Témoignages: c’est comment dater quand on est une personne grosse?
Sarah-Florence Benjamin
«J’aimerais fourrer ta personnalité, mais pas ton corps.» Ces mots, Amélie Faubert les a déjà entendus de la bouche d’un homme. La grossophobie s’immisce dans le monde du dating de façons souvent insoupçonnées.
«Ce dont les personnes minces ne se doutent pas, c’est que pour les personnes grosses, le risque, ce n’est pas juste que ta date soit plate, mais que la personne soit dégoûtée et te le fasse savoir de manière blessante», explique l'intervenante psychosociale et coanimatrice du balado Les Ficelles.
Si elle n’accepte plus qu’on lui fasse des commentaires sur son poids, dans la jeune vingtaine, elle en a souvent laissé passer.
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«À l’époque, je me disais que les gars avaient raison d’être grossophobes, parce que j’avais une mauvaise estime de moi», confie celle qui milite aujourd’hui contre la grossophobie et le sexisme.
Lorsqu’elle datait encore, Amélie Faubert, qui est en couple depuis deux ans, avait élevé ses standards pour éviter de perdre son temps avec des dates grossophobes. Elle discutait plusieurs semaines avec ses matchs sur les réseaux sociaux avant de les rencontrer en vrai, pour avoir une bonne idée de leurs valeurs à l’avance.
Elle avait aussi adopté certaines stratégies sur les applications de rencontre pour mettre toutes les chances de son côté.
«Je mettais des photos plein pied dans mon profil, c’était une façon de me protéger. J’étais aussi très sélective sur qui je swipais. Le fait d’ajouter le mot “féministe” dans mon profil, ça aidait à faire le tri», explique-t-elle.
«Les gens te traitent comme un secret honteux»
Beaucoup plus de gens sont attirés par les personnes grosses qu’on pourrait le croire si on se fie aux préjugés grossophobes véhiculés par la société. Ces préjugés empêchent certaines personnes d’assumer cette attirance, de peur d’être jugées par les autres. C’est un problème auquel Valérie Coulombe a dû faire face lorsqu’elle utilisait les applications de rencontre.
«Les gens te traitent comme un secret honteux. On te swipe, mais on ne veut pas ça se sache ou les gens sont juste intéressés à coucher avec toi et rien d’autre», déplore-t-elle.
Lorsque Valérie a rencontré son copain actuel, elle avoue que ce dernier éprouvait un malaise par rapport à la perception que les autres pourraient avoir de leur couple et surtout de son apparence à elle.
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«Les gens faisaient des commentaires indirects ou passifs agressifs, genre des gens qui disent qu’ils ne voudraient jamais sortir avec une personne grosse devant moi, relate-t-elle. À un moment donné, je lui ai dit que s’il n’était pas capable de faire face aux autres, ça ne m’appartenait pas.»
Avant de sortir avec son copain, elle a été célibataire durant deux ans, «trop découragée» par la grossophobie ambiante dans le monde des applications de rencontre. «J’habitais en région et ajoute à ça le fait d’être queer. Je n’avais tellement pas d’options.»
Les communautés queers ne sont pas exemptes de grossophobies non plus. La fameuse phrase «No fats, No femmes, No Asians» (pas de gros, pas d’efféminés, pas d’Asiatiques) est devenue célèbre sur les applications de rencontres gaies comme Grinder où des préjugés grossophobes, homophobes et racistes étaient présentés comme de simples préférences personnelles.
«Je n’ai pas l’impression de moins pogner»
Margot Chénier n’a pas l’impression de moins pogner depuis qu’elle a pris du poids. Elle constate toutefois qu’elle n’attire pas le même genre de prétendant.
«Quand tu es grosse, tu te retrouves finalement à dater des gens qui ont confiance en eux et qui sont bien dans leur peau. C’est considéré comme honteux de nous dater, donc ça décourage les gens qui ne sont pas conscientisés», soutient la rédactrice et militante féministe.
C’est dans son entourage que Margot Chénier a plus souvent ressenti un malaise par rapport à sa vie sexuelle et sentimentale.
«Les gens deviennent bizarres quand ils apprennent que tu as une vie sexuelle. Ils sont surpris. Quand je parle de mes fréquentations, on me demande souvent de montrer des photos. Si la personne est hot, ils n’en reviennent pas», confie-t-elle.
Même qu’à certains moments, des gens autour d’elle sous-entendaient qu’elle faisait une erreur lorsqu’elle refusait les avances d’une personne mince. «C’est infantilisant de me faire traiter comme si je n’étais pas maître de mes décisions et de mon corps», souligne-t-elle.
Selon elle, le manque de représentations de personnes grosses dans des relations amoureuses normales dans les médias encourage ce genre de préjugés.
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«C’est déjà difficile de dater en tant que femme, quand on est grosse, tout est exacerbé. Jamais je ne me suis fait autant pogner les fesses dans les bars. Les gens sont sûrs que tu vas être willing parce qu’on pense que tu es désespérée», poursuit Margot Chénier.
Des recherches confirment que les femmes grosses sont plus souvent victimes de violences sexuelles que les femmes minces et qu’elles sont moins crues et reçues avec moins d’empathie lorsqu’elles dénoncent.