par courriel, le SPVM indique avoir «un dossier en 2022 pour lequel on soupçonne avoir saisi de la cocaïne rose. L’analyse n’étant pas encore complétée, nous ne pouvons confirmer pour le moment la composition exacte de la substance».
Jean-François Mary rappelle que les consommateurs ne devraient jamais acheter de drogues déjà mélangées, puisqu’il est impossible de savoir ce que contient le produit final. De plus, il estime que de parler de «cocaïne rose» de manière préventive pourrait contribuer à limiter sa popularité.
«Si on connaît tout ce qu’il y a dans la coke rose, je doute que ça devienne très populaire, puisque ce n’est pas une nouvelle molécule. Au bout du compte, il n’y a rien de bien nouveau là-dedans. C’est important que, si les consommateurs s’en font offrir, ils puissent dire “je sais ce qu’il y a dans cette cochonnerie et je n’en veux pas”», conclut-il.