Catherine Brunet vue par Xavier Dolan : entrevue et shoot d’une couverture bien spéciale
Texte et photos de Xavier Dolan
Catherine Brunet et Xavier Dolan se connaissent depuis des années, mais cette rencontre-là a quelque chose de particulier: dehors, il fait une chaleur caniculaire. Le genre de chaleur qui nous arrache d’un coup à l’hiver.
Les deux amis ne peuvent toujours pas se faire l’accolade, mais on s’en fout, au fond; il fait trop chaud pour se toucher. Et puis ça ne change rien au regard que Xavier porte sur Catherine. En elle, il perçoit l’intensité de l’artiste engagée, mais capte aussi son naturel, sa tendresse et sa candeur. Il nous la raconte en mots et en images. Ne reste qu’à ouvrir l’oeil et à prêter l’oreille.
Xavier : Salut Catherine!
Catherine : Salut! Ha! Ha! Ha! Je suis stressée!
Aucune raison! Plongeons tout de suite... La crise que nous traversons est sans précédent. Quel est ton état d’esprit? Comment contrecarres-tu la morosité, le pessimisme?
Des fois, je ne les contrecarre pas! (Rires) Plus au début, parce que c’était inquiétant de ne pas savoir quand on allait pouvoir se revoir. Tout était incertain par rapport à l’amitié, la famille, l’amour – ça l’est encore, d’ailleurs. Je pense que c’est surtout ça que j’ai trouvé le plus difficile. Certains matins, je me réveillais avec de grandes ambitions et je faisais le ménage partout de fond en comble; d’autres, je me réveillais et j’avais envie de pleurer pendant huit heures! De belles journées en perspective! Sérieusement, au quotidien, je me raccroche aux trucs simples. Je me suis acheté un skate, je veux apprendre à jouer du ukulélé et je ne pense pas trop à l’avenir. Je ne suis pas à plaindre.
Tu t’occupes.
J’ai essayé de faire du pain. Il était dégueulasse! (Rires) Mais j’ai appris à faire un risotto.
Parfait. Donc, culinairement parlant, ça se passe bien, pour toi?!
Exact! En fait, je constate tout simplement qu’avec les horaires de tournage et le train de vie un peu fou, je mangeais trop souvent au restaurant, avant la pandémie. Alors là, c’est sûr que j’économise et que je mange plus sainement. Je réalise que j’aime être en cuisine, comme une bonne matrone!
Tu animes Les suppléants, à Télé-Québec. Tu t’emploies tout de même à redonner et à partager une partie de ton temps avec les autres.
Oui. Au début du confinement, je lisais chaque jour un ou deux chapitres d’un livre sur mon compte Instagram. J’avais le goût de donner quelque chose, et ça me faisait du bien en retour. Quand Les suppléants est arrivé, je doutais; on disait à tout le monde de rester chez soi, et j’allais sortir tourner? Finalement, les mesures sont tellement sécuritaires! On se change dans un sas comme dans Arrival, alors... Il n’y avait aucune contradiction entre le projet et la marche à suivre pour tous. D’un autre côté, je n’avais jamais animé et j’avais des doutes sur mes compétences. Mais je me disais qu’avec Pier-Luc Funk, on allait faire quelque chose d’utile et qui en valait la peine.
Vous n’êtes pas seuls: vous travaillez avec des scénaristes?
Effectivement. On a proposé Suzie Bouchard et Pascale Renaud-Hébert, qui écrivent pour nous. Donc on a l’air super intelligents alors qu’au fond, on ne connaît rien! (Rires) Disons que Pythagore, c’est loin dans mes souvenirs!
Quels sont tes projets, entravés ou non par la COVID-19?
Il y avait la deuxième saison de Faux départs et la deuxième saison de Projet 2000. Un long métrage aussi, qui a été reporté, tout comme la tournée des Voisins, dont je faisais partie. La tournée était prévue dans des salles relativement grandes, alors ça risque de ne pas reprendre de sitôt. Heureusement, les studios de doublage ont rouvert, donc le travail recommence tranquillement. Mais s’il n’y avait pas ça...
C’est peut-être l’occasion d’être l’auteure ou l’artisane de tes propres projets? Je pense à Smoothie, le court métrage que tu as coécrit avec Pier-Luc Funk, Antoine Pilon et Simon Pigeon, et dans lequel vous jouez tous. Comment décrirais-tu l’expérience?
Très agréable! C’est vraiment plaisant de travailler et de créer avec ses amis. Avec Smoothie, le but était surtout de se «faire les dents» par rapport à l’écriture, à la réalisation et à la production. C’est certain qu’on a envie de répéter l’expérience. Les plateaux plus intimes seront peut-être bien un bon moyen de recommencer à travailler, finalement.
Tu es une artiste engagée, du féminisme que tu décortiques sans gêne sur les réseaux sociaux à ton végétarisme, ton sens écologique et ta promotion des entreprises locales. Est-ce que la pandémie est un moment tournant pour ces débats? Est-ce que ça exacerbe les consciences?
C’est drôle, parce que je me fie presque uniquement aux réseaux sociaux; en général, c’est un bon outil pour prendre le pouls. Pour le côté écologique et local, j’ai l’impression que les gens vont prendre conscience qu’il faut qu’on change les choses. On peut en débattre, oui, mais la COVID demeure quelque chose d’intrinsèquement lié à notre consommation de viande, quelle qu’elle soit. Beaucoup de choses en ce moment font que la planète a de la misère et a besoin d’un bon coup de pouce. La COVID est un signe de ça, un avertissement.
Met-on de côté certains débats à cause de notre obnubilation liée à ce virus?
Pas de façon permanente, je ne pense pas. Mais en effet, ce genre de crise fait passer certains sujets comme moins pressants. Récemment, Valérie Plante a dit qu’elle voulait travailler à ce que la Ville de Montréal utilise un langage épicène – c’est-à-dire neutre, avec des mots sans genre, donc ni masculins ni féminins, qui sont habituellement prédominants dans les communications de la Ville. Un mot comme enfant, par exemple, est épicène! Quand la nouvelle est sortie, les gens étaient insultés et disaient que ce n’était pas le temps de parler de ça. Moi, je me disais que ce n’est jamais le moment de parler de féminisme, d’équité des sexes. On dirait qu’il y a toujours des choses qui passent avant. Alors, oui, je me demande si la crise que nous traversons ne sera pas salvatrice pour certains débats, tout en en faisant stagner d’autres. J’espère que non.
Tu es une personne qui paraît bien, qui accorde de l’importance à son image. Mais tu trouves également très important qu’on déboulonne les mythes sur l’image et la façon dont les femmes doivent se présenter, en particulier grâce à ton implication avec ANEB et Maipoils.
On a comme une vision d’un féminisme parfait et on demande aux femmes d’êtres conséquentes tout le temps. Je dis «femmes», mais ça inclut aussi les hommes, les gens qui se considèrent femmes ou féminins. On parle de femmes au sens large. Dans un événement, j’aime bien mettre une robe, être «féminine», avoir les cheveux détachés ou longs. Aussitôt, certains disent que je suis contradictoire en citant, par exemple, Maipoils comme étant une affaire de «filles qui se laissent aller», alors que c’est tellement pas ça! Que ce soit ANEB, qui aborde les troubles alimentaires et la diversité du physique des femmes, ou Maipoils, qui propose aux femmes de se réapproprier leur corps, tout n’a pas besoin d’être blanc ou noir! J’ai reçu des commentaires par rapport à mon implication avec ANEB, au sujet de la grossophobie. Il m’arrive de m’exprimer là-dessus, et les gens me disent: «Ouin, mais toi t’es mince.» Ou, avec Maipoils: «Toi, t’es trop cute pour avoir du poil sur les jambes.» Qu’est-ce que ça veut dire? C’est un discours dangereux et à double tranchant. Si un homme est trop beau, il ne devrait pas avoir de poil non plus? Même si nous n’y adhérons pas toutes et tous, nous sommes à l’ère de décortiquer ces mythes-là et de réaliser d’où nous viennent ces a priori sur notre corps et notre genre. Pour toi, aimer son image, aimer se mettre en scène sur Instagram ou sur un tapis rouge n’est donc pas forcément synonyme de double standard... Pour moi, le féminisme, c’est avoir le droit d’être qui on veut. Que les femmes soient égales aux hommes et qu’on arrête de nous emmerder avec ce qu’on porte. On n’a de comptes à rendre à personne.
Comment perçois-tu les jeunes femmes de ta génération?
On fait du chemin. Je vais dans les écoles pour ANEB et je regarde les filles au secondaire; les jeunes sont tellement plus allumés et ouverts qu’on a pu l’être, nous! Dans mon école, par exemple, il n’y avait personne d’ouvertement gai; c’était impossible. Aujourd’hui, j’ose croire que de plus en plus de jeunes sont plus conscients et veulent avancer. Avec Maipoils, par exemple, ça fait trois ans que je m’implique et que je vois augmenter le nombre de femmes adhérant à la cause, au mouvement. Le nombre de filles sur les réseaux sociaux qui n’ont pas le corps «photoshoppé» et parfait augmente aussi, comme les mannequins de taille plus qui font des photos plus osées. Il n’y a pas encore assez de diversité, mais il y en a plus qu’avant. Tout n’est pas gagné, c’est sûr. Je suis fière des filles autour de moi, qui sont fortes et engagées. Elles m’inspirent beaucoup. Mais on peut encore faire mieux. Autant chez les filles que chez les gars.
Questions flash :
Ton auteur préféré du moment? Jean-Christophe Réhel, qui a écrit Ce qu’on respire sur Tatouine et des livres de poésie comme Peigner le feu.
L’omelette de rêve? L’omelette feta du Byblos, qu’ils font pour emporter, d’ailleurs.
Ta maison à Poudlard? Serpentard.
Donc tu acceptes d’être redirigée vers les cachots lorsque Harry Potter vient chercher le diadème de Rowena Serdaigle? Oui.
Une actrice que tu admires? Anne Dorval. Je l’admire pour son talent, sa beauté et sa drôlerie.
Décris-toi en un mot? Intense.