Et si le Québec décriminalisait lui aussi les petites quantités de coke, de fentanyl et d’héroïne?
Andrea Lubeck
La Colombie-Britannique va décriminaliser la possession d’une petite quantité de certaines drogues dures, dans le cadre d'un projet-pilote de trois ans. Le Québec pourrait-il faire de même? Voici ce qu’en dit un expert.
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Qu’est-ce que ça donne, la décriminalisation de la possession simple?
Les bénéfices sont nombreux, affirme Jean-Sébastien Fallu, professeur agrégé à l’École de psychoéducation de l’Université de Montréal et spécialisé en prévention de la toxicomanie.
D’une part, on parle d’une réduction de la stigmatisation des personnes qui consomment de la drogue ou qui sont aux prises avec des problèmes de consommation.
«En décriminalisant les gens qui utilisent des drogues, nous allons mettre fin à leur stigmatisation, qui les empêche d’avoir accès à des services et au soutien pouvant leur sauver la vie», a plaidé la ministre provinciale de la Santé mentale et des Dépendances, Sheila Malcolmson.
«De passer d’une vision de criminel à une personne qui n’a pas le droit [de consommer] mais qui est plutôt vue comme une personne malade par certains, ça favorise les services, qui deviennent plus accessibles, et ça permet de moins se cacher par crainte de criminalisation», ajoute M. Fallu.
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La décriminalisation permet aussi de traiter la crise des surdoses sous l’angle de la santé publique, ce qui mènerait indirectement à une réduction du nombre de surdoses, estime-t-il.
Pour plusieurs organismes et militants du milieu, la décriminalisation d’une aussi petite quantité – 2,5 grammes au cumul – est un pas dans la bonne direction, mais ce n’est pas suffisant.
«Ça change beaucoup de choses, mais pas assez. Ça ne touche pas à la qualité des produits sur le marché», fait valoir le professeur. Les problèmes d’approvisionnement et de qualité des produits favorisent la circulation de mélanges nocifs pouvant être à l’origine de surdoses.
Le Québec est-il aussi touché par la crise des surdoses?
Oui! Contrairement à ce que l’on peut croire, la crise des surdoses touche le pays tout entier et le Québec ne fait pas exception, quoique dans une moindre mesure que la Colombie-Britannique.
En 2021, on dénombrait 450 décès liés à une possible intoxication aux drogues ou aux opioïdes, selon des données de l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ). C’est moins que les 547 décès en 2020, mais «c’est clairement en augmentation» par rapport aux années précédentes, insiste M. Fallu.
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«C’est dur d’évaluer l’ampleur de la crise ici, et c’est vrai que c’est moins pire qu’en Colombie-Britannique. Mais c’est tout de même beaucoup de monde, beaucoup de familles, de collègues et d’intervenants traumatisés qui perdent des proches. Ça préoccupe les directions de santé publique», soutient-il.
Les inconnus qui demeurent autour de la situation au Québec empêchent d’ailleurs les autorités sanitaires de déclarer une crise de santé publique, ce que déplore Jean-Sébastien Fallu.
Verra-t-on la possession décriminalisée ici aussi?
Malgré les avancées ailleurs au pays, Jean-Sébastien Fallu est plutôt pessimiste quant à la possibilité que Québec décriminalise la possession de sitôt.
«Le Québec est la province la plus conservatrice au pays sur la question des drogues, affirme-t-il. Que ce soit en matière d’encadrement des drogues, de légalisation des drogues, incluant le cannabis, c’est ici que l’opposition est la plus grande.»
Le ministre québécois de la Justice, Simon Jolin-Barrette, a d’ailleurs affirmé l'an dernier que ce n’est pas dans les plans à court terme. Une attachée de presse du ministre a réitéré mardi à La Presse qu'un tel projet n'est pas envisagé au Québec pour l'insant.
Qui est en faveur de la décriminalisation des drogues?
Pourtant, les voix qui s’élèvent en faveur de la décriminalisation des drogues sont nombreuses dans la province, à commencer par la Ville de Montréal, plusieurs directions régionales de santé publique – incluant l’ex-directeur national de santé publique du Québec, Horacio Arruda – et même le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM).
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— Avec l’Agence QMI